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Interviews

Cate Le Bon : héroïne malgré elle

A l’occasion de la quatorzième édition du festival SOY à Nantes, POPnews a rencontré Cate Le Bon aux Ateliers de Bitche. Impératrice pop-folk-psyché en tunique de jute, Cate Le Bon incarne le contraste en noir et blanc entre la fragilité et le charisme fou de l’artiste qui sait décidément où elle va.

Avant le début de l’interview, Cate Le Bon réagit avec gêne à la vue de l’appareil photo :  » Ah non, pas de photos s’il vous plaît, je ne suis pas maquillée !  » Et tout cela dans ce timbre qui lui est propre et qui fait qu’on ne lui en veut pas : un timbre doux, enfantin, qui prend son temps, aux angles qui se fracturent. Car Cate Le Bon n’a pas perdu son accent gallois en déménageant à Los Angeles en 2013. POPnews a rencontré une jeune femme modeste, presque effacée, qui se transforme sur scène en une guitare-héroïne, pliée en deux sur son instrument qu’elle maîtrise de doigts experts. Si elle se trompe dans ses paroles et met pendant quelques secondes en émoi ses musiciens, ils cherchent du regard son sourire qui vient tout effacer, et se laissent conduire, comme on suit un chef d’orchestre, dans la prochaine séquence improvisée au milieu de fulgurances aux mélodies sinueuses. Cate Le Bon, impératrice en tunique de jute, contraste en noir et blanc entre la fragilité et le charisme fou de l’artiste qui sait décidément où elle va…

Tu chantes  » I’m a dirty attic  » ( » Je suis un grenier sale « , ndlr) dans la chanson homonyme. Que trouverait-on dans ton grenier si on le visitait ?

Cate Le Bon : Je n’ai pas de grenier. En fait je n’habite nulle part pour le moment. Je tourne tellement que je ne vois pas l’intérêt d’avoir un appartement.

Et si tu en avais un, que conserverais-tu dedans ?

Cate Le Bon : Des chaises ! J’adore les chaises.

Est-ce que tu les collectionnes ?

Cate Le Bon : Oui, ça m’est arrivé, par accident. J’aime les magasins d’occasions. J’ai toujours été attirée par les chaises.

 CLB fente

Ton dernier album,  » Crab Day « , est moins évident en termes de mélodies pop. On pense notamment à Syd Barrett en l’écoutant. Était-ce un choix conscient de créer ces chansons un peu bizarres, sinueuses, qui ne suivent pas le schéma couplet/refrain/couplet ?

Cate Le Bon : Je voulais laisser les choses au hasard. Je me suis abandonnée, sans penser à ce à quoi une chanson devait ressembler, en la laissant exister tout simplement. Ça a été plutôt quelque chose de naturel oui.

Tu utilises aussi d’autres instruments comme le saxophone ou le marimba. Tu as dû faire appel à d’autres musiciens pour parvenir à ce résultat riche en arrangements atypiques  ?

Cate Le Bon : Je compose habituellement sur une guitare et aussi sur un piano. J’ai travaillé avec deux musiciens gallois avec qui j’adore travailler, car j’aime jouer live lors de l’enregistrement d’un album, afin qu’on ait vraiment l’impression d’entendre des gens jouer ensemble. Il s’agit de Sweet Baboo et H. Hawkline (Huw Evans, ndlr), avec qui je joue depuis des années, et qui sont phénoménaux. Ils savent ce que j’aime, je peux leur dire très franchement quand je n’aime pas quelque chose car ce sont des amis proches. J’ai également fait appel à la batteuse Stella Mozgawa, qui est devenue une bonne amie à moi quand j’ai déménagé à Los Angeles. Je voulais qu’elle participe à l’album. Elle est tout simplement incroyable, elle a été merveilleuse en studio ; c’est certainement la meilleure batteuse que j’ai rencontrée de toute ma vie. Elle n’a absolument pas d’ego, elle aime juste jouer de la batterie. Je pouvais la diriger, et par exemple lui demander :  » Joue comme un enfant de 4 ans !  » et elle répondait :  » Oui, pas de problème ! « …(Pause) Oui, juste des musiciens à qui l’on peut implicitement faire confiance, avec qui on partage des goûts…Pour les parties de saxophone, je les chantais à Stephen (Black, alias Sweet Baboo, ndlr), il les jouait et certaines venaient de lignes de basse qu’il avait écrites et qu’il jouait au saxophone. Je pense que c’est un disque qui est vraiment la somme de tous ces éléments.

