Comme en 2022 et en 2024, le festival Rock en Seine s’étend cette année sur cinq jours, du mercredi 20 au dimanche 24 août. Et comme les années précédentes, chaque journée aura – plus ou moins – son genre dominant. Après Billie Eilish et Lana Del Rey, la première accueillera sur les pelouses du domaine national de Saint-Cloud une autre star féminine américaine : Chappell Roan, peut-être un peu moins rassembleuse malgré sa forte personnalité et son irrésistible tube “Good Luck, Babe” qui prouve que la pop grand public peut aussi être superbement écrite. Elle sera précédée d’un plateau 100 % féminin (ou presque, puisqu’il y a des hommes dans le groupe London Grammar).
Le jeudi aurait dû s’articuler autour de la présence d’A$AP Rocky, l’un des rappeurs les plus populaires de ces dernières années, mais il sera finalement remplacé par Kid Cudi, actif depuis 2008, adoubé par Kanye West (à l’époque où ce dernier n’avait pas encore complètement vrillé), auteur influent d’un hip hop crossover, mélodieux et mélancolique qui emprunte à la pop et à l’electro avec des collaborations en pagaille. Au milieu d’une programmation plutôt orientée rap, groove et néo-soul, on ne manquera pas Vampire Weekend qui a fait pas mal de chemin depuis sa première venue en 2009.
Le vendredi, qui nous promet notamment un voyage immersif et sensoriel avec le DJ Anyma, inconnu de nos services, déroulera diverses tendances de l’electro. Tout comme le samedi, autour de Justice et Jamie XX (on s’amusera à shazamer son concert pour voir s’il passe des extraits de son disque comme la dernière fois), mais avec aussi quelques formations guitare-basse-batterie.
Enfin, le dimanche, jour a priori le plus alléchant, le festival portera bien son nom (on n’entrera pas ici dans le débat oiseux « Y a-t-il encore assez de rock à Rock en Seine ? ») avec des têtes d’affiche qui vont faire hurler les guitares : Queens of the Stone Age (qui ont leur rond de serviette à Saint-Cloud), Fontaines D.C. devenus encore plus incontournables depuis leur dernier passage il y a trois ans sur la scène de la Cascade, les Français Last Train en pleine ascension, les Stereophonics qui devraient notamment attirer des Britanniques (le groupe est encore assez populaire là-bas), et les Limiñanas, dont les riffs en « spirale » (c’est le premier titre de leur dernier album) nous font toujours autant d’effet.
Outre ces incontournables, voici quelques-uns des artistes que nous avons retenus dans une programmation aussi riche que variée, avec des vidéos live pour juger sur pièces.
Mercredi 20 août
Suki Waterhouse
Mannequin, actrice, people (elle est mariée à Robert Pattinson avec qui elle a eu un enfant)… et chanteuse. Le profil de Suki Waterhouse, trentenaire londonienne vivant à Los Angeles, est de ceux dont on a appris à se méfier, même si une signature sur Sub Pop est généralement un élément positif : le label, tout en élargissant considérablement sa palette musicale après la période grunge, a su conserver son exigence. Et de fait, “Memoir of a Sparklemuffin”, deuxième album produit entre autres par Jonathan Rado de Foxygen, séduit par son sens de la mélodie accrocheuse et sa variété d’influences (du folk fragile au rock à la Liz Phair en passant par des ballades vaporeuses), le tout porté par une voix alanguie, légèrement ébréchée, qui fait d’emblée de l’auditeur un confident. Les vidéos live récentes, comme celle ci-dessous, montrent que sa musique se teinte de soul et prend beaucoup d’ampleur sur scène, son charisme naturel faisant le reste. Comme quoi, le fait d’être (ou d’avoir été) une it-girl n’empêche pas la sincérité et le talent.
Jeudi 21 août
Doechii
Elle a remporté cette année le Grammy Award du meilleur album rap avec sa mixtape “Alligator Bites Never Heal”. Une consécration méritée pour cette rappeuse de 26 ans dont l’ego n’a rien à envier à celui de ses collègues mâles qui ont d’ailleurs reconnu son talent, de Kendrick Lamar à Tyler, The Creator. Flow impeccable, humour, variété des prods pouvant lorgner la soul, le funk ou la comédie musicale, sens de l’image, aussi bien dans ses pochettes et ses clips que sur scène : l’ambitieuse rappeuse, « swamp pincess » autoproclamée venue de Tampa, en Floride (« une petite ville pourrie remplie de caravanes »), et installée à Los Angeles, a tout pour devenir l’un des poids lourds du game au féminin. Le moment idéal pour la découvrir.
