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Sinaïve : « Il fallait créer son propre modèle »

Sorciers post-modernes envoûtant leur auditoire à coups d’ambiances mystérieuses et elliptiques, donnant l’envie de se perdre et de s’abandonner dans cet évanescent et enveloppant bain électrique, le groupe strasbourgeois Sinaïve a su marquer les esprits au cours de ses quelques années d’existence. D’où l’impérieuse nécessité de parler de ce groupe, tant il était impossible de taire plus longtemps ce secret trop bien gardé. Mais, plutôt que d’écrire à son sujet, il était encore préférable de le rencontrer afin de lui donner la parole. C’est ce que nous avons pu faire en mai dernier, à l’occasion d’une petite tournée des jeunes Alsaciens, consécutive à la sortie de “Répétition”, leur dernier EP en date. Quelques heures avant leur concert au Ty Anna à Rennes, nous avons ainsi pu nous entretenir avec Calvin Keller (guitare et chant), Alicia Lovich (batterie) et Séverin Hutt (basse) qui avait alors rejoint le groupe depuis quelques mois seulement. Un entretien en toute simplicité et en toute sincérité lors duquel le groupe a pu notamment nous parler de son évolution, exprimer sa motivation et donner également quelques informations sur son album à paraître dans les prochains mois.

Suite à la sortie de votre EP “Répétition” il y a quelques semaines, vous donnez maintenant une poignée de concerts à travers la France pour le promouvoir. Comment se passe cette tournée ?
Calvin Keller : Cette mini-tournée se passe bien. Elle a commencé par une date à Orléans et elle finit par les Eurockéennes en juin. En tout, on a six ou sept dates. Orléans, c’était super. On a plutôt l’habitude de Paris maintenant, on a quand même beaucoup joué à Paris pour un groupe non-parisien et, de jouer ailleurs, ça nous fait du bien. Ce qui est fou, c’est que c’est notre premier concert à Rennes, au bout de cinq ou six ans d’existence. Mais ça devait arriver maintenant, on a donc trop hâte de jouer, juste le fait de venir dans l’Ouest.

Comment s’est passé l’enregistrement de cet EP ?
On avait une proposition pour enregistrer aux studios de Rodolphe Burger qui sont basés dans les Vosges alsaciennes, un peu en bas de Strasbourg, la ville où nous habitons. On a rencontré Rodolphe Burger et il a proposé de nous aider à enregistrer quelque chose. Il ne savait pas trop quelle forme il voulait proposer, il voulait voir avec nous. Du coup, plutôt que de s’éparpiller ou de rejouer les mêmes morceaux pour mieux les enregistrer, on s’est dit que c’était le bon moment pour en enregistrer des nouveaux, c’est-à-dire composer pour l’occasion, presque en autant de temps qu’il fallait pour les enregistrer. C’était donc uniquement des morceaux inédits, sauf un que l’on jouait déjà en concert. On a basé cet EP autour du titre “Citadelle/Bis Repetita”. On a enregistré en deux fois trois jours et c’était super. C’était un cadre que l’on n’avait pas connu, consistant à enregistrer en groupe. Jusqu’ici on avait beaucoup enregistré en plusieurs étapes, piste par piste, et là c’était la première fois qu’on enregistrait comme en live, dans le studio. On a eu le temps de faire six morceaux. Si on avait eu le temps d’en faire dix, il y en aurait eu dix. Si on avait eu le temps d’en faire deux, il y en aurait eu deux. Mais voilà, il y en a eu six. Notre attaché de presse appelle ça un EP mais c’est quand même presque un album, avec trente-six minutes de musique. On l’appelle mini-album mais, au bout du compte, ce n’est pas moins long qu’un album des Beatles.

Pourquoi ce titre de “Répétition” pour cet EP ?
C’est parti d’un jeu de mots entre le fait d’avoir déjà ce morceau “Citadelle/Bis Repetita” qui est le plus répétitif que l’on ait jamais composer, et de savoir qu’on allait dans un studio où on allait répéter les morceaux pour les jouer. En gros, c’est un peu l’inverse de dire que l’on sort un live, on sort “Répétition”. Ça semblait drôle, c’est notre humour, ça vaut ce que ça vaut !

