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Interviews

Miossec : « Je n’ai jamais voulu arriver à un gros niveau de renommée »

Depuis plus de vingt-cinq ans, le chanteur brestois Christophe Miossec délivre une poésie brute, sans concession ni compromis, toujours prêt à décrire une réalité pas toujours reluisante mais qui, de ce fait, révèle souvent sa profonde humanité. En onze albums, de “Boire” en 1995 au dernier en date “Les Rescapés” en 2018, il a su présenter sa propre version de la chanson française, allant de la musique dépouillée des débuts à des titres plus arrangés, en passant par un registre plus rock ou plus folk. Pour revenir avec lui sur cette riche carrière, nous avons pu rencontrer Miossec fin mai, dans la salle qui l’a vu débuter et depuis tant de fois briller, le cabaret Vauban à Brest, à l’occasion du dernier concert de sa tournée “Boire, écrire, s’enfuir” qui, à partir de 2020, a célébré les vingt-cinq ans de son premier album “Boire”. Un Miossec en petite forme, en délicatesse avec ses cordes vocales, mais qui, bien qu’il cherchait à préserver sa voix en prévision du concert du soir, a bien voulu répondre à nos questions.

Nous sommes ici au Vauban. En quoi cette salle est-elle particulièrement importante pour toi ? Que dirais-tu pour la présenter aux personnes qui ne la connaissent pas ?
C’est le cœur de la ville de Brest. C’est une salle de 1947 qui est restée dans son jus, qui est splendide et qui est un fantasme de musicien. Ce qui est encore plus dingue, c’est que tu dors au-dessus, tu manges au milieu et tu joues en-dessous (le Vauban est aussi un hôtel et un restaurant, NDLR). Et tu remontes, tu remanges, tu redors et tu redescends. Être là pendant deux jours, c’est un bonheur.

Tu pourrais presque vivre ici, tout faire ici, sur place.
J’y ai passé déjà beaucoup de temps… (sourire)

Plus globalement, tu restes très attaché à Brest. Tu es parti, tu es revenu. Et tu connais très bien la ville, comme on peut le voir dans le documentaire “Abers Road” que tu as fait avec Gaëtan Roussel récemment. Pourquoi conserves-tu cet attachement à cette ville ?
Une grande partie de mon cerveau est faite de cette ville. Je suis un vrai Brestois. C’est toujours pareil, les sentiments qu’on a l’impression de croire individuels, il y en a plein qui les partagent, qui sont brestois (sourire). Brest, c’est un peu comme une île, c’est une enclave linguistique déjà. On fait cinq kilomètres en dehors de Brest, on est ailleurs. Brest, c’est le port, c’est citadin… Et puis, c’est toute ma famille, ça commence à faire beaucoup de monde. (sourire)

C’est vrai que c’est une ville à part en Bretagne, en particulier au niveau de la langue.
Oui, et au niveau de l’ouverture d’esprit. Dans ma famille, c’était dingue. Quand j’étais gamin, je recevais des lettres du monde entier. Un Breton ne reçoit pas des lettres comme ça, d’Indonésie, de Djibouti, du Tchad, de Nouvelle-Calédonie… Entre l’arsenal et la Marine nationale, ça fait qu’il y a du Brestois partout.

Ce soir, c’est le dernier concert de la tournée “Boire, écrire, s’enfuir” qui célèbre les vingt-cinq ans de ton premier album “Boire”. Comment s’est passée cette tournée ?  Et qu’est-ce que ça fait de jouer sur scène cet album quasiment en entier, plus de vingt-cinq ans plus tard ?
C’est le pied. On reste tel qu’on est, c’est ça qui est étonnant. Vingt-cinq ans ont passé et les textes sont dans la chair. Ça ne consiste même pas à les reprendre, ils sont là.

Tu as souvent dit que tu prenais ton pied à faire des concerts, en particulier ces dernières années. Mais justement, qu’est-ce qui te plaît vraiment ?
La vie est tellement dingue le temps d’un concert, c’est fou… Il y a la vie de tous les jours et il y a les concerts. Dans la vie, je ne suis pas une grande gueule qui va l’ouvrir en permanence. Du coup, le mec qui est plutôt timide de nature et qui se retrouve avec un micro, ça me fait plutôt marrer.

Au cours de ta carrière, les musiciens qui t’accompagnent sur scène ont beaucoup changé. Pourquoi ?
Je pense que c’est obligatoire pour un chanteur, parce que, si tu continues avec les mêmes musiciens, tu fais toujours la même musique. La vie est courte et il y a plein de genres musicaux que j’aime bien. Je n’ai jamais refait la même chose. Généralement, quand les gens ne changent pas de musiciens et gardent leur équipe, c’est parce que le disque marche et ils refont un disque qui marche pareil. D’accord, ils restent fidèles aux musiciens qui les accompagnent mais tout ça est fait dans une optique commerciale, ce n’est pas amical. Le chanteur fait le mec sympa avec ses musiciens sur scène, mais après, ce n’est pas forcément pareil…

Tu as pu rencontrer beaucoup d’artistes dans ta carrière. Quelle rencontre t’a le plus marqué ? Et pourquoi ?
Je ne pourrais pas dire laquelle m’a le plus marqué parce que ce serait faire une sorte de podium un peu étrange. C’est vrai que lorsque j’ai rencontré certaines personnes, j’avais envie de me pincer pour être sûr que c’était réel ! Mais après, une fois que la timidité est passée, c’est autre chose. Tu as le prétexte de travailler, tu n’es donc pas là comme un glandu à regarder la personne.

Parmi les artistes actuels, avec qui rêverais-tu de travailler ?
Non, je n’ai pas de rêve comme ça. Je suis à Locmaria-Plouzané, je travaille dans mon coin sur le prochain disque. Je suis dans mon travail et je ne rêve à personne d’autre. Je n’ai jamais été trop dans le fantasme d’aller accrocher des noms qui font bien. Les gens avec qui j’aurais aimé travailler, ce sont plutôt des Américains ou des Canadiens anglophones, mais le rapport à la langue française fait que ce serait ridicule.

En interview, tu as souvent évoqué ce syndrome de l’imposteur que tu as longtemps éprouvé, ce sentiment de ne pas être à ta place, de ne pas mériter ça. Pourquoi as-tu longtemps ressenti ça ?
Avec “Boire”, c’est parti très vite. A l’époque, je ne comprenais pas pourquoi ça tombait sur moi. Pourtant, j’avais beaucoup travaillé en solitaire avant d’arriver à ce premier disque mais, malgré tout, le fait que ça marche, c’est un drôle de truc. Puis, quand tu as fait plein de boulots avant dans ta vie, tu te dis que tu as trop de chance. C’est une maladie assez répandue mais, avec l’âge, ça passe.

Si on revient sur ta carrière de manière plus globale, quelle est ta période préférée s’il y en a une ? 
Je dirais maintenant ou demain parce que c’est ça qui est bien avec la musique, on a toujours l’impression que ça va être mieux. On est peut-être naïf, peut-être que ce qu’on a fait de mieux est déjà passé. Mais on reste dans l’illusion qu’on peut faire quelque chose de bien alors que, tout ce que je vais pondre à partir d’aujourd’hui, ça va peut-être être horrible. Mais je ne le sais pas.

Dans ta carrière, as-tu des regrets ? Tu referais tout à l’identique ?
Oui, surtout au début quand ça devenait gros et qu’il fallait massacrer un peu tout ça. “Baiser”, le deuxième disque, on l’a fait dans un tout petit studio avec des tout petits moyens. Je sentais qu’après “Boire”, ça pouvait décoller complètement et je n’ai jamais voulu arriver à un gros niveau de renommée. Tout ça ne m’intéresse pas du tout. Ce n’est pas mon truc de passer à la télé, de faire des tubes qui passent à la radio. C’est un autre métier, je trouve.

Sur ta carrière, dans quel domaine estimes-tu avoir progressé ?
Sur scène même si, à un moment donné ça va repiquer aussi, et on ne sait pas quand. (sourire)

Vers quelle direction musicale veux-tu aller maintenant ?
Vers le minimalisme. Faire comme avant “Boire”, quand j’étais tout seul, quand personne ne me connaissait. Je reviens à mes origines. Du coup, c’est plus de boulot, je ne me rends pas la vie facile.

Photo : Richard Dumas

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