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Regarde un peu la France : retour sur les années Lithium

Faire raconter la saga du label français Lithium (1991-2003) par l’ensemble des chanteurs et groupes qui ont fait sa renommée, telle est l’entreprise colossale à laquelle s’est attelé pendant plusieurs années Renaud Sachet. L’aboutissement de ce travail fouillé constitue un nouveau numéro, très étoffé, du fanzine “Langue pendue” (210 pages, 19 x 28 cm).

En grande partie constitué d’entretiens, « Les Années Lithium » comporte aussi une multitude d’archives, des photos inédites et une chronique pour l’ensemble des parutions.  Une mosaïque de sources qui dessinent petit à petit le contour d’un label unique, à la fois téméraire et influent. Entre autres faits d’armes, Vincent Chauvier, créateur de Lithium, a publié le premier Dominique A et bousculé le rock en France avec Diabologum. 

Ce récit d’un label indépendant qui a modifié le paysage musical vaut aussi comme un témoignage d’une époque d’avant la dématérialisation de la musique. Entretien avec Renaud Sachet, instigateur et auteur des “Années Lithium”.


Ça prend combien de temps de retracer toute l’histoire de Lithium ?

Écoute, concrètement, je m’y suis mis il y a quatre ans, j’avais consacré le deuxième numéro de “Langue pendue” à Lithium dans une version très légère. Et puis je me suis pris au jeu, et j’ai continué à contacter les groupes concernés. Il y a eu des moments plus denses bien sûr, des périodes plus calmes où les choses reposaient. Ces moments ont permis aussi que l’idée de ce travail circule, que les personnes se parlent entre elles, qu’elles me fassent plus ou moins confiance, de trouver des sources pour la documentation et les photos, même si j’avais déjà rassemblé beaucoup de matériel. 

Ton travail repose sur un très grand nombre d’entretiens, avec presque tous les artistes du label… Comment as-tu procédé ? 

J’ai changé de méthode au fur et à mesure : d’abord rendus par écrit, les entretiens se sont faits de plus en plus par téléphone, j’ai gagné un peu en assurance, même si ce n’est pas mon travail, je n’ai pas les méthodes d’un journaliste. C’est aussi une histoire que je suis depuis ses débuts. J’ai écouté la plupart des disques quand ils sortaient, j’ai vu pas mal des groupes en concert, j’ai croisé certaines personnes qui sont interviewées à l’époque. Je tiens à l’identité de fanzine parce que c’est avant tout un travail de fan, avec ses limites et ses travers, je me raconte beaucoup dans la discographie commentée, par exemple, beaucoup de textes partent d’expériences très personnelles. Pour aérer un peu le propos, comme j’écris pour Section 26, j’ai demandé aux rédacteurs de ce webzine, à d’autres personnes aussi, si ça les intéressait de choisir un disque du catalogue Lithium comme sujet d’un texte. En parallèle à tout ça, il fallait réunir de la documentation, des extraits de fanzines. Je voulais aussi avoir le plus de documents photographiques inédits. Avec les réseaux, les choses peuvent aller vite, mais le danger est de se noyer dans les informations. Bon, tu vois, c’était un peu chaotique et très empirique, comme un puzzle qui s’assemblait lentement. Heureusement, à la fin du processus, j’ai travaillé avec Pauline Nunez qui, avec sa science du graphisme, a remis de la clarté dans cette densité. Elle a rendu les choses lisibles.

Diabologum, “365 jours ouvrables”, live @ Nulle part ailleurs, 1996 


Quelle a été la première référence Lithium qui t’ait séduit et/ou interpellé ?

