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Disques

Guy Blakeslee – Postcards from the Edge

Entre lâcher-prise et sophistication, écriture intemporelle et expérimentation, la quête spirituelle au lyrisme affirmé d’un Américain insaisissable.

Originaire de Baltimore, plus ou moins installé à Chicago, Guy Blakeslee mène depuis le début des années 2000 une carrière discrète et pour le moins insaisissable, dont on a longtemps peiné à trouver le fil directeur. Il aura fallu attendre 2017 et l’album “Book of Changes” sorti sous le nom d’Entrance (projet solo devenu peu à peu un véritable groupe) pour que l’Américain accède à une certaine reconnaissance. Sur ce disque richement produit, enregistré sur une période d’un an dans une douzaine de studios, il abandonnait son style psyché-blues lo-fi au profit d’une écriture plus classique, revenant aux sources folk et pop sixties, pour raconter une relation de la rencontre jusqu’à la rupture.

Signé de son propre nom, “Postcards from the Edge” apparaît comme le prolongement de cet album sans en être en aucun cas une redite. On y retrouve le même mélange de lyrisme et de préciosité et la même prédilection pour les morceaux plutôt longs (sept en 40 minutes pile ici), mais l’impression qui s’en dégage est celle d’une intensité accrue. Peut-être parce que la réalisation de cet album-ci a été nettement plus rapide. Si les chansons ont été écrites entre Londres, Paris et Bruxelles tout au long de l’année 2018 (« une tentative ratée de fuir les Etats-Unis », dixit Blakeslee), elles ont été enregistrées en une dizaine de jours seulement à La Nouvelle-Orléans en compagnie d’un certain Enrique Tena Padilla, producteur et musicien qui a travaillé avec Wand, Neon Indian et surtout The Oh Sees.

Dès ses premières notes et ses premiers mots, “Postcards from the Edge” prend des allures de quête intérieure, empreinte de spiritualité. Enrichi de chœurs qui lui donnent une dimension gospel, “Sometimes” est une célébration de l’instant présent, une invitation à rester ouvert à l’inattendu et à se laisser surprendre par le destin : “What’s the point in going / where you know what you will find? / So I try my best / to lose my way sometimes”. Un reflet à la fois du mode de vie sans attaches de l’auteur et de la conception même de l’album : peu après l’avoir rencontré à Los Angeles, Padilla a lui-même proposé à Blakeslee d’aller enregistrer à La Nouvelle-Orléans parce qu’il pouvait disposer du studio du Preservation Hall, lieu fameux qui perpétue la tradition jazz de la ville. Si l’on peut discerner dans ce morceau d’ouverture des influences locales (Matt Aguiluz du Preservation Hall a apporté sa trompette), on pense aussi aux tentations pop du Leonard Cohen seventies, “New Skin for the Old Ceremony” et surtout le mal-aimé “Death of a Ladies’ Man”, quand le Canadien semblait parfois s’égosiller pour se faire entendre par-dessus les arrangements kouglof de Spector.

Guy Blakeslee n’a pas peur lui non plus d’ouvrir grand les vannes, toujours au bord de l’emphase sans jamais y tomber. C’est d’ailleurs quand sa voix est le plus mise en avant, comme sur la ballade “Faces”, que l’album atteint des sommets. On est un peu moins séduit quand il la noie dans des effets bruitistes, résurgence de sa première manière (“Giving Up the Ghost”). Mais le plus souvent, il sait trouver le juste équilibre entre expression brute et enrobage sophistiqué, évoquant ici Spiritualized (le magnifique et suppliant “Hungry Heart”, qui n’est pas une reprise de Springsteen), là une étrange version maximaliste des Magnetic Fields (“What Love Can Do”). Le dernier morceau, “Blue Butterfly”, montre Blakeslee enfin apaisé, dissolvant peu à peu son moi dans son environnement : pendant plusieurs minutes, comme s’il s’était absenté et avait laissé tourner la bande, on entend les sons des rues de New Orleans, les échos lointains d’un brass band, un piano placide et la pluie qui tombe. Loin du fil du rasoir (“the edge”), et tout près du cœur.

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