Sorti juste avant l’été, “Au nom du pire” du journaliste Pascal Bertin se présente comme la première biographie de David Berman depuis que le poète leader des Silver Jews a mis fin à ses jours en 2019. Biographie ? Pas vraiment, comme le précise l’auteur en avant-propos. Plutôt une réaction à la suite du suicide d’un artiste depuis toujours en lutte contre ses démons et qui ne s’est jamais vraiment senti à sa place.
Pascal Bertin le répète deux ou trois fois dans son livre : il ne faut pas voir David Berman comme un beautiful loser, un de ces perdants magnifiques comme savait si bien les filmer Martin Scorsese. Et pourtant. Se considérant avant tout comme un poète, David Berman n’aura publié qu’un seul recueil, malgré des cahiers noircis de sa prose ou de ses vers, manquant le virage de la nouvelle vague de la poésie anglo-saxonne dans les années 90. Ses textes, il les aura avant tout mis en musique au sein des Silver Jews, groupe fondé avec Stephen Malkmus et Bob Nastanovich (le livre repose largement sur le témoignage de ce dernier). Mais comme Stephen et Bob lancent en parallèle Pavement, qui va vite se faire remarquer dans la sphère indé, les Silver Jews seront perçus à leurs débuts, et même après, comme leur side-project et obtiendront au mieux le statut de « culte », statut qui n’aide pas à faire les courses ni payer le loyer. Rempli de paradoxes, David Berman semblera s’en contenter tout en étant un peu envieux du succès que rencontrera Pavement.
Si ”Au nom du pire” n’est pas une biographie, l’ouvrage relate, dans sa première partie, la jeunesse de Berman et la genèse des Silvers Jews de façon chronologique. Mais très vite, l’auteur s’intéresse au père qui pourrira la vie de l’artiste. Richard Berman, avocat du diable et lobbyiste sans morale, défend toutes les causes tant qu’elles rapportent des billets verts, et représente tout ce que rejette son fils David. Ce sont bien là deux visions de l’Amérique qui s’affrontent et ne se réconcilieront jamais.
Rapidement mais judicieusement, “Au nom du pire” décrit aussi le paysage musical des années 1990. L’âge d’or du rock indé, l’explosion du grunge auquel restera étranger David Berman, lui préférant le folk et la country comme le prouvent ses amitiés avec Jeffrey Lewis, Bill Callahan ou encore Will Oldham. Puis l’arrivée d’Internet, Napster et tout ce qui en découlera. “Au nom du pire” livre le portrait d’un artiste paradoxal, en lutte permanente avec ses démons, ses addictions, son père et l’évolution du monde, et expose à travers lui l’affrontement entre deux visions de l’Amérique, celle qui écrase et celle qui rêve. Un livre on ne peut plus actuel, donc.
Au nom du pire : David Berman et Silver Jews face aux démons de l’Amérique, Pascal Bertin, éd. Le Gospel, 240 p., 16€.
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