À l’époque, Lucievacarme m’a très vite intrigué parce qu’ils partageaient des influences anglo-saxonnes qui m’étaient familières. Dominique A aussi évidemment, un ami avait récupéré en cassette son “Disque sourd”, le brouillon de “La Fossette”. Je ne savais pas si j’aimais ou pas d’ailleurs, le choc esthétique était très fort pour moi, même si j’avais l’intuition qu’il changeait quelque chose dans le cours de notre histoire musicale. Le disque de Peter Parker reste un de mes préférés aussi. Même si Michel Cloup pense que c’est juste une œuvre de jeunesse, pour moi, c’est un classique. C’est ensuite Diabologum qui m’a profondément touché, ils étaient mes amis imaginaires, ils évoluaient sous mes yeux, grandissaient artistiquement en direct. C’était magique, complexe. Après, je te fais l’histoire complète, là : je suis scotché devant ce que réalise Programme, un truc indépassable à mes yeux. Ils créent leur langage, ils enregistrent deux chefs-d’œuvre, leur musique m’accompagne au début des années 2000, c’est ma bande-son perso, secrète. J’écoute encore ces disques, et sans ce truc de nostalgie, puisqu’ils n’ont rien à envier à ce qui sort actuellement, et à ce qui les a précédés d’ailleurs. 


Comment définirais-tu l’identité artistique de Lithium en quelques mots ?

C’est compliqué parce que mine de rien, le catalogue est riche en propositions. Ça n’est évidemment pas très festif tout ça ! Disons que c’est l’expression d’une certaine noirceur par des jeunes gens de cette époque, une fin de siècle. Ils étaient à la fois percutés par des influences anglo-saxonnes et libérés par des moyens techniques d’enregistrement de plus en plus légers, avec un désir avoué ou pas d’en sortir un nouveau langage. Ils sont au croisement de la chanson, du rock et d’une variété parlée-chantée un peu bizarre. Ce qui est intéressant, c’est que Lithium ne reste pas dans un confort reclus, le label, de par son association avec Labels, une structure de distribution (pour aller vite) mise en place par Virgin, tente de faire passer son message auprès d’un public large, au risque d’y laisser sa peau, ce qui arrivera fatalement. Mais ça a marché : Dominique A touche quasiment le jackpot avec “Le Twenty-Two Bar”. Et ça a failli marcher avec le “#3” de Diabologum, à une tournée près, à un disque près, à mon avis, de devenir ce que Noir Désir était pour la génération précédente. 

Dominique A, “Le Twenty-Two Bar”


Selon toi, la « couleur » Lithium a-t-elle évolué au fil des années ?

Comme je le disais, pas sûr qu’il y ait eu de la couleur, même une seule ! J’exagère. Mais je vois plutôt plusieurs teintes de noir, comme un tableau de Soulages qu’on interprèterait selon l’angle avec lequel on l’observe, la distance, les lumières autour de nous faisant le reste. Je me suis astreint à découper l’histoire du label en quatre grandes périodes portant le titre d’une chanson ou d’un album de cette période : “Essaie de comprendre”, “Le goût du jour”, “L’arrière-monde” et “Génération finale”. Je trouve qu’ils reflétaient bien l’évolution de Lithium : d’abord le label offrait une proposition nouvelle au public, aux autres musiciens et aux journalistes, puis il frôlait une forme de reconnaissance voire de succès avant de s’en éloigner, de louper le coche, c’est selon, et de grossir les rangs de certaines marges. Avant de finalement tirer un trait par des œuvres radicales en fin de parcours.

Serais-tu d’accord pour dire qu’il y a une visée « subversive » chez Lithium, une volonté de  renverser ou menacer l’ordre établi, les valeurs en vigueur de la pop et du rock ? 