Je trouve que votre musique apparaît plus ample et plus étoffée sur ce nouveau disque. C’était le but, la direction recherchée ? Et s’il y en a une, vers quelle direction musicale voudriez-vous aller dans l’avenir ?
Tu dis « plus étoffée » mais j’ai l’impression qu’on en a fait un peu moins justement, par rapport aux enregistrements d’avant où il y avait beaucoup plus de pistes, beaucoup plus de choses. Ce n’était pas forcément des choses qui s’entendent parce que, des fois, quand on a trop de pistes, on n’entend pas tout. Là, il y avait juste les prises qui ont été jouées. Le but était de ne pas refaire de guitares, même si j’ai refait une fois quand même parce que je ne peux pas m’en empêcher. Sinon, c’était vraiment guitare-basse-batterie et chant. Mais ça paraît peut-être plus étoffé parce que c’est enregistré avec un meilleur matériel dans un vrai studio avec une vraie console où je ne sais même pas de quoi on parle. S’il n’y a pas l’intendant du studio, on ne sait même pas appuyer sur « On ».
Pour répondre à ta deuxième question, je ne sais pas dans quelle direction on va sachant qu’on a déjà un album qui est prêt, qui a été enregistré avant. Du coup, depuis qu’on est avec Séverin, on joue forcément les choses un peu différemment et ce que l’on fera après ira dans le sens de ce qu’on est en train de mettre en place en ce moment. L’album qui va sortir, je ne sais pas trop comment le juger vu qu’il a été enregistré avant “Répétition”, un peu avec les mêmes méthodes que nos précédentes sorties, mais avec une approche différente, un peu moins… (Se tournant vers Séverin) Comment tu dirais ?
Séverin Hutt : L’album est plus calme, plus travaillé, plus pop en fait.

Comment jugeriez-vous votre évolution musicale depuis vos débuts ?
Calvin : Je suis le seul membre originel et je sais qu’au tout début, on avait une vision très étriquée de ce qu’on voulait faire. Dans ma tête, j’ai donc l’impression d’étendre le champ des possibles parce qu’on est vraiment partis de rien. Début 2020, on a sorti “Révélation Permanente Bootleg” et on est vraiment partis de ça c’est-à-dire presque rien, une boîte à rythmes, un son de basse, une guitare saturée… Moi je sais de mieux en mieux chanter, Alicia qui est venue en 2020 fait plein de choses que l’on ne faisait pas avant. Avec la relation à deux dans le groupe, on échange beaucoup et on rebondit beaucoup l’un sur l’autre.
Alicia Lovich : Je pense que ça a toujours évolué un petit peu mais c’est surtout le moment où il y a eu le Covid, c’est le moment où Leo (Leo Heitz-Godot, ancien membre du groupe, ndlr) est parti et où on a changé de line-up. C’est un moment où ça a vraiment changé pour moi. Ça dépend beaucoup du changement de line-up.
Calvin : Oui, on est ouverts à ce qui peut se passer dans la dynamique d’un line-up. Comme ça fait quelques mois qu’on travaille avec ce line-up-là, les choses vont peut-être aller vers de moins en moins de bullshit et plus de contenu.

Justement, c’est vraiment avec “Révélation Permanente Bootleg” que j’ai commencé à accrocher à votre musique. Si ce CD n’était pas un album, qu’est-ce que c’était ? Un recueil de démos ?
Je ne sais pas trop parce que, pour Séverin qui est là et qui nous connaissait déjà à l’époque, c’est le premier album de Sinaïve.
Séverin : C’est le vrai point de départ du groupe. Un truc vraiment minimaliste, très agressif, avec une boîte à rythmes qui tombe…
Calvin : Oui, le côté un peu plus Suicide peut-être, qu’il y a moins maintenant. Je considérais ça comme des démos à l’époque mais aujourd’hui, ça n’a plus trop de sens. Vu que ce sont des démos pour un album qui n’a pas été enregistré, il vaut autant considérer ça comme un recueil montrant comment on sonnait vraiment. Brut, pas d’overdubs, pas de vrai travail de studio en fait. De toute façon, on ne savait pas faire ça à l’époque, on ne maîtrisait pas de logiciel. On enregistrait sur un lecteur de cassettes.
Séverin : C’est aussi le premier disque que vous avez entièrement enregistré et produit vous-mêmes.
Alicia : Et sorti en objet, fabriqué, très DIY.

