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Disques

Sleater-Kinney – The Center Won’t Hold

Sleater-Kinney - The Center Won't Hold

Sleater-Kinney entre dans l’âge mûr. Plutôt que de vivre sur leur statut, désormais culte, les riot grrls ont choisi avec « No Cities to love » de revenir tâter de la scène. C’était un beau geste, culotté et incendiaire, comme elle savent si bien le faire. Mais la riot grrl prend de l’âge et du bide (disent-elles, mais il n’en est rien : voir la photo centrale du LP à l’appui avec une Carrie Browstein en Vérité nue). Que faire ? Deux possibilités de production ont été envisagées et elles en disent long sur Sleater-Kinney : la piste Jeff Tweedy, décidément à la croisée de tous les chemins ou de toutes les destinées (cf. le dernier Wilco) ou une production laissée à un confrère, ici une consœur, plus fraîche. On se rappelle le choix cornélien de David Berman pour le « Purple Mountains » : les Woods avaient de même été choisis au détriment de Tweedy. Toute la face de ces disques en aurait été changé… Et quels disques !

Sleater-Kinney a donc préféré Annie (tête à) Clark aka St. Vincent, dont on reconnaît les éminentes qualités, mais qui nous laisse plus froid que la bande à Wilco (c’est notre côté vieux con, mâle binaire…). C’est plus audacieux et courageux mais le résultat se fait au détriment de leur identité. Le maillage de la production inspirée d’Annie Clark se tisse entre les corps (le core) des Kinney. « The Center Won’t Hold », le titre, l’album, est un récit de déconstruction d’une entité qu’on croyait immuable. Des claviers sont des percussions, les voix-chœurs sont (bien mal)traitées comme  des instruments (The hounds of love ! The hounds of love ! What else…), tout est matière sonore y compris des réverb’ aiguës. Soudain la batterie surnage et signale le retour des guitares… à la L7. Mais où est l’âme des Kinney ? Est-ce cet ensemble de cris encagés?

Quoiqu’il en soit, et c’est le signe distinctif majeur de ce disque, les Kinney sont atomisées dans la production. La batteuse Janet Weiss, mise en valeur ou noyée selon les moments, perd sa fonction centrale de colonne vertébrale du groupe. On comprend d’autant mieux les motifs qui ont pu présider à son départ de la formation cet été, après la sortie du disque (certainement plus pour des motifs esthétiques que pour son hypothétique gagne petit pain de batteuse de Stephen Malkmus). Disons-le tout net : on peut apprécier ou non cet album osé mais le départ de Weiss, c’est la tragédie et la mort de Sleater-Kinney. Point.

Il est beaucoup question d’images dans cet album arty, à l’instar de la belle pochette découpage/recomposition d’une identité morcelée à la recherche d’une unité perturbée. Arty certes (hommage à l’œil-métronome de Man Ray, Indestructible Objet, avec la galette-œil transpercée par l’axe de la platine), mais toujours DIY. Sur le LP, on voit très bien les découpes de photos. Ni botox, ni photoshop. No pasarán !

Les Kinney prennent de l’âge donc et le revendiquent tout en gagnant un nouveau motif de rage contre ces corps qui s’affaissent (hum…) sans cesser de désirer et de désirer être désirées. Maquillées mais pas masquées, âgées mais toujours enragées, telles sont les Kinney.

Elle revisitent tout ce que la féminité assumée a utilisé comme véhicules musicaux dans la pop. De l’intellectualité fine et physique de Kate Bush à Saint Vincent en passant par PJ Harvey (« Bad Dance »), de la brutalité et de l’efficacité pas forcément légère de L7 à… Nina Hagen en passant par le glorieux putassier de Cindy Lauper (« Can I Go On », « The Future Is Here »même si en mode post New Order) et même le recours à cette power pop féminine radiophile des 90ies (« Restless »). Sans oublier un titre, disons… surprenant, « Broken », au piano, très… Diana Krall ? Les Sleater-Kinney saloperaient-elles, aussi, le travail intello de Miss Clark ?

Il y a malgré tout quelques titres à sauver. « Hurry On Home » avec ces cris spatialisés qui sont comme autant de hurlements indéfinis (rage ? plaisir ?). La question sexuelle, quoi qu’il en soit, est au centre des ébats. Titre illustré par un clip signé Miranda July et, comme souvent, un hommage aux actrices hérautes du mouvement gay/féministe.

« Ruins » acte aussi le retour des hurlements sur production électro cassant le travail des guitares avec un beau brossé numérique final. Là encore il est question de sexualité de combat mais dans un texte plus abstrait.

Sur « The Dog/The Body » on aime le côté rythmique minimaliste presque DIY, mais léché, moins l’hymne power pop 90ies qui fait office de refrain.

On apprécie aussi la dénonciation sans fard de la tyrannie de la jeunesse, de la drôlerie et l’aveu d’une certaine tendance qui pousse les corps vieillissant à désirer, aussi, s’allonger l’après-midi, pour une sieste pas forcément crapuleuse (« Can I Go On »). Encore une tendance partagée avec Tweedy et consorts (Cf le clip de Wilco pour « Everyone Hides »).

Que les Kinney assument leur fragilités, leurs doutes, leurs envies pas toujours glorieuses et une remise en cause des orthodoxies, voilà du positif. Prenons-le comme tel : une pause nécessaire et revigorante -malgré tout- et attendons le retour de Weiss. Du moins gardons l’espoir.

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