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Interviews

Festival L’Ère de Rien 1/2 – Entretien avec C Duncan

Les 21, 22 et 23 avril dernier se tenait la cinquième édition du festival L’Ère de Rien, à l’initiative de jeunes Rezéens férus de musique indépendante et d’arts graphiques. Dans un cadre champêtre en bord de Sèvre nantaise, la première journée printanière a accueilli entre autres les prodiges britanniques Francis Lung (ex-WU LYF) et C Duncan ; POPnews s’est entretenu avec ce dernier.

A l’origine du festival rezéen L’Ère de Rien, l’association Melos Nova. Elle regroupe d’anciens amis de lycée ayant à cœur de réunir deux de leurs passions : musique indé et initiatives graphiques. Point d’orgue chaque année depuis 2012, un festival qui gagne en notoriété et réussit à gagner la confiance du public comme des artistes par une programmation alignant les talents de demain.

Un festival fait-main, qui propose une entrée à prix libre, des foodtrucks de qualité, un photomaton délirant à disposition des festivaliers, des initiations à la sérigraphie et à la linogravure, et qui réussit à fédérer public familial, jeunes foufous (parfois trop adeptes du premier rang) et amateurs de très bonne musique.

 

La palme de la performance pop et du cute est remportée ce vendredi par Francis Lung, ancien membre des regrettés WU LYF, qui avaient enflammé il y a 5 ans la scène internationale grâce à un unique album sans fautes et des prestations scéniques fiévreuses.

Le style de ce projet solo est bien différent des pulsions tribales de WU LYF. Des ballades à la guitare sèche interprétées l’après-midi lors d’un showcase exceptionnel où sa voix dévoilait toute sa puissance, il garde l’efficacité pop et la transforme en énergie accompagnée par tout un groupe, batteur enthousiaste en tête.

Passant en tête d’affiche vers minuit, ses soli de saxophone seront plébiscités par la foule, conquise par les talents du monsieur comme par un côté ultra-mignon entre chaque morceau, bien loin de la caricature arrogante du lad de Manchester. Seul regret, ne pas avoir pu entendre une seconde fois la magnifique version du « Jealous Guy » de John Lennon captée quelques heures plus tôt par un après-midi ensoleillé…


 

L’une des révélations de l’édition 2015 du festival The Great Escape à Brighton, grand frère des Transmusicales de Rennes et tête chercheuse de nouveaux talents, C Duncan ne s’est pas reposé depuis 1 an. Sortie de son premier album, « Architect », l’été dernier, nomination au prestigieux Mercury Prize, l’orfèvre écossais, auteur d’une dream-pop-folk rafraîchissante, annonce déjà la publication de son deuxième opus. Entretien en images et en musique avec un jeune compositeur qui ne laisse aucun détail au hasard.

La première photo que je te soumets a été prise au festival The Great Escape l’année dernière à Brighton, lorsque j’ai découvert ta musique…tout comme le programmateur de l’Ère de Rien je crois…

C Duncan : Oui je m’en souviens très bien, c’était au Shoosh (café lounge sur le front de mer de Brighton, ndlr). Le programmateur de l’Ère de Rien m’a vu lors de l’autre concert que j’avais donné pendant le festival. C’était un bon moment ! Mon label, Fat Cat, est basé à Brighton, donc on est restés 4 jours sur place, à traîner et à passer du bon temps. On a donné un concert privé le soir où l’on est arrivés à Brighton, après avoir passé 14 heures dans le bus je pense, donc on était très fatigués aussi. Puis le jour d’après on a joué au Shoosh, c’était génial. C’était un concert important pour nous, car on était dans la catégorie « Découverte » de la BBC (BBC introducing, ndlr). Puis on a pu voir d’autres groupes jouer pendant le festival, des groupes signés sur Fat Cat en showcase, donc c’était une super expérience !

Tu avais l’air assez nerveux ce soir-là…Avec tout ce qui s’est passé depuis : la tournée, la sortie de l’album et la nomination au Mercury Prize, te sens-tu plus à l’aise aujourd’hui sur scène ?

