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Disques

The Mountain Goats – Getting into Knives

Enfilade de bijoux précieux et exercices d’écriture : Darnielle, non content d’être la plus sympathique rock star de l’indé, continue son ascension musicale en tonifiant son propos à Memphis. La face B luxe de “Songs for Pierre Chuvin” paru cette année.

Et si John Darnielle nous avait, inconsciemment, refait le coup de 2002 ? Il y a presque vingt ans, The Mountain Goats quittait le sacerdoce lo-fi pour rejoindre l’écurie 4AD avec le policé « Talahassee » et surprendre tout son petit monde de l’entre-soi débraillé. La même année sortait aussi le cultissime “All Hail West Texas”, avec l’attirail fétiche (Boombox, souffles et cie) pour (ce qui semblait être) la dernière fois.
2020 aurait dû être l’année de “Getting into Knives”, enregistré à Memphis, avec les micros magiques récupérés des studios de la station de télévision country The Nashville Network, au Sam Phillips studio, lieu de création du premier Cramps (mais pas que). Mais pandémie, sorties différées et annulations de tournée en pagaille : Darnielle fouille dans ses caisses pour retrouver son vieux matos lo-fi et sort dans l’urgence une cassette pour sauver ses camarades du bouillon, le magnifique “Songs for Pierre Chuvin”.
“Getting into Knives” est un peu ombragé par le plaisir et la surprise d’avoir pu retrouver le « son » et l’esprit Mountain Goats des années de légende.
Trop poli, trop produit, arrivant après une cascade d’albums véritablement passionnants, on y trouve peu notre compte. Et c’est dommage.

Mountain Goats a trouvé un rythme et une formation de croisière, notamment depuis l’arrivée de Matt Douglas, nouvel élément fort dans l’architecture sonore. Aurait-on soupçonné des allures de Mark Hollis aux Mountain Goats ? Depuis “Heel Turn 2” sur “Beat the Champ”, on sait que c’est possible. Sur “Getting into Knives”, c’est avec “Tidal Wave” que Mountain Goats prend du champ et s’aventure très loin de son pré carré, vraiment au large.
Le spectre s’est élargi, les textures aussi (piano, cuivres..) mais avec une équipe plus resserrée et soudée que l’aventure “In League With Dragons” avec Owen Pallett et sa clique.
On sent qu’il s’agit d’enrichir mais de rester un groupe (chez Darnielle on joue évidemment et avant tout collectif). Avec une voix dominante, celle de Darnielle, plus en avant dans le mix, hyper projeté avec un bel écho. C’est la pièce dominante et la couleur principale de l’album.
On aime retrouver ce son caractéristique du power trio enrichi, la basse simple et lourde de Peter Hughes et les tricotages de batterie de Jon Wurster, ex-Superchunk, respectivement chez les Goats depuis 2002 et 2008. Ils sont l’ossature indispensable sur laquelle viennent se greffer les merveilles, telles cette petite guitare funky light à la Curtis Mayfield sur “Great Gold Sheep”.

Reste qu’il manque des titres vraiment marquants. “Get Famous”, anti-ode glorieuse à la célébrité tout à fait darniellesque bien dans l’ironie légère de “Goths”, ou “As Many Candles as Possible”, folk métalleux un peu lourd, pourraient prétendre à ce rang mais restent peut-être un peu trop distanciés. Pour preuve, cet anti-clip pour “Get Famous”, à rebours des agitations habituelles du métier (pour rigoler, selon les codes habituels, on reverra “The Legend of Chavo Guerrero”. C’est également touchant, selon l’habitude de Darnielle).

Darnielle reste un incomparable conteur mais on le sent peut-être un peu plus loin de ses personnages qu’auparavant. Comme toujours, l’aventure de l’écriture comme celle de l’enregistrement en studio reste un jeu. Ici, certains auront décelé des prétextes d’écriture issus de tweets comme “Picture of My Dress”, dérivé d’un tweet d’un projet avorté de la poétesse Maggie Smith ou “As Many Candles as Possible” sans doute inspiré d’un tweet d’un dérangé notoire lisible ici.
Les hypothèses sont séduisantes et s’accordent tout à fait avec l’esprit de Darnielle, toujours prompt à jouer avec les mots, les situations et décrire avec passion des moments de vie de marginaux avec ce regard tendre pour les gueules cassées de toute sorte. Y compris animale : “Wolf Count” raconte la fuite d’un loup traqué et, une fois encore, on peut sans doute y voir certains traits d’un jeune Darnielle aux prises avec ses démons. Encore une fois, on se réjouit d’avoir laissé la littérature contemporaine au sens strict pour le songwriting. La short story contemporaine est là.

“The Last Place I Saw You Alive” est-il un récit de serial killer ou d’ancien drug addict (Darnielle lui-même) ? On navigue toujours dans l’indécision, avec dans l’écriture des impressions fugaces de crainte, de folie, de passage à l’acte et, souvent dans cet album, l’empreinte décisive du passage du temps et de ces effets. C’est le sens de “Tidal Wave”, chanson cruciale : “not every wave is a tidal wave”. Avec son beat initial et son orchestration qui se déploie, les petites vagues nous défont aussi sûrement que les raz-de-marée.

C’est tout le parcours des Mountain Goats que de se construire pièce à pièce sans rien renier. Ni le hard rock un peu putassier (ce n’est pas pour rien qu’il cite Mr Steven Tyler dans “Picture of My Dress”) dans les couleurs criardes de “Rat Queen”, presque chute de “Use Your Illusions” de Guns ‘n’ Roses (tendance “Bad Obsession”), ni le rock anglais dans tous ses états (“Harbour Me”, grand écart entre Dire Straits et Prefab Sprout) ou amerloque (“Get Famous”, glorieux, entre college rock, et cuivres soul), sans compter qu’il s’offre la présence de Charles Hodges, l’organiste d’Al Green.
C’est d’ailleurs sur le morceau-titre, pièce majeure de l’album voire de la discographie des Mountain Goats, que l’intervention de ce dernier est la plus chouette, rivalisant avec les balais de la batterie et la guitare richmanienne de Darnielle.

On touche là au grand songwriting avec le récit de cet amateur tardif de coutellerie dont on ne sait s’il est collectionneur rêveur, assassin amateur ou professionnel pour la pègre ou l’état. Avec toujours ce regard touchant de l’homme abimé par la vie et raccroché à elle par une passion. Quelle qu’elle soit. C’est toujours cela que valorise Darnielle, aussi bien dans ses textes que dans ses instrumentations, sans aucun doute aussi dans la vie. Garder l’étincelle, source de joie, en humaniste au sens large et en dehors de tout dogmatisme. C’est ce qui nous le rend précieux bien au-delà des sorties de disques. En ces temps d’élections, on revote Darnielle.

Avec l’aide de Johanna D., qui coupe dans la brousse, coupe dans les bois.

Getting into knives est sorti le 23 octobre 2020 chez Merge.

Corsican Mastiff Stride
Get Famous
As Many Candles As Possible
Tidal Wave
Pez Dorado
The Last Place I Saw You Alive
Bell Swamp Connection
The Great Gold Sheep
Rat Queen
Wolf Count
Harbor Me
Getting into Knives

One comment
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