Ma réponse serait plutôt non, ça serait réécrire l’histoire et pas dans un sens très juste. D’autant plus qu’à mon avis il faut se méfier de l’idée de subversion en musique, je n’y crois pas trop. Je pense que Vincent Chauvier voulait juste construire une maison de disques intéressante, avec des idées de départ assez classiques : signer des groupes rock, vendre des disques. Il s’est rendu compte avec Dominique A, puis avec les autres artistes qu’il a rencontrés au fur et à mesure qu’il pouvait ouvrir une voie nouvelle en France, ou en tous les cas proposer des choses qui n’étaient pas déjà rabâchées. Mais il n’y avait pas de préméditation, ni chez les artistes d’ailleurs, quand on lit leurs entretiens, ils faisaient surtout ce qu’ils pouvaient ! Aux innocents les mains pleines, je dirais. 

Mendelson, “Par chez nous”

En ce qui concerne ton ouvrage, pourquoi une majorité d’entretiens et non un récit ?

Je me suis posé énormément de questions sur la forme. J’aime beaucoup ce que les anglais appellent « oral history », l’entrecroisement et le montage de plusieurs entretiens qui racontent une histoire générale. J’ai exploré ça, en parallèle avec le travail sur Lithium d’ailleurs, pour le livret de la réédition des Calamités qui va sortir chez Born Bad au printemps, c’est super à faire, interroger un grand nombre de personnes, isoler des thématiques et faire se répondre les gens à distance. Pour Lithium, j’ai préféré ne pas toucher aux entretiens, ne pas les mélanger, laisser l’histoire dans sa fluidité personnelle, dans les mots de ceux qui l’ont réellement construite et vécue. J’ai gardé un fil chronologique, mais ça reste un récit à plusieurs entrées, à chacun de reconstituer sa propre histoire du label, avec ses groupes favoris. Et surtout, pour moi, la discographie commentée me permettait d’ébaucher un récit, un récit à la première personne. “Les Années Lithium” reste un fanzine, comme je l’ai dit. En revanche, j’espère qu’il pourra servir de socle pour d’autres travaux à venir sur Lithium, ça serait son plus bel accomplissement. 

Le créateur du label, Vincent Chauvier, n’a pas souhaité s’entretenir avec toi ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?

Alors si, on a beaucoup échangé par écrit puis par téléphone, mais sans qu’il en sorte quelque chose pour “Les Années Lithium”. Il ne voulait pas y participer pour des raisons qui lui sont propres et que je respecte. Je préfère ne pas parler à sa place, j’espère juste qu’on aura un jour sa version de l’histoire. Flóp m’écrivait hier que “Les Années Lithium” était une lettre d’amour à Vincent. Je n’irai pas jusque-là, mais j’espère qu’il le recevra avec beaucoup d’ondes positives.  

Programme, “Demain”


Des nouvelles de Vincent Chauvier ? Que fait-il aujourd’hui ? 

Je n’en sais rien ! Et même si je suis extrêmement curieux, je n’ai pas vraiment cherché à le savoir.

Selon toi, qu’est-ce qui explique la séparation de Diabologum, après un tel album ?

Concernant le “#3”, si tu lis tous les entretiens qui sont en lien avec Diabologum dans le fanzine, tu pourras te faire ta propre idée. Pour ma part, je dirais ni plus ni moins que toutes les raisons auxquelles on peut penser quand un groupe se sépare : fatigues, frustrations, désaccords, évolutions…

Étant donné qu’il ne reste que 20 exemplaires de “Les Années Lithium” à l’heure où nous parlons, un retirage serait-il envisageable ?

C’est la grosse prise de tête du moment. Je vais voir, selon la demande. Soit je fais un retirage à la rentrée, soit on fait autre chose avec un vrai éditeur, tout est possible. Et puis, on a encore deux soirées de concerts à Metz et Colmar autour du livre avec Michel Cloup, Françoiz Breut, Pascal Bouaziz, Anne Tournerie, Pierre Capot et Julien Rufié, accompagnés du jeune groupe strasbourgeois Sinaïve, pour une soirée Lithium. C’est le 29 et le 30 avril. Après ça, je verrai où en sont mes stocks ! 

Un autre label français pourrait-il t’inspirer un tel travail ?