Khruangbin
En activité depuis 2010, cet étrange trio texan guitare-basse-batterie est la terreur des colleurs d’étiquettes. Leur cocktail en grande partie instrumental, aux sonorités très organiques, mixe en effet de multiples influences : soul, rock, folk, psychédélisme, dub, surf, musique thaïe, malienne (ils ont sorti un album où ils interprètent avec Vieux Farka Touré des compositions de son père Ali)… Au-delà d’une virtuosité qui a le bon goût de rester sobre, il ne se passe pas forcément grand-chose sur scène, mais en festival, c’est toujours l’idéal pour se délasser entre deux concerts plus pêchus.
Mk.gee
Originaire du New Jersey, Michael Todd Gordon alias Mk.gee, s’affirme à moins de trente ans comme l’un des musiciens les plus originaux de sa génération. Doté d’une voix haut perchée qui peut rappeler Sting, ce multi-instrumentiste est surtout un explorateur des possibilités de la guitare, dans la lignée de Clapton (qui l’a comparé à Prince) ou Hendrix, voire de Robert Fripp, mais avec une production résolument contemporaine, très texturée, inspirée par le r’n’b et le hip-hop, pas très loin de Bon Iver. Réservé pour ne pas dire secret, préférant l’ombre des collaborations avec une large palette d’artistes, Gordon cherche à communiquer avant tout à travers sa musique. On espère une connexion optimale à Saint-Cloud.
Vendredi 22 août
Caribou/Floating Points
Notule commune pour deux artistes qui ne se produiront chacun de son côté, mais qu’il est tentant de rapprocher. Même si Dan Snaith, alias Caribou, a sans doute produit le meilleur de son œuvre entre 2007 et 2014 avec les albums “Andorra”, “Swim” et “Our Love”, on peut toujours compter sur ce détenteur d’un PhD en mathématiques (ce qui ne doit pas être très courant parmi les producteurs de musique électronique) pour nous faire danser intelligemment. Et loin de jouer les démiurges derrière quantité de machines, le modeste Canadien préfère tourner avec un véritable groupe sans se poser en leader.
Autre tête bien faite, son ami Samuel Shepherd, alias Floating Points, est, lui, détenteur d’un doctorat en neurosciences. A-t-il étudié comment la musique pouvait agir sur notre cerveau ? En tout cas, la sienne, dont il ne cesse d’élargir les perspectives et qui s’épanouit aussi bien sur les dancefloors que dans les salles de concerts les plus prestigieuses à travers le monde, n’a pas fini de nous captiver.
Empire of the Sun
Il y eut d’abord The Sleepy Jackson et son premier album “Lovers” (2003), regorgeant de pop songs aériennes sous influences sixties mais suffisamment fraîches pour ne pas paraître passéistes. Le seul maître à bord s’appelait Luke Steele, venait de Perth en Australie et, malgré déjà un relatif succès, visait beaucoup plus haut. En 2007, il lance Empire of the Sun avec Nick Littlemore, un duo plus synth pop 80’s qui va décrocher la timbale avec l’album “Walking on a Dream” et le single éponyme. Reconnaissons qu’on n’a pas trop suivi les épisodes ultérieurs (un album est sorti l’an dernier), mais le sens du refrain catchy de Steele et l’univers visuel pour le moins déjanté et passablement kitsch du groupe (voir vidéo ci-dessous) devraient nous valoir quelques bons moments.
Eat-Girls
Amélie, Elisa et Maxence produisent dans leur appartement lyonnais sous le nom de Eat-girls (ou “eat-girls”, pour respecter leur graphie) un post-punk électronique minimaliste qui parvient à échapper à ses références – plutôt pointues – et distille un charme étrange. Leur premier album “Area Silenzio” est sorti à l’automne 2024 chez Bureau B, le sous-label électronique de l’allemand Tapete, et le groupe a joué depuis aussi bien en France qu’en Angleterre, Allemagne et Belgique. C’est donc un trio déjà expérimenté qu’on retrouvera au Club Avant Seine, mais on peut parier que leur musique gardera en live son côté intuitif, non formaté.
Samedi 23 août
Psychotic Monks & Guests
Malgré une musique postpunk pas très facile d’accès, les Français de Psychotic Monks connaissent depuis quelques années un succès enviable, remplissant les salles rock dans tout le pays, et même au-delà. Pas du genre à se répéter – et à refaire le même concert qu’en 2016, 2018 et 2024 –, ce groupe engagé, réfléchi et farouchement indépendant a décidé de s’associer cette année pour une création à trois musiciens avec des troubles du spectre de l’autisme : Étienne de l’ESAT Turbulences au clavier, Markus de la maison Perce-Neige Alternote à la batterie, et enfin Thierry Dupont du groupe Ron Pon. Sans présumer du résultat, la démarche rappelle forcément celles d’Astéréotypie (dont le concert l’an dernier sur la scène de la Cascade avait marqué les esprits) ou des Belges du Wild Classical Music Ensemble qui avaient collaboré avec Lee Ranaldo. Il faut en tout cas s’attendre à de l’inattendu !
