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Disques

Ignatus – [e.pok]

Ignatus - [e.pok]

La réédition l’an dernier de la courte discographie des Objets (1991-94) fut l’occasion de se pencher sur le parcours ultérieur des deux membres du duo. Si Olivier Libaux a mené divers projets particulièrement originaux (le plus endurant et populaire restant bien sûr Nouvelle Vague, avec Marc Collin et un casting tournant de chanteuses), Jérôme Rousseaux a suivi sous le nom d’Ignatus un chemin encore plus singulier et éloigné de la pop carillonnante aux influences anglo-saxonnes de son ancien groupe. Son nouvel album “[e.pok]”, qui sort après une assez longue absence discographique – pendant laquelle il a mené de front plusieurs activités en lien avec la musique et l’écriture –, le montre encore plus libéré des habituels carcans de la musique en français. Un travail autant sur le son que sur le sens, sur les mots que sur les mélodies (et même sur l’image, via des projections vidéo en live), mûri, élagué, précisé ces dernières années, notamment sur des scènes non conventionnelles : atelier d’artiste, galerie, ondes de France Culture… Plus que le titre d’un disque, [e.pok] est une recherche, une aventure dont on suppose qu’elle ne fait que commencer.

Si Ignatus s’était déjà livré à diverses expérimentations par le passé (son premier single, “Fixe”, était basé sur une boucle légèrement accidentée, et il se produisait en concert avec une veste équipée de pads lançant samples et rythmiques), il les systématise ici en compagnie de Nicolas Losson (électroacoustique) et Hervé Le Dorlot (guitares). Les chansons sont traversées de sonorités étranges et fascinantes, à la lisière parfois de la musique concrète, et aucune ne repose sur une structure traditionnelle. Les textes sont parfois parlés (“Lire le matin”, “Florida”, “Oiseau”), ou parlés-chantés (“Dans l’eau”, “Dans la barbe de Dieu”). Si “[e.pok]” peut donc déconcerter à la première écoute par son minimalisme, comme un album de James Blake ou The XX, on y trouve vite ses repères.

Le principal est la voix de Jérôme Rousseaux, à la foix posée et légèrement inquiète, proche et distante. Sans abandonner totalement la fantaisie qu’on lui connaît, elle se charge ici d’une gravité languide pour évoquer à travers de riches métaphores (eau, glace…) vertiges intimes, interrogations sur l’état du monde et bonheurs infimes. “Le Détroit de Béring”, beau comme une plaine enneigée sans âme qui vive, sépare deux amants, représentation géographique de l’attente et du désir. Sur “Florida”, le “je” est celui d’une boîte de nuit en périphérie ; sur “Oiseau”, celui d’un cochon d’élevage qui se rêve volatile. Par son thème, “Un travail” rappelle “33e étage” sur “Cœur de bœuf dans un corps de nouille”, mais l’angoisse est ici plus sourde : “Un travail, est-ce que je vais savoir, est-ce que je vais pouvoir ?”.

Chacun de ces neuf morceaux vite obsédants est comme un diamant, une forme épurée issue d’une taille complexe. Après des écoutes attentives et assidues, le constat s’impose : peu d’œuvres racontent aussi bien les doutes et les espoirs de notre époque qu’“[e.pok]”.

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