Retour en fanfare de l’ascète du rock perché. “Secte” de 1=0 est un petit précis de rock français illuminé et percutant. Le meilleur à ce jour.
Curieusement, il est plus difficile d’écrire sur un album qu’on adore que sur celui pour lequel on a des réserves. Et, voilà le problème : j’adore follement “Secte”.
C’est incontestablement mon enregistrement de l’année. Il a accompagné tout mon été, chaque préparation de repas, chaque douche. Il a reçu son quota de paroles gueulées dans l’appartement. Le taux de rotation a été tel que les enfants n’en pouvaient plus d’entendre leur parents se repasser sans cesse cette poignée de titres et se chantonner les meilleures paroles, l’air réjoui. Ce sont de sales gosses qui préfèrent Parsifal… que voulez-vous, on n’a pas réussi à leur transmettre le goût du punk… À moins que… mais c’est un autre problème.
Dans ces quelques dizaine de mètres carrés qui nous voient vivre, on a toujours été archi fans hardcore de 1=0 depuis Atcha sur une compilation découvertes Inrocks. Et on a eu la chance de croiser plusieurs fois, en vrai, Olivier Briand. À chaque fois ça a été un événement voire une épiphanie amicale. On se souvient de s’être donné rendez-vous avant un concert de Swell et alors qu’on attendait des frites ou un truc gras comme ça, Olivier nous avait demandé, le plus sérieusement du monde, « qu’est-ce que vous pensez de l’ascétisme ? ». Il avait filé d’ailleurs, finalement sans voir le concert d’un groupe qu’il aimait pourtant parce que le nouveau Booba venait de sortir et qu’il voulait aller l’écouter au plus vite…
Et l’ascétisme ? Comme Michel S., on est pour évidemment (même si on n’a pas pratiqué depuis le collège…) et surtout quand il prend la forme de la meilleure chanson d’1=0, Ascète.
1=0 , groupe ressuscité, dans toute son énergie, sa folie, sa fragilité aussi. Une renaissance qu’on n’attendait plus. Comme le messie, il déboule et ça donne ça, sur un riff lourd comme on aime :
« J’me cale dans la caisse sans savoir où aller
deux heures plus tard j’ai mon billet direction plus paumé tu meurs
j’y rencontre master à la sortie d’une cité
et ses yeux se branchent directement sur mon cœur
on s’réveil’ près d’un temple à touristes
rien mangé depuis trois jours
pas trop peur de la mort un peu peur de l’amour
en m’tendant un verre d’eau marron il voit en moi l’doute
et m’dit d’sa voix déroutante :
”Quand des filles nous sourient on trace, et on achètera plus rien de nos vies
on regardera la chance qui passe
tiens essaye mon manteau d’épines”,
ascète, ascète
on mincit on s’enfonce dans les sensations
tu nous paies en fruit pour purifier la maison
où tu viens comme un ouf
et tu viens m’chercher
quand l’compromis t’étouffe.
Parfois pour un acide on craque
en périphérie d’Addis-Abeba
on a contourné Varanasi
une flute, un osselet dans l’sac
ascète, ascète,
j’veux m’retirer du monde
ascète, ascète,
pour rentrer chez moi »
(Ascète)
Évidemment, on a envie de tout citer parce que tout est bon mais ne prend sa dimension qu’avec le flot d’Olivier, ses accélérations-ralentissements, ses aigus-voix blanche, son débit agressif de petite frappe qui part subitement dans le lyrique. Il y a aussi tous ces changements de registre, ces décalages de points de vue qui tombent lorsqu’on tente de retranscrire les paroles. Parce que cet EP est fou. Fou de mysticisme, de contemporanéité (le mâle alpha en pleine remise en question dans Secte), de relecture de textes saints (Le Couteau. Abraham ou n’importe quel cinglé infanticide d’aujourd’hui, en pleine crise de foi ?), le bordel mental contemporain (Lumière) :
« Je sors dans la nuit j’me place
dans la lumière
j’arrive au taf le boss me pourrit
dans la lumière
la musique des allées du Super j’la vis
dans la lumière
d’la destruction
je sors saoulé du groupe de prière
j’écoute les plaintes d’un ami suicide
l’envie de punir que j’ai héritée d’mon père j’la vis
dans la lumière
d’la destruction
la vie dit non à c’que j’aime le plus
et y’a fifille qui sort les pires saloperies
on a pété lavabo et lit amour
destruction »
(Lumière)
Le tout avec de riffs de malade propre à un rock lourd d’un groupe comme on n’en attendait plus, qui réconcilie l’énergie et l’écoute. Le débit atone de la voix d’Olivier déclame, à la fin d’Ascète sur des grésils de guitare et un rythme martial :
« Faire l’amour sans projeter d’image
c’est une pratique spirituelle
savoir s’abstenir de surfer
c’est une pratique spirituelle
désactiver les commentaires
c’est une pratique spirituelle
accepter d’pas savoir quoi faire
c’est une pratique spirituelle
faire la paix avec la violence
tout est une pratique spirituelle
quand la tristesse devient cachée
par les pratiques spirituelles
là où parler avec ta femme ne devient plus naturel
vient l’accident qui t’fait partir dans les pratiques spirituelles »
C’est bel et bien le retour de l’auteur-compositeur le plus percutant de l’histoire récente du rock français. Le plus intime, le plus profond, le plus cinglé et cinglant au fond. Il faut se jeter corps et âme dans cette “Secte”, avec ces morceaux à rallonge et à tiroirs, entre délicates harmoniques et basse saturée à genoux. Il y a peu de groupes indépendants qui vont piocher dans cette faconde rock, ces batteries hyper rock. C’est le meilleur de Weezer, de Tool. C’est sans concession et ça pioche de partout, toujours au service de l’énergie et du titre, sans faire des clins d’œil vers les références. C’est du rock honnête dans toutes ses fibres. Avec un groupe qui tient debout sur toutes ses pattes, frêles quelquefois mais toujours toniques. Le 1=0 des grands jours.
Et quand on pensait que la messe avait été dite, vient Afrocheul (toujours cette science du titre), sortie d’on ne sait où, peut-être d’un résidu de Beastie Boys, une cavalcade heavy, en anglais !!!, qui parachève l’œuvre et nous laisse à genoux avec un aboyeur de génie :
« And if you wait for the sign
In the procession
Does that mean you will be mine
Or repossession
The pregnant man in the church
Is adolescent
He hasn’t started research
Antidepressant
You say you’re greedy for me
A clarinettist
I feel so seedy you see
A propagandist
Some ease just dribbled away
Becoming nothing
No matter all that we say
We’re only bluffing
We once assembled a doubt
Transcontinental
Now we dissemble and shout
Experimental
She said come on over here
And I will love you
She said just throw away fear
I’ll rise above you
But in a wink of an eye
A breach of intrigue
Somebody sink in my thigh
Impeach a colleague
You never really knew me
I never knew you
I think it’s time to leave now
Get the spelling right »
(Afrocheul)
Tant de joie, tant d’excitation, tant de vérité. Il y a une intimité, une vie intérieure, une captation du monde très personnelle qui nous sont ici données et qui touchent à l’universel. La poésie quoi, mec. Avec certains groupes, les meilleurs, la dernière production surpasse voire annihile les anciennes pourtant aimées. C’est le cas ici, “Secte” est la meilleure des productions d’Olivier Briand en 1=0 et confirme que ce groupe est indiscutablement majeur. Mais le monde ne veut pas écouter.
Avec l’aide de Johanna D.ésactiver les commentaires c’est une pratique spirituelle.
“Secte” est sorti le 11 novembre 2024.