Tu as produit le dernier album de H. Hawkline. Il joue également avec toi et a créé une partie de tes visuels. Pourrais-tu un jour imaginer enregistrer un album sans aucun de tes amis ?

Cate Le Bon : Je crois que pour le prochain disque, je vais essayer de tout faire toute seule. Évidemment, je me sens très privilégiée de connaître de merveilleux musiciens, c’est ma force, et c’est toujours bon de savoir que je peux faire appel à eux. Je n’essaie pas de me prouver quelque chose juste parce que je me suis dit (elle prend une grosse voix caricaturale) :  » Tu vas faire ça toute seule ! « . Je sais que ça a joué énormément dans tout ce que j’ai fait jusqu’à présent.

CLB bleu

Ta voix varie du très grave au très aigu dans tes chansons. Est-ce quelque chose de naturel pour toi ? As-tu pris des cours pour apprendre à l’utiliser ?

Cate Le Bon : (rires) Non, je ne me suis jamais vraiment considérée comme une chanteuse. (Pause) Je me suis toujours débrouillée pour me forcer à chanter certaines parties de telle ou telle manière. Je pense que c’est un peu comme tout : ça devient comme un instrument quand tu te forces à chanter très bas ou très haut, ça devient ton registre. Je pense que c’est quelque chose qui a découlé des mélodies vocales que j’ai écrites, que je ne savais pas chanter et que j’ai apprises à chanter (rires).

Pour toi, c’est la guitare avant tout…

Cate Le Bon : Non, pas vraiment. Je ne me vois pas comme une guitariste non plus. Je ne sais pas ce que je suis ! (rires)

Fragil :  Les autres artistes sont souvent élogieux à propos de ton jeu de guitare, considéré comme unique. Est-ce que cette manière de jouer est venue au moment de ton apprentissage ou as-tu dû travailler dur pour y parvenir ?

Cate Le Bon : (Elle hésite) J’adore jouer de la guitare, mais je ne pense pas que je sache jouer de la guitare. Je crois que j’en ai une approche ludique (rires). C’est juste que je fais des essais, et il semble que ça a marché jusqu’à maintenant. Oui, je ne sais pas…j’adore juste jouer.

As-tu appris à jouer seule ?

Cate Le Bon : Oui. Quand des gens ont commencé à me demander à jouer de la guitare pour eux, je me suis dit : « OK, c’est cool ! » C’est drôle (rires).

Tes paroles ont souvent un aspect absurde et surréaliste. Quel est le point de départ des paroles d’une de tes chansons ?

Cate Le Bon : Avant de commencer à me mettre au travail, j’ai toujours en tête le thème de l’album et comment il va s’articuler. L’idée c’est toujours de chercher des mots évocateurs qui vont faire partie de la musique, et s’entremêler avec elle. Ce sont comme des partenaires qui sont réunis. Ce disque est un langage créé en réaction au sentiment que tout est absurde et étrange dans le monde d’aujourd’hui. On vit une époque absurde. C’est un langage en réaction à ça et peut-être (pause) une alternative à quelque chose de normal.

CLB jambes

Tu as grandi en écoutant et en admirant des artistes gallois. Qu’est-ce que représente pour toi le fait d’être Galloise, surtout depuis que tu as déménagé à Los Angeles en 2013 ?

Cate Le Bon : Oui bien sûr. C’est quelque chose de très important pour moi. Je suis très consciente du fait d’être Galloise quand je suis à l’étranger, ou à Los Angeles. La langue, les gens, le pays en lui-même, …sont ancrés, j’espère, dans tout ce que je fais. Je me sens privilégiée de venir d’un pays où la scène musicale est dynamique, et où les artistes ne se sentent pas obligés d’être rattachés à un courant ou un style particulier.

Je suis une grande fan du groupe gallois Manic Street Preachers. Peux-tu nous parler de ta collaboration avec eux ?

Cate Le Bon : Ce n’était pas vraiment une collaboration dans le sens où ils m’ont envoyé une chanson et m’ont demandé si je voulais chanter dessus et j’ai dit : « Si je l’aime, alors oui ». J’adore « The Holy Bible« , que je trouve incroyable. Je les ai vus jouer [cet album] en trio l’année dernière à San Francisco (pour les 20 ans de la sortie de cet album culte publié en 1994, ndlr), et c’était absolument génial. Je les ai un peu perdus de vue pendant mon adolescence, mais j’adore littéralement Nicky Wire (le bassiste et parolier du groupe, ndlr). Il dit vraiment ce qu’il pense, il est tellement cool, et James (Dean Bradfield, guitariste et chanteur, ndlr) aussi. Je me suis vraiment sentie flattée qu’ils me demandent de chanter sur leur disque, et comme j’ai aimé la chanson, je l’ai enregistrée et je leur ai envoyée, à l’époque où je travaillais sur « Mug Museum » (le troisième album de Cate Le Bon, ndlr). Je ne les avais jamais rencontrés avant, et ensuite ils m’ont demandé de faire des concerts avec eux quand j’étais au Royaume-Uni. Ils m’ont sincèrement impressionnée, par toute l’âme qu’ils mettent encore dans ce qu’ils font, et c’est une chose rare, que l’on aime leur musique ou non. Ça transpire vraiment la sincérité, et c’est une très belle chose.

James des Manic Street Preachers dit qu’il a parfois l’impression d’avoir exploré toutes les possibilités de sa voix, et c’est la raison pour laquelle il provoque des duos : est-ce le même genre de constat qui t’amène à collaborer avec d’autres artistes sur tes chansons comme avec Perfume Genius sur « I Think I Knew » ?

Cate Le Bon : Dans ce cas, c’était plus une chanson qui nécessitait un autre personnage. J’ai aussi une voix très grave sur la plupart des chansons, et je voulais que la femme fasse les graves et l’homme les aigus (sourire).

Fragil : J’ai eu la chance de rencontrer Mike Hadreas alias Perfume Genius l’année dernière lors d’un festival à Nantes, et nous avons parlé de ses influences provenant des films d’horreur et de la musique de John Carpenter. J’ai aussi pensé à ce genre de musique en écoutant Crab Day

Cate Le Bon : Oh oui, je vois les moments inquiétants auxquels tu fais référence (rires).

Tu produis également les disques d’autres artistes. Es-tu aussi exigeante avec eux que tu ne l’es quand tu produis tes propres chansons ?

Cate Le Bon : Je pense qu’avec Huw (H. Hawkline, ndlr) et je viens de produire l’album de Tim Presley…je ne sais pas…Mon rôle est plutôt de les interroger et de provoquer des choses venant d’eux, plutôt que de projeter des choses sur eux. L’album de Tim est son premier vrai disque en solo, et l’objectif était aussi de lui faire prendre confiance en lui, pour chanter sans trop d’effets sur sa voix. J’adore sa voix et lui est méfiant, et je lui dis : « Non, elle est incroyable ! ». J’ai aussi pris part à beaucoup des arrangements, et l’idée c’est d’être une très très bonne amie, du genre « Tu peux faire mieux que ça ! Tu peux faire quelque chose de différent ! As-tu essayé de jouer ça au piano ? »…C’est dans ce sens-là que j’essaie d’intervenir je pense.

CLB penchée

Tu chantes « I want to be a motion picture film » (« Je veux être un film », ndlr) dans « Wonderful » : quel film voudrais-tu être ?

Cate Le Bon : Je ne sais pas. Je suis une grande fan de « Jurassic Park », c’est le meilleur film du monde pour moi.

C’est cohérent, j’ai vu ça sur Internet !

Cate Le Bon : « Beethoven II » j’adore aussi. Le deuxième en particulier (rires)…(Elle cherche) Quand on me pose des questions, j’ai un gros blanc…

Pourquoi « Jurassic Park » alors ?

Cate Le Bon : Pourquoi « Jurassic Park » ? Je pense que c’est lié à l’excitation que je ressentais quand je le regardais enfant…J’ai l’impression que c’est toujours ce qui passe à la télé quand je suis bien confortablement installée à la maison, chez mes parents, à 15h (elle prend une voix enthousiaste) : « Ouais, « Jurassic Park » passe à la télé ! Je suis sauvée ! » Peut-être que je veux inculquer ce sentiment à d’autres personnes : « Tu es sain et sauf ! ».

 

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