Loading...
Disques

Anna Högberg Attack – Ensamseglaren

Anna Högberg Attack se love au sein de sa famille musicale élargie, en double sextette, soit une machine de guerre improvisée pour surmonter le deuil.

Anna Högberg (saxophone alto, composition) est un des petits trésors stockholmois de la scène improvisée/expérimentale d’ici. Pour le dire vite et un peu boomer relou, elle fait partie de la génération post Mats-Gustafsson, que l’on évoquera dans quelques années comme une scène clé, culte, avec rééditions en pagaille, exemplaires originaux arrachés sur Discogs, etc.

Donc, pensez au fructueux avenir et, sans tarder, procurez-vous cet ”Ensamseglaren” paru sur le label non moins important Fönstret (« Fenêtre » en suédois) de l’exilé John Chantler, grand manitou (musicien, producteur, programmateur…) désormais bien implanté en Scandinavie.

Pour cette nouvelle formule d’Attack, Anna Högberg a réuni un panel impressionnant de solistes, entre usual suspects et favoris dont on apprécie toujours le jeu, les compositions ou les interventions chez les uns ou les autres :

Anna Högberg Alto Saxophone
Elin Forkelid Tenor Sax
Niklas Barnö Trumpet
Maria Bertel Trombone
Per Åke Holmlander Tuba
Dieb13 Turntables
Alex Zethson Piano
Finn Loxbo Guitar + Saw
Gus Loxbo Double Bass + Saw
Kansan Zetterberg Double Bass
Anton Jonsson Drums
Dennis Egberth Drums

Pour encourager les plus popeux de nos lecteurs, “Ensamseglaren” est à rapprocher, dans sa facture (double batterie, contrebasse, guitares rock mais voyageuses), au “Dernier Album” de Mendelson (sans Pascal Bouaziz, ce qui peut intéresser certains mal embouchés).

”Ensamseglaren” est un album puissant, puisant ses racines dans le deuil d’un père et ses émotions contrastées (explosions, atonie, douleurs rentrées et effusions publiques), deuil sans doute exorcisé dans la famille recomposée, plurielle, de son entourage musical. On ne peut donc s’empêcher de chercher dans cette musique des illustrations musicales de la tourmente, du deuil et de sa catharsis mais elle peut (doit ?) s’appréhender dans la richesse de son abstraction. Après tout, c’est son ouverture vers l’autre, caractéristique de sa facture (improvisation = écoute), qui prime, et donc l’espoir.

Ensamseglaren/Inte ensam (soit « Le Navigateur solitaire / Pas solitaire ») débute par des crépitements, des bruits aqueux, dans un détournement des instruments, dans des possibilités musicales alternatives, désormais bien documentées par une scène expérimentale ayant renversé la table des manières classiques, comme Keith Rowe (AMM) jadis, en posant sa guitare sur la dite table.

Suit une montée des cuivres dionysiaques sur une guitare/crécelle puis charbonneuse, lourde à souhait (amateurs de Sunn O))) bienvenus…). On bascule alors dans du soul-metal plus agile que les épaisseurs du duo O’Malley/Andersson, avec plus d’aigus dans les guitares, très sinueuses, et les batteries idoines (cymbales crash). C’est de la navigation à vue dans une tempête sonore intime. Du gros grain émerge le saxo habité, rejoint par sa compagnie de cuivres, désolant comme du klezmer, rappelant un peu John Zorn (quand on s’y intéressait).

Après un moment d’accalmie, des cuivres cornes de brume lancent des appels “zarathustresques” qui prennent la poudre d’escampette comme des ballons qui se dégonflent avant que d’autres esprits du vent prennent le devant, accompagnés de cordes glissantes et batailleuses.

Le titre termine sur des cuivres graves (tuba) puis sur une mélodie-chant presque apaisée, lumineuse, qui, en nous rappelant ce que le Maher Shalal Hash Baz de Tori Kudo donne lorsqu’il veut faire propre, nous emmène vers des cimes enfin dégagées.

Sur Gnistran/ Hematopoesi/ Emlodi, des bribes de piano rivalisent avec des grondements et autres craquements lo-fi (platines).  Sur ces éléments… perturbateurs, s’élève la mélopée des scies musicales, telle un esprit qui s’élève.

Hematopoesi, sans doute la partie la plus pop du disque (et dont est tiré un radio edit qui satisfera les papillonneurs d’écoute avides de playlists variées), convoque soul et ethio jazz, sur fond de scies musicales, marching band à la fois lugubre et dansant, sans oublier un sax habité et déchirant.

On frôle le free jazz avec les percussions sourdes et lourdes finales alors qu’une guitare fuse au loin : derniers battements de cœur, dernière cavalcade furieuse.

Emlodi est une mélodie brisée, fracturée comme le souvenir, présent/absent, où les instruments rivalisent d’ébauches, tournent autour de l’accord et de l’harmonie, voire du son « propre ».

”Ensamseglaren” est évidemment plus que ce catalogue glané et tient dans ce précis de l’écoute, des musiciens entre eux et de leurs interactions, dans cette magie de l’instant qui prend (ou pas) dans un set jazz ou improvisé. On est ici dans un ciment à la fois ténu et complètement libre, qui peut rappeler les interactions nucléaires, soit quelque chose de fascinant, en partie incompréhensible et terriblement efficace. “Ensamseglaren” est une magnifique réalisation de la collectivité non asservie à l’un mais au service de tous.

Avec l’aide de Johanna D.ouble navigator.

“Ensamseglaren” est sorti en numérique et LP chez Fönstret le 3 octobre 2025.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *