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Disques

Dylan Municipal – Tigre dans le tigre

La singularité incroyable de Dylan Municipal reste intacte sur “Tigre dans le tigre” dont l’ambition affichée est d’être « un album qui espère sonner comme une collaboration musicale entre Kraftwerk, Alain Bashung, Gorillaz et Brigitte Fontaine (en version très très dilettante) ».

Le groupe se présente de la manière suivante : « Dylan Municipal est un groupe lillois qui est un peu à la pop francophone ce que Pluton est au système solaire : un outsider largué (et loin du soleil et ses coups) ». Il est initialement constitué de deux têtes pensantes : à Matthieu l’essentiel d’une composition musicale pointue et exigeante ; à Damien le spoken word décalé, la trouvaille de samples riches de promesses et la gargantuesque et tordante conception graphique. Le duo a été rejoint depuis quelques années par Anthony et Rémi. Le groupe a produit trois albums, un EP, un oratorio (!) et une flopée de compilations (toutes hautement recommandables, chez piloTTi Records), dans lesquels se dévoile un univers musical d’une originalité sans équivalent.

Chez Dylan Municipal, la musique est l’arbre qui ne cache pas la forêt constituée de textes sidérants de drôlerie et de décalage. Sans rien trahir d’une recherche ambitieuse dans la composition musicale, “Tigre dans le tigre” est en premier lieu l’occasion d’expérimentations électroniques à travers l’utilisation de synthés chinés chez Add N to X ou Boards of Canada. Il se dégage alors de l’album une fraîcheur organique qui hypnotise l’auditeur. C’est en particulier perceptible sur la longue plage finale “La Dame aux couteaux”, une collaboration avec Raphaëlle Duquesnoy qui avait produit leur précédent album. Ici, une contrebasse distordue enlace des volutes de cuivres sur un beat obsédant. “V pour ventriglisse” ondule inlassablement ; “Le Survivant” propose une musique derviche qui pourrait aussi tourner à l’infini, comme une évocation des musiques compositions gracieuses de Trisomie 21. Ailleurs, on retrouve leur marque de fabrique constituée d’arpèges de guitare subtils et suspendus (“Denver d’ailleurs”). Un sommet est atteint sur “Vivement”, véritable pépite comeladienne, empreinte d’une douce et légère mélancolique.

Et puis, donc, il y a le reste. Le chant parlé de Damien est évidemment inspiré aussi bien par la peinture réaliste et sensible de Pascal Bouaziz, que par la capacité à créer son propre rythme, héritée d’Arnaud Michniak. Mais, ici, il se rapproche aussi de Brigitte Fontaine ou Alain Bashung pour créer sa propre musicalité. La méthode utilisée pour écrire les textes reste un mystère que les historiens n’auront probablement de cesse d’étudier lorsqu’ils voudront témoigner de la culture artistique au XXIe siècle. Est-ce de l’écriture automatique ? Est-ce la projection brute de toutes les idées qui traversent le cerveau surstimulé de son auteur ? Est-ce le fruit de mois de corrections et de réécriture pour parvenir à l’essence du propos ?

Cette question est moins importante que le résultat, parfaitement sidérant. Il est impossible de deviner les méandres dans lesquels vont nous entraîner les morceaux. L’auditeur navigue entre le burlesque, l’absurde et l’extravagance, la critique sociale n’étant jamais très loin : « Amateur de sensations faibles, je pratique le ventriglisse à vitesse hyper modérée » ; « N’hésitez pas à le dire à votre président, le ruissellement, ça ne marche que sur les poils des félins ». 

Au-delà, une connexion inattendue s’établit avec le dernier roman de Nicolas Mathieu, “Connemara”. Cette comparaison ne se fonde pas que sur l’évocation, commune à ces deux œuvres, de la fameuse chanson de Michel Sardou. Le roman de Mathieu, bien que profondément ancré dans la culture générationnelle de ceux qui eurent 20 ans dans les années 90-2000, dégage une forme d’universalisme auquel s’identifie profondément le lecteur. L’extraordinaire chanson « 1983 (Barbara)” de Mendelson avait également ce pouvoir. Transcendant l’effet madeleine de Proust, ce texte, ces musiques nous touchent, nous émeuvent. “Tigre dans le tigre” fait de même en convoquant Denver le dernier dinosaure, E.T., Madonna dansant pour Patrick Hernandez ou encore l’actrice Marie-Pierre Casey. Et l’on rugit de plaisir.

“Tigre dans le tigre” est sorti le 17 juin 2022 chez piloTTi Records.

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