C Duncan : Oui j’étais nerveux c’est vrai ! Nous avons gagné en assurance et nous sommes moins nerveux, même si nous sommes toujours assez timides sur scène. La nervosité vient aussi de l’excitation de se dire « Oh Mon Dieu, nous devons jouer devant une salle pleine ! » Nous sommes un groupe un peu atypique, car nous ne sommes pas des showmen de nature : deux des membres sont diplômés en philosophie et ne sont pas habitués à jouer devant des gens, tout comme moi, et c’est la raison pour laquelle je compose de la musique. Mais plus nous tournons, plus cela devient une habitude, et plus nous prenons du plaisir à le faire, d’autant plus que nous sommes tous de très bons amis.

Tu joues ce soir dans un festival à taille humaine, qui mêle musique indé et arts graphiques, comment te sens-tu à ce propos ?

C Duncan : Je trouve que c’est génial, c’est un peu le festival idéal pour moi : musique et arts graphiques réunis ! C’est une surprise totale pour nous, nous ne nous attendions pas à ça. Nous pensions qu’il s’agirait d’un champ en plein milieu de la ville, avec beaucoup de bruit autour, et quand on est arrivés ici, on a trouvé ça incroyable ! Le site est au bord de la rivière, on a l’impression d’être à la campagne même si Nantes est tout près…On est vraiment enthousiastes à l’idée de jouer ce soir.

Je sais que tu pratiques les arts plastiques : as-tu déjà essayé quelques-unes des techniques présentées lors du festival, comme la linogravure ou la sérigraphie ?

C Duncan : Non, jamais, mais j’ai vu que les techniques étaient présentes au festival et je trouve ça super. En fait, je n’ai pas fait d’études artistiques, et je n’ai pas le matériel pour en faire, mais cela m’intéresse beaucoup d’aller voir ça.

Voici une autre image…

C Duncan : Ah, Grant Wood ! C’est l’un de mes artistes préférés ! J’ai vraiment accroché à son œuvre il y a 2 ans. American Gothic est évidemment sa peinture la plus célèbre, et elle est géniale : elle résume tout à fait cette période et la culture américaine à cette époque. Mais ce sont ses paysages que j’adore. Ils sont incroyables, très stylisés, et les arbres sont représentés à l’aide d’ovales et de différents motifs, très détaillés. Je crois que Grant Wood est originaire de l’Iowa, il peint donc beaucoup les champs, les fermiers, en y ajoutant beaucoup de chaleur, dans la manière dont il peint et les couleurs qu’il utilise…C’est très pittoresque. Ce sont des huiles sur toiles, surtout des petits formats, d’après ce que j’ai pu voir sur une photo prise dans un musée, car je n’en ai malheureusement jamais vues en vrai. Je crois que j’aime aussi beaucoup ses peintures car mes œuvres sont minuscules comme les siennes.

Ces deux formes artistiques, musique et arts visuels, sont-elles complémentaires pour toi ?

C Duncan : Absolument ! Ma musique et ma peinture sont indissociables. Toutes deux sont très complexes, on y trouve plein de petits morceaux qui permettent de créer un ensemble. Au niveau de la forme, l’un des points communs entre les deux est la répétition : sur certaines de mes peintures, il y a 350 voitures représentées, et pour moi, la répétition dans la peinture a un pouvoir thérapeutique, tout comme dans la musique. J’aime utiliser des thèmes, encore et encore, les changer, etc…

En regardant les pochettes de tes disques, EPs et albums, que tu peins toi-même, j’ai remarqué qu’elles représentaient des choses plutôt ordinaires et terre-à-terre, comme des vues aériennes des rues de Glasgow, alors que ta musique a plutôt un côté rêveur et éthéré ; ne trouves-tu pas un paradoxe là-dedans ?

C Duncan : Je suis content que tu le remarques, une autre personne m’en a parlé un peu plus tôt également. C’était l’idée de base, car la musique et l’art vont de pair par certains aspects, mais je voulais que le style de la pochette soit très austère. Ces peintures ressemblent davantage à des croquis qu’à des représentations de paysages, ce que j’avais envisagé un moment, sans en être satisfait. Je trouve que la juxtaposition des deux fonctionne plutôt bien.

Je te montre une dernière image, avant de passer à la musique !

C Duncan : Oh, Mackintosh ! C’est un incroyable architecte et designer écossais, originaire de Glasgow. Ses œuvres, ses peintures notamment, ont été d’une grande influence sur ma carrière en tant qu’artiste et musicien, car elles sont tout simplement magnifiques et bien conçues. Les intérieurs qu’il a par exemple imaginés pour des espaces bien particuliers sont également très complexes, avec plein de petits détails que l’on découvre au fur et à mesure.