John Maus
C’est peut-être la personnalité la plus complexe et la plus étonnante de toute cette édition de Rock en Seine, qu’on ne s’attendait pas forcément à trouver là. Un spécialiste de musique médiévale et de philosophie politique, mais ayant choisi de faire des morceaux simples d’apparence, joués au synthé, pour pouvoir toucher le plus grand nombre. S’il avait tourné en Europe l’an dernier (avec un passage à la Cigale), l’Américain John Maus, qui nous a habitués à de longues éclipses, n’avait rien sorti depuis 2018. Un silence rompu tout récemment par la publication d’un nouveau morceau, “I Hate Antichrist” (sic), possiblement influencé comme une grande partie de son œuvre par la musique baroque (celle du XVIIe-XVIIIe, pas la pop de la fin des années 60). Entre-temps, il y avait eu la controverse du 6 janvier 2021, quand il a participé avec son vieil ami Ariel Pink – les deux semblent aujourd’hui en froid – à une manifestation pro-Trump ayant conduit à la prise du Capitole. Il s’est depuis expliqué, disant qu’il n’avait été qu’un simple observateur et qu’on pouvait difficilement le soupçonner de sympathies pour celui qui est malheureusement revenu depuis à la Maison Blanche… même si, pour certains, des ambiguïtés demeurent.
Le plus surprenant reste ses « concerts » : le plus souvent, Maus chante, de sa voix de baryton, sur des bandes, comme au karaoké. Mais en s’exposant à fond, terminant ces performances cathartiques généralement trempé de sueur. On espère en tout cas entendre des extraits de son nouvel album prévu pour septembre.
Slow Fiction
Ce n’est sans doute plus le bouillonnement du début des années 2000, tel qu’on le revit en lisant le livre “Meet Me in the Bathroom” de Lizzy Goodman, mais New York bouge encore. La preuve avec Slow Fiction, groupe qui n’a pour l’instant sorti qu’un EP et quelques titres épars (dont le dernier, “When”, en 45-t sur le très sélect label Speedy Wunderground de Dan Carey, l’un des producteurs les plus en vue du moment). Rien de révolutionnaire, peut-être, mais une urgence dans les guitares et dans la voix de la chanteuse Julia qu’on n’entend plus tellement aujourd’hui. “Brother”, leur morceau le plus abouti, nous rappelle notre excitation à la découverte du “Beautiful John” de Madder Rose (des New-Yorkais, là encore) il y a 32 ans. Possiblement l’une des révélations de ce samedi.
Dimanche 24 août
Bryan’s Magic Tears
Troisième venue à Rock en Seine pour les Franciliens, qui sont peu à peu passés du statut de branleurs doués à celui de pilier de la scène indé française (et du label Born Bad). Il faut dire qu’au fil des albums – trois, là aussi –, le groupe a de mieux en mieux digéré ses influences britanniques 90’s (shoegaze, baggy…). On est parfois à la limite du « à la manière de… », mais les morceaux sonnent tellement bien et sont tellement accrocheurs qu’on ne boude pas son plaisir, d’autant que sur scène, leurs assauts soniques ont aussi gagné en précision et en force de frappe.
Fat Dog
Leurs premiers singles, parus l’an dernier, nous avaient fait tendre l’oreille : ”King of the Slugs”, un ahurissant mélange de plus de 7 minutes où l’on croyait entendre du post-punk, de la techno, du prog symphonique, de la musique de Bollywood et des Balkans, et “All the Same”, qui donnait l’impression qu’un chanteur goth était perdu dans une rave. Le premier album de Fat Dog, groupe anglais mené par le moustachu Joe Love, a poursuivi sur cette lancée : une cocotte-minute remplie d’aliments divers qui semble toujours prête à nous exploser à la gueule. Pas toujours léger ni digeste, mais assurément roboratif. Le concert de cette formation plutôt atypique (machines, violon, saxo, percus…) pourrait bien être l’un des grands moments de délire collectif de cette édition 2025.
King Hannah
« Voix fascinante, solos parfois éruptifs mais toujours millimétrés, assise rythmique d’une souplesse impeccable (la basse était jouée sur une guitare baryton), la musique de King Hannah nous transporte avec classe dans un univers à la fois familier et légèrement inquiétant. » C’est ce que nous écrivions après le concert de King Hannah à la Route du rock en 2022. Et que nous pourrions écrire trois ans plus tard, à quelques nuances près. Car le duo (augmenté pour la scène) a depuis sorti un deuxième album où les influences américaines sont encore plus évidentes, le disque s’inspirant en grande partie de leur découverte du pays pendant leur tournée là-bas. Sur scène encore plus que sur disque, le groupe de Liverpool qui s’inscrit assez peu dans l’héritage pop de la ville joue des contrastes entre ballades dépouillées et morceaux nettement plus incisifs. Dans les deux cas, carton plein.