Pourquoi avoir formé ce groupe au début ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer, de franchir le pas ?
Calvin : Personnellement, s’il y avait eu un groupe qui faisait le taf, je n’en aurais pas fait un. Je pense que je ne me serais pas senti obligé de faire quelque chose. C’est juste que je ne voyais pas de truc qui me ressemblait. A la base, je voulais former un groupe que je voulais écouter aussi, en français en tout cas. Même si je connais beaucoup plus de choses aujourd’hui et si j’écoute de la musique francophone, j’écoute beaucoup plus de musique anglophone, je ne vais pas mentir. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de modèle qui est créé en France pour nous, on n’a pas de groupe référent. Même si, à un moment, on nous a comparés un peu à Diabologum dans l’esprit, c’est quand même différent. Faisons exprès de citer les plus connus mais, que ce soit Noir Désir ou Téléphone, on n’a rien à voir avec ça. Il fallait créer son propre modèle. (Se tournant vers ses camarades) Et vous, qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre un groupe comme Sinaïve ?
Séverin : J’ai connu Sinaïve avant même qu’il y ait trois personnes. J’ai vu leur premier concert et j’ai toujours aimé. Le bootleg, c’est mon disque préféré même si je ne voudrais plus du tout rejouer ça (rires). Je suis Sinaïve depuis le début et l’avais déjà fait de la musique avec Calvin à quelques reprises.
Calvin : Je pense qu’il faut comprendre aussi de quelle ville on vient et à quel point…
Séverin : C’est la seule option, en fait. C’est le seul groupe de tout l’Est que j’ai réussi à trouver.
Calvin : On vient d’une ville où il y a beaucoup plus ça (passe alors, en fond sonore dans le bar, un peu de disco-funk, ndlr). Le « funk de conservatoire » n’est pas vraiment notre truc. Après, si un groupe de Strasbourg voulait sonner comme ça, est-ce qu’il sonnerait comme ça ?
Séverin : Non, les gens de Strasbourg sont tous très polis, très lisses, trop consensuels et pas très rock’n’roll. Il n’y a pas d’esprit très rock’n’roll dans cette ville.
Calvin. Pas du tout. C’est pour ça que je te disais qu’on était contents de venir dans l’Ouest parce qu’on nous a vendu l’Ouest comme un Eden du rock’n’roll.

Concernant votre ville de Strasbourg, de temps en temps, vous y faites référence dans vos chansons. Que ce soit dans les paroles de vos chansons ou dans vos déclarations, il semble y avoir une relation d’amour-haine avec cette ville. Je me trompe ?
Le problème de Strasbourg, c’est que, nous-mêmes, on en parle beaucoup trop. On en parle beaucoup pour en dire du mal ou pour viser autre chose, disons. Je n’ai pas franchement quelque chose de négatif à dire sur Strasbourg parce qu’objectivement, c’est une ville chouette. C’est juste que les qualités de Strasbourg sont ses défauts. C’est vraiment la tranquillité, le manque d’engagement dans des trucs un peu trop violents. Il ne se passe rien et c’est plutôt une ville pour une vie tranquille. C’est une ville où il faut se bouger pour faire des trucs parce que les gens, on ne les motive pas très facilement. Il fait bon vivre à Strasbourg, un peu trop. Le fait qu’il n’y ait pas d’historique rock, comme dans l’Ouest, à Paris ou même dans le Sud-Ouest, c’est chiant, on ne se reconnaît pas dans cette ville. Après, si je suis capable d’en parler pendant des heures, c’est qu’il y a certainement un truc qui cloche.
Séverin : Avant tout, tes paroles sont très ironiques. « Strabourg mon amour »,  ce ne sont que des slogans de la municipalité. On aime et en même temps…
Calvin : S’il faut le dire, c’est que c’est faux. Les mots font état de ce qui manque. « Strasbourg aime ses étudiants », « Strasbourg mon amour »,  ce sont des conneries.

Il y a eu plusieurs changements de personnel dans le groupe récemment. Ça n’a pas affecté votre détermination, votre envie de continuer ?
Au contraire. Le fait d’avoir emmagasiné des expériences fait que l’on en récolte aussi le fruit avec  l’intérêt qu’on peut porter à Sinaïve et le fait qu’on puisse jouer aux Eurockéennes notamment. On ne peut que rendre hommage à tout le travail de Sinaïve et nous, on est d’autant plus motivés aujourd’hui. C’est cool de pouvoir tourner un peu plus facilement qu’avant, d’avoir des propositions. C’est motivant, il faudrait vraiment qu’il se passe quelque chose de grave pour nous démotiver.

Depuis vos débuts, il a été relevé que certains de vos morceaux ressemblaient beaucoup à certains autres de groupes plus anciens. Par exemple, “Trash Mental” ressemble à “Sit on It Mother” des Pastels ou “Citadelle/Bis Repetita” à “Revolution” de Spacemen 3. C’est intentionnel, c’est une forme d’hommage ?
On m’a déjà dit ça, et je pense, en réécoutant le morceau des Pastels, qu’ils essaient vraiment de faire du rock’n’roll mais ils sont un peu claqués et je pense que, nous aussi, on l’était. C’est un peu un morceau de Billy Idol aussi, c’est vraiment un rock’n’roll de base, ce n’est pas comme si on prenait la grille d’accords de “Strawberry Fields Forever”. C’est vraiment une grille d’accords basique. Et ça ressemble énormément parce que je pense que, à un moment donné, on partait avec la même détermination qu’un groupe de 1988 ou 1989, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Pour “Citadelle/Bis Repetita”, je n’ai jamais senti que ça ressemblait à “Revolution” ou alors en 45t (sourire). Parce que c’est vraiment un morceau que l’on joue debout alors que Spacemen 3 l’aurait joué assis, de manière plus lente. Je ne sais pas si c’est intentionnel mais…
Séverin : Après, je dirais que, chez toi, le pastiche, c’est une manière de composer, que ça s’entende ou non. C’est une forme d’hommage, presque un collage de références. Reprendre tel quel un riff, le décaler légèrement pour qu’il ne soit pas reconnaissable. Je t’ai toujours vu fonctionner comme ça, quitte à ce que ça disparaisse après. Un côté pop art.
Calvin : C’est juste que, des fois, c’est plus subtil que d’autres.

Quand tu disais à l’instant que, votre démarche au départ, c’était de partir comme un groupe de 1988 ou 1989 et que ce n’était plus trop le cas maintenant, que voulais-tu dire ?
A l’époque de “Trash Mental”, personnellement, je n’écoutais pas vraiment de musique d’après 1990-1991 justement. Là, ce n’est plus du tout le cas. Il n’y a donc plus de barrière mentale par rapport aux influences, et je peux très bien concevoir être influencé par quelque chose qui n’est pas du tout du rock et continuer à faire du rock. Sinon, on se mord vraiment la queue. Dans le rock, c’est quand même très étriqué comme mentalité et, comme on n’est pas du genre à faire des morceaux qui se ressemblent tous, on a aussi d’autres envies. Avec Séverin, on a beaucoup échangé sur plein de choses qui n’étaient pas du rock. Avec Alicia, pendant le confinement, on a écouté énormément de choses qui n’étaient pas du rock. Donc, au niveau des influences, « le ciel est la limite ».

Tu penses que, dans le domaine du rock, il y a une mentalité étriquée ?
Un peu mais il ne faudrait pas que ça sonne péjoratif. Une fois que l’on fait référence à un groupe indie pop de 1988, c’est un peu comme les poupées russes et on est vraiment à la dernière petite poupée. Il ne reste plus grand-chose, sachant que c’étaient eux-mêmes des groupes fans des sixties. Avec le temps, viennent d’autres idées et, encore une fois, sur la question du line-up, avec les gens qui sont dans le groupe, viennent d’autres idées. Par exemple, Séverin n’est pas forcément dans le même état d’esprit dans lequel on était dans le groupe avec Alaoui (Alaoui O., ancien membre du groupe, qui a quitté celui-ci quelques mois avant cette interview, ndlr) à l’époque, quand on faisait des chansons comme “Ténèbres” ou “Trash Mental”.