Je trouve qu’il y a aussi une analogie à faire entre la manière dont tu travailles, à la manière qu’un artisan qui assemble pièce par pièce les éléments de son œuvre d’art, et l’esprit du mouvement Arts and Crafts, dont faisait partie Mackintosh, et qui prônait le retour à l’artisanat et au design dans notre vie quotidienne.

C Duncan : Oui, c’est tout à fait ça. C’est très intéressant ce que tu dis car c’est exactement de cette manière que je travaille !

Penses-tu qu’il est toujours aisé aujourd’hui, au 21ème siècle, d’être entouré par l’art dans notre quotidien, comme le souhaitaient ces pionniers du design au tournant du 20ème siècle ?

C Duncan : Oui, je pense que c’est toujours possible. On peut trouver de belles choses créées par l’homme où que l’on regarde, des séries télévisées aux grandes œuvres d’art les plus chères. Les séries sont ces choses de la vie quotidienne qui deviennent des œuvres d’art incroyables aux budgets énormes comme Game of Thrones par exemple. Cela peut prendre différentes formes et c’est vraiment cool.

C’est Cocteau Twins, un autre groupe écossais.

Pourquoi as-tu choisi de reprendre ce morceau de Cocteau Twins en particulier ?

C Duncan : En fait, ce n’est pas moi qui ai choisi de reprendre cette chanson en particulier. A Glasgow, il y a cette chaîne sur le web qui enregistre des reprises de groupes de Glasgow par d’autres groupes de Glasgow. J’avais toujours voulu reprendre un morceau de Cocteau Twins car c’est mon groupe préféré. Le site web m’a envoyé une énorme liste avec une centaine de chansons, et parmi elles, il y avait celle-ci, que j’aime beaucoup, même si ce n’est pas ma préférée. Il est très difficile de chanter n’importe quelle chanson des Cocteau Twins. J’ai alors écouté la mélodie de celle-ci, assez souple, car elle ne va pas trop dans les aigus, ni trop dans les graves. Ma voix correspondait également au registre, et j’ai donc arrêté mon choix. J’aimerais reprendre davantage de leurs chansons, faire des concerts etc…Mais en tout cas nous avons fait cette reprise pour une chaîne YouTube, puis nous l’avons enregistrée comme il faut, et nous avons pris beaucoup de plaisir à chanter ces mélodies. C’est une super chanson !

J’ai lu que tu allais travailler avec des membres de Cocteau Twins… ?

C Duncan : Oui, j’ai été en contact avec deux d’entre eux. Simon Raymonde, qui dirige le label Bella Union, m’a demandé si je voulais travailler avec lui ou certains de ses groupes, ce qui est très excitant, comme un rêve devenu réalité ! Il m’a envoyé des morceaux sur lesquels il travaille en ce moment, dans un genre étrange, une sorte de jazz lounge très cool. Il m’a proposé d’expérimenter avec ma voix autour de cela. Cela n’aboutira peut-être à rien du tout, mais en tout cas, j’aurai été en contact avec une de mes idoles…

Ta musique est souvent qualifiée de « lumineuse, propice à la rêverie et éthérée ». Y a-t-il pour autant un côté sombre ou froid dans tes morceaux ?

C Duncan : Le deuxième album, que je viens de finir, est un peu plus sombre, un peu plus austère. Il y avait ce côté-là aussi dans le premier album, mais caché sous des voix éthérées.

Penses-tu que cela vient de Glasgow, l’endroit où tu vis ?

C Duncan : « Architect » était clairement inspiré de la ville de Glasgow. C’est une ville géniale, du point de vue architectural, on l’a vu avec Mackintosh. Les gens sont incroyables, accueillants et intelligents, mais il fait gris et froid la plupart du temps. J’ai beaucoup d’amis qui souffrent de dépression car l’hiver à Glasgow dure 9 mois ; il y a en général une semaine de soleil en mai, puis il se met à pleuvoir, et ensuite il fait de nouveau froid. Le disque est donc forcément marqué par ce climat. Pareil pour l’Islande, qui a un climat aussi rigoureux et qui, groupe après groupe, nous fait découvrir de la musique vraiment bizarre : ils ne peuvent pas sortir et sont obligés de rester à l’intérieur ! Le climat affecte vraiment les émotions, c’est à double-tranchant ; mais je ne voudrais changer de ville pour rien au monde.