Il y a un label qui me passionne, c’est le label Réflexes. J’ai entrepris quelques recherches, mais ça n’est pas un label que je suivais quand il existait, je n’ai pas ce lien affectif que j’ai avec Lithium, ça serait un autre type de méthode de travail, du coup un véritable travail d’historien. On verra. De toute façon “Langue Pendue” 12 et 13 sont déjà sur les rails, bien avancés, mais ils ne concernent pas des labels !

Un mot à propos des prochains numéros ?

Les prochains “Langue Pendue” seront consacrés à des disques importants pour moi, le n° 12 est un spécial “Fugue” de Mehdi Zannad. J’espère le terminer pour l’automne.


Les tops Lithium de Renaud Sachet : 

Top 10 des albums Lithium

  • Programme – L’enfer tiède
  • Dominique A – La Fossette
  • Peter Parker Experience – Peter Parker Experience
  • Programme – Mon cerveau dans ma bouche
  • Mendelson – Quelque part
  • Diabologum – #3
  • Dominique A – Remué
  • Françoiz Breut – Françoiz Breut
  • Lucievacarme – Milky Way
  • Diabologum – C’était un lundi après midi semblable aux autres

Top 5 des chansons Lithium

  • Peter Parker Experience – Esclave cardiaque des étoiles
  • Delaney – Une musique tragique
  • Mendelson – Katherine Hepburn
  • Holden – La Machine
  • Perio – Billboard 2

Top 5 des concerts Lithium

  • Programme – Ososphère, Strasbourg, 2002
  • Diabologum, MJC, Colmar, 1994 / Diabologum, La Laiterie, Strasbourg, 1997
  • Mendelson, Grillen, Colmar, 2000
  • Peter Parker Experience, Arapaho, Paris, 1993
  • Dominique A, La Salamandre, Strasbourg, 1994

Top 5 des pochettes

  • Françoiz Breut – Françoiz Breut
  • Bertrand Betsch – La soupe à la grimace
  • Jérôme Minière – La nuit éclaire le jour qui suit
  • Programme – Mon cerveau
  • Da Capo – Minor Swing

Le numéro spécial de “Langue Pendue” sur le label Lithium (210 pages, 19 x 28 cm) : 22 €. Information et commande : https://languependue.com/


Quelques rédacteurs de POPnews donnent leur top 5 des albums Lithium :  

Vincent Arquillière 

  • Dominique A – La Fossette
  • Diabologum – #3
  • Mendelson – Quelque part
  • Perio – Medium Crash
  • Expérience – Aujourd’hui, maintenant

Guillaume Delcourt

  • Dominique A – Si je connais Harry
  • Dominique A – La Mémoire neuve
  • Programme – Mon cerveau dans la bouche
  • Programme – L’Enfer tiède
  • Peter Parker Experience – Peter Parker Experience

Thomas Ess

  • Diabologum – #3
  • Perio – Medium Crash
  • Dominique A – Remué
  • Françoiz Breut – Françoiz Breut
  • Mendelson – Quelque part

Mathieu Gandin 

  • Diabologum – #3
  • Dominique A – La Fossette
  • Mendelson – L’Avenir est devant
  • Françoiz Breut – Françoiz Breut
  • Programme – Mon cerveau dans ma bouche

John Harrison 

  • Dominique A – La Mémoire neuve
  • Dominique A – La Fossette
  • Diabologum – # 3
  • Françoiz Breut – Françoiz Breut
  • Lucievacarme – Milkyway

Vincent Le Doeuff 

  • Diabologum – #3
  • Experience – Aujourd’hui, maintenant
  • Programme – Mon cerveau dans la bouche
  • Dominique A – La mémoire neuve
  • Mendelson – Quelque part

Geoffroy Séré

  • Diabologum – #3
  • Mendelson – L’Avenir est devant
  • Dominique A – Remué
  • Emma – Trade Winds in a Loft
  • Mendelson – Quelque part
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