Il y a aussi des références littéraires ou philosophiques dans vos disques. Par exemple, vous avez un EP qui s’intitule “Dasein” comme le concept d’Heidegger. C’est pour en souligner l’influence aussi ?
Non, c’est pour s’amuser. En fait, c’est aussi le nom d’un morceau qui sera sur l’album qui sortira prochainement. Je pense que c’est un peu de l’humour de fac de lettres, il ne faut pas y voir un truc trop cérébral. La démarche peut être pop art mais elle n’est pas art contemporain dans le sens où il faut connaître les références pour savoir là où on est, et ce n’est pas du tout le cas. J’espère que c’est ce que l’on prouve en live, par exemple, qu’on peut juste être un groupe de rock. En plus, par rapport aux références musicales dont tu parlais, les gens n’ont pas du tout ces références. Les gens de notre âge qui viennent nous voir n’ont pas forcément des groupes de 1988 ou les œuvres complètes de Heidegger en tête. En tout cas, j’espère. Donc, c’est important pour moi mais ça n’a pas à être imposant.

En général, vous avez aussi des textes très travaillés et très recherchés, même quelque peu cryptiques parfois. C’est une volonté de créer de la réflexion avec vos textes de chansons ?
C’est quelque chose que je dis souvent mais le côté premier degré de la langue française est vraiment très agaçant. Comme le disait Jean-Louis Murat, la langue française au premier degré est un manuel d’instruction, ça ne rime à rien. Je trouve qu’on l’entend beaucoup dans le rap, par exemple.  Ça ne peut pas être utilisé comme le font les Anglo-Saxons, il faut faire un peu attention. En tout cas, cryptiques, je ne sais pas. Pour moi, ça fait sens.

Comme autre auteur de chansons avec des paroles parfois difficiles à comprendre, tu viens de le citer, il y a aussi Jean-Louis Murat [mort la veille de cette interview, ndlr]. Vous aviez repris sa chanson “Perce-Neige”. Ce chanteur a eu une influence sur vous ?
Sur moi, carrément. Quand j’étais adolescent, j’écoutais beaucoup ça. Il a quand même sorti quarante disques et moi, il y en a trois et demi que je réécoute tout le temps, le triptyque “Dolorès”, “Mustango” et “Le Moujik et sa femme”, ainsi que le live qu’il sort après “Mustango”, qui s’appelle “Muragostang”, où il fait des boucles et qui rend super. Je dirais que c’est un peu l’époque où il fait ce qu’il veut et ça marche. C’est quand même rare pour un Français de se montrer autant détendu, je trouve que Murat a prouvé ça. “Le Moujik et sa femme” est un disque tellement simple, pas de prise de tête. Après, il y a les vingt années de boulot d’avant qui font que tu arrives détendu. Il était différent des autres et je pense qu’il était beaucoup écouté par les gens qui écoutaient les  Anglo-Saxons des années 80. Le côté Bernard Lenoir… Un peu comme Dominique A, ce sont des artistes qui sont plus écoutés par des “esthètes”, en tout cas de cette époque-là des années 90, que par des gens qui écoutent de la variété française.

Vous faites de la musique pour vous ou avec aussi l’envie de toucher et de convaincre les autres ?
Je pense que c’est pour se faire le plus de thunes possibles, non ? Et je pense que ça se voit, on joue au Ty Anna [bar de Rennes, ndlr]… (rires) Le plus important, c’est la diffusion, que le plus de gens possible écoutent la musique qu’on peut faire. Ce n’est pas pour autre chose. Ce n’est pas pour ressembler à d’autres gens, ce n’est pas pour l’argent. De toute façon, ça n’a pas de sens dans le rock, en France en particulier. C’est vraiment juste pour être diffusé, surtout en dehors de France.

Dans le même ordre d’idée, dans votre rapport au public, votre apparence et votre attitude, vous y accordez de l’importance ?
Séverin : Un peu mais pas trop. Moins qu’à la musique, en tout cas.
Calvin : Je pense qu’on est de plus en plus obligés d’y prêter attention parce que, si on décide de ne pas travailler ça, c’est une attitude aussi. Du coup, les gens te disent : « vous êtes froids, vous êtes distants ».
Séverin : Sans jamais y avoir réfléchi, on est un peu spontanés malgré nous. On aimerait être sincères mais on n’arrive pas à décider totalement de notre apparence sur scène et face aux autres, en tant que groupe. J’ai l’impression qu’on subit plus qu’on ne décide. En tout cas, on ne veut certainement pas être des poseurs.