C’est Belle and Sebastian !

Vous avez fait la première partie de Belle and Sebastian l’année dernière à la Somerset House ?

C Duncan : Oui, c’était l’un de nos plus gros concerts, et Belle and Sebastian est l’un des groupes les plus importants de Glasgow, je suis un très grand fan. Depuis, j’ai fait un autre concert avec Stuart de Belle and Sebastian, nous avons appris à bien les connaître et c’est très agréable de jouer avec eux. Ils sont une grande influence pour tous les groupes locaux, mais partout ailleurs également. Il semble qu’ils soient devenus énormes dans le monde entier, au Pérou notamment, ce qui n’est pas commun !

Quand je vous ai vus jouer à Brighton, j’ai d’abord pensé aux Fleet Foxes pour les harmonies vocales, que l’on retrouve aussi dans ce morceau de Grizzly Bear. J’ai donc été surprise d’apprendre que tu avais enregistré l’album tout seul dans ta chambre, en superposant des voix et des parties d’instruments. As-tu l’intention de jouer avec un groupe dans le futur ?

C Duncan : Pour mon deuxième album, j’ai de nouveau enregistré seul, ce que j’aime énormément faire, et que j’apprécie chez d’autres artistes également. Je garderai toujours le projet C Duncan, qui correspond à mes enregistrements maison, car je suis obsédé par la composition (sourire), mais les choses peuvent évoluer, car à l’avenir, j’aimerais enregistrer en studio avec un groupe. Pour mon prochain disque, je pense à revenir vers le genre classique, car c’est l’autre facette de mon label, Fat Cat. Ils possèdent une filiale dédiée à la musique instrumentale avec le label 130701, qui a signé autrefois Max Richter, Johann Johannsson et d’autres artistes qui mélangent musique contemporaine et musique classique.

Ce label a repris son activité et m’a demandé si je souhaitais sortir un disque de musique classique sous mon propre nom, Christopher Duncan, ce qui implique que je devrai travailler avec un quatuor à cordes et peut-être une chorale : j’ai hâte d’y être ! Dans l’idéal, j’aimerais mener tous ces différents projets, en solo et en tant que membre d’un groupe, et ne pas forcément avoir tous les yeux braqués sur moi comme c’est le cas pour C Duncan, même si c’est amusant. J’envie parfois les copains qui jouent avec moi, et peuvent boire des bières tranquillement et traîner en ville, parce qu’ils ne sont que guitaristes dans un groupe (sourire).

Est-ce que ça ne serait pas Sigur Rós par hasard ? Tu ne réussis pas vraiment à cacher tes notes ! (rires) C’est mon album préféré du groupe (« Ágætis Byrjun », ndlr), avec « ( ) », et c’est pour moi l’exemple parfait du groupe qui fait de la musique à la fois expérimentale et très belle. Un autre groupe incroyable venu d’Islande.

Être signé chez Fat Cat Records, qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Tu leur as envoyé ta musique car tu admirais les groupes signés chez eux comme Sigur Ros ou Vashti Bunyan…

C Duncan : Oui et c’est pour cela que j’ai été signé chez eux je crois. Ma musique est assez particulière, le label l’est aussi, et parce que j’ai toujours écouté des artistes Fat Cat, ma musique est naturellement devenue…(il hésite) Enfin, il y a des styles de musique très différents chez les artistes du label, mais je pense que c’est pour moi le label parfait. J’étais vraiment enthousiaste quand ils m’ont signé car je respecte vraiment ce qu’ils font. En plus, Dave (Cawley) et Alex (Knight), qui le dirigent, sont les personnes les plus gentilles et charmantes du monde. Cela a été une expérience incroyable jusqu’à maintenant, et j’espère qu’elle va continuer encore longtemps. Le deuxième album devrait sortir en octobre (ce qui est assez proche de la sortie du premier sorti en juillet 2015, ndlr), car nous ne voulions pas qu’il y ait beaucoup plus d’une année qui s’écoule entre les deux. Tellement de groupes attendent deux ans pour sortir un album, si bien que le public a déjà oublié le premier, et qu’il faut recommencer toute la promo. Cette rapidité est rendue possible par le fait que je travaille de chez moi, et que je peux directement enregistrer dès que je rentre de tournée : c’est tout l’avantage de ce système !

Propos recueillis par Sandrine Lesage

Photos : Antoine Galtier / Pauline Venet / DR

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