Kneecap
10 novembre 2023, Pitchfork Avant-Garde, des groupes et artistes émergents se produisent dans plusieurs petites salles du quartier Bastille. On a repéré Kneecap sur le programme qui nous vante un groupe irlandais précédé d’une odeur de soufre… mais sans nous dire qu’il s’agit de rap ! D’où notre surprise quand on entre dans un Pop up du Label bondé et qu’on se retrouve face à des MC déchaînés s’exprimant en anglais (on entend quelques « Free Palestine! ») et en gaélique, face à un public – dont quelques compatriotes – en furie. Depuis, l’ascension du groupe, retracée avec humour dans un film sorti récemment, a été spectaculaire, et les controverses, de plus en plus vives. En France, où leurs textes et prises de position sont moins scrutés que dans les pays anglo-saxons, le groupe devrait jouer avec moins de pression. Reste une question : les Fontaines D.C. étant programmés le même jour, Grian Chatten interprétera-t-il avec eux l’excellent “Better Way to Live”, comme à Londres il y a quelques jours ?
[mise à jour : finalement, même dans un festival français, Kneecap n’échappe pas aux controverses…]
Léonie Pernet
Petit à petit, Léonie fait son nid et s’affirme comme une artiste majeure de la scène française. A cheval sur plusieurs genres, jetant aussi des ponts entre la France et l’Afrique, sa recherche est autant sonore que poétique, comme chez ses collègues Clara Ysé, Lucie Antunes, Bertrand Belin ou Feu ! Chatterton. Emprunté à René Char, le titre de son dernier album, “Poèmes pulvérisés”, porte en lui une certaine violence, mais sa musique cherche pourtant à “Réparer le monde”, pour reprendre le titre d’un de ses morceaux les plus envoûtants. On est curieux de découvrir comment son impressionnant travail sur les textures acoustiques et électroniques sera rendu sur scène.
Sharon Van Etten
C’est sans doute l’une des voix les plus bouleversantes apparues depuis vingt ans. Pour Sharon Van Etten, la musique a toujours été une planche de salut, mais l’Américaine semble avoir trouvé depuis quelques années un certain équilibre, une paix intérieure. Le son de ses disques a aussi évolué, passant du folk indé et du rock plutôt brut du puissant “Tramp” aux synthés planants, basses profondes et rythmiques métronomiques du dernier album sorti cette année, “Sharon Van Etten & the Attachment Theory”, où elle se réincarne en pythie new wave. Le titre reprend le nom de son nouveau groupe, avec lequel elle a pour la première fois coécrit les morceaux. On suppose que la setlist fera la part belle à ces chansons collégiales récentes, mais on espère entendre aussi quelques classiques qui, sur scène comme sur disque, nous procurent toujours d’aussi grands frissons.
Avilda
Déjà vues et approuvées dans pas mal de petites salles parisiennes où leur fan club fait systématiquement le déplacement, les quatre filles d’Avilda devraient être à leur aise au Club Avant Seine. Si les titres des chansons de leur unique bref album, “C’est déjà l’heure” sont plutôt sombres – “Chômage”, “Angoisse”, “Maladresse”, “Le Froid”… –, c’est une pop à guitares pleine de vitalité qu’elles jouent pied au plancher. On pense bien sûr aux Calamités (les tatouages en plus) pour les mélodies efficaces et les harmonies vocales, et à des formations indie britanniques des années 80 comme Dolly Mixture, les Shop Assistants ou les Primitives (voire aux Buzzcocks au détour d’un accord), mais Avilda est bien un groupe d’aujourd’hui, dont la fraîcheur et le plaisir de jouer sont bigrement contagieux.
Vera Daisies
On avait à peine eu le temps de s’attacher à Ottis Cœur que le duo était déjà séparé, après un unique album (réunion de deux EP) sorti sur le valeureux label Howlin’ Banana et un concert sur la scène du Bosquet pour l’édition 2022. Aujourd’hui, Margaux et Camille suivent chacune leur chemin, et la première, également graphiste et illustratrice, revient sous le nom de Vera Daisies avec le morceau “Chess Game” qui orchestre la rencontre des sonorités de l’hyperpop et des guitares urgentes du rock 90’s. Son nouveau répertoire sera à découvrir au Club Avant Seine.
Photo : Christophe Crénel.