Si on revient à vos textes, certains ont une dimension politique aussi. En quoi la politique est importante pour vous ? Quelle place a-t-elle dans vos chansons ?
Calvin : Ce n’est pas tellement que c’est important mais c’est le fait, quand on se lève le matin, d’avoir envie de tuer plein de gens, d’avoir envie d’en découdre avec le monde. Enfin, on ne veut tuer personne, c’est plutôt le fait d’être énervé par plein de choses. C’est moi qui écris les textes mais je pense quand même représenter quelque chose de collectif et on n’est pas politiques comme du punk-rock français des années 80. Mais on vit tellement dans une société claquée et dans un pays qui l’est tout autant que ce serait difficile d’être Philippe Katerine et de prendre ça à la rigolade, par exemple. Ce serait tout aussi difficile de ne faire que de la poésie. J’ai beaucoup d’agressivité en moi et ça ressort beaucoup quand on entend des trucs liés à la politique. Je pense que c’est un point commun avec Michel Cloup, c’est là où il peut y avoir convergence.

Tu dis qu’il y a beaucoup d’agressivité en toi. La musique est alors un exutoire ?
Des fois, elle calme aussi. C’est le cas de tous les musiciens, je pense. Ça nous fait du bien de jouer de la musique, ça nous rend un peu moins frustrés de vivre dans le monde dans lequel on vit.

Concernant les paroles des chansons, il y a certains groupes français qui passent progressivement de l’anglais au français. Et vous, est-ce que vous ferez le chemin inverse ? Et pourquoi des textes en français d’ailleurs ?
Pour répondre à ta première question, jamais de la vie. Et pourquoi le français ? Je pense que c’est parce qu’on est français déjà. Et l’idée du modèle dont je parlais tout à l’heure, le fait de ne pas avoir de modèle et de vouloir créer le sien, ça passe aussi par ça, par l’appropriation de son propre langage. Le groupe de rock qui chante en anglais alors que ce n’est pas sa langue maternelle, ce n’est pas trop notre truc. Souvent, ça m’empêche de pénétrer dans la musique d’un groupe. Peut-être pas dans les années 70-80 où on peut comprendre qu’il y a ces enjeux de maisons de disques qui disent « Si tu ne chantes pas en anglais, ça ne marchera jamais ». Mais franchement, depuis “La Fossette”, il n’y a plus d’excuse, plus de raison de chanter en anglais.

Dans une interview accordée au site La Face B l’année dernière, tu disais qu’il n’y avait pas d’argent dans l’indie rock et que c’était une véritable guerre de positions. C’est pour cela que vous ne vous consacrez pas complètement à la carrière de musicien, que vous faites peu de concerts, que vous avez un boulot à côté, j’imagine ?
Séverin a un travail à côté, Alicia aussi. Depuis quelque temps, l’idée est vraiment de faire le plus de concerts possible. Sur cette question de ne pas maîtriser à quoi on ressemble, on peut aussi donner l’impression d’être un groupe qui s’en fout et de ne pas vouloir faire de concerts alors que si, on veut vraiment faire des concerts et défendre ce que l’on fait. Après, en France, il y a ce truc de l’intermittence où il faut avoir assez de concerts, ce que l’on n’a pas encore, pour être intermittent. Si la bascule se fait, ce sera plus clair pour les gens qu’on est là pour durer et que c’est notre gagne-pain. Là, on n’en vit pas, c’est seulement de la nourriture pour l’esprit. Mais on est déterminés.

Tu as commencé à un peu l’évoquer, il y a un album qui est déjà enregistré. Peux-tu nous en dire plus ? A quoi va-t-il ressembler ?
Pour la sortie, je ne sais pas trop, ce serait entre octobre et février. Ça dépend du label, des délais de pressage… Les délais de pressage sont très longs quand on fait du vinyle, on est dépendants de ça. Pour les questions de communication, on bosse avec Fun Club et Rémi de Fun Club est de bon conseil pour savoir quand c’est le mieux de sortir un disque. Peut-être que ça ne se voit pas mais on essaie de jouer le jeu de la communication un minimum. On ne va pas sortir un disque le 25 décembre ! Concernant l’album, il y a onze morceaux, il dure quarante-trois minutes. Il est en cours de mixage, c’est quasi terminé. On joue déjà trois ou quatre titres en concert, y compris ce soir.

Photo : Marie Lagabbe.

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