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Bleubird – Interview

BLEUBIRD

Exubérant, expansif et un brin farfelu, Bleubird est l’un des phénomènes apparus à la suite d’Anticon. A quelques minutes d’un show survolté sur la scène de la Guinguette Pirate, le rappeur phare du label canadien Endemik a bien voulu nous en dire plus sur la genèse de ses multiples collaborations, sur ses liens avec le label de Sole, sur sa dentition déplorable et sur son inexplicable prénom français.

Commençons par une question sur ton nom, Bleubird. Pourquoi "bleu", plutôt que "blue" ?

Je l’épelle des deux façons. A la base, c’était Bluebird, mais j’ai dû changer à cause d’un groupe californien qui portait le même nom.

Quel genre de groupe ?

Un groupe de rock’n roll. Je n’ai jamais pu écouter ce qu’ils faisaient. Mais on avait le même agent pour nos concerts et ça créait un peu de confusion. J’ai donc dû changer pour "bleu". Et comme j’ai un prénom français, Jacques, il y avait une logique.

Comment se fait-il que tu portes un prénom français ?

Mon père est Italien, ma mère Américaine. Ils voulaient un nom qui puisse se dire autant en Italien qu’en Anglais.

Alors ils ont choisi un nom français…

Oui, et mon frère aussi a un nom français. J’ai un nom français mais aucune racine française. Tout va bien.

J’ai lu dans un article que tu ne parlais pas Français, malgré ton prénom.

En effet. Et même si maintenant je vis à Montréal, je ne parle toujours pas français.

Pour autant que je sache, tu viens de Floride. Et le Canada, c’est loin de la Floride.

Ouais. J’ai fui aussi loin que possible. J’ai toujours voulu quitter la Floride. J’ai beaucoup voyagé. Mon label était basé à Halifax, et dès qu’ils ont décidé de s’installer à Montréal, j’ai cherché à les suivre. La première fois que je suis allé à Montréal, je suis tombé sous le charme.

Apparemment beaucoup de gens s’installent à Montréal, en particulier des gens d’Halifax.

Ils vont soit à Montréal, soit à Vancouver, sur l’autre Côte. Des tas de gens s’installent à Montréal, mais pas nécessairement des rappeurs. Sixtoo ne rappe plus, et Buck 65 n’est plus dans les parages. Il n’y a pas beaucoup de rappeurs à Montréal. Si, quelques rappeurs francophones. Mais pas d’anglophone.

Comment as-tu rencontré les gens du label Endemik ?

C’était pendant une tournée avec Grand Buffet. J’ai joué à Halifax. C’était mon premier show avant la sortie de mon album. Scott da Ross, le patron d’Endemik, était l’organisateur du concert. Il a été impressionné par mon show. On a discuté un peu entre nous, et puis je suis revenu pour un autre show avec Thesis Sahib. A nouveau, Scott est venu à moi, en compagnie de Stigg of the Dump. Il m’a proposé de sortir mon album. Il m’a demandé qui le sortait. Quand je lui ai répondu qu’il n’y avait personne, il s’est montré intéressé et on y a travaillé ensemble.

J’ai avec moi une poignée de disques où tu apparais. Peut-être peux-tu me dire comment tu as atterri sur ces albums.

JD Walker ! Hé, c’est un très bon copain. Je l’ai rencontré pendant la même tournée. J’ai toujours été fan des Live Poets, qui était aussi le groupe de Sole. J’ai donné un concert dans le Maine, et c’est là que je l’ai rencontré. Il était surpris d’apprendre que je connaissais sa musique. Il est d’un genre plutôt timide. Nous avons commencé à nous lier, puis nous sommes partis en tournée ensemble. C’est à ce moment qu’on a enregistré cette chanson, c’était il y a plusieurs années.

Zucchini Drive. J’ai sorti l’album de Gunporn avec ces types. J’ai tourné avec Cavemen Speak. J’ai enregistré un titre pour leur album. Mais comme ils avaient tout un tas de beats, on a fini par sortir l’album de Gunporn. On a eu un peu de temps et on a pu enregistrer un disque entier.

Mais comment les as-tu rencontrés ?

Je les ai rencontrés ici, à Paris, au festival Sous la Plage. J’étais avec Grand Buffet. Après, nous sommes restés en contact. Et quand je suis revenu, on a donné des concerts ensemble.

OK. Le prochain disque est français.

Debmaster ! Je ne l’ai pas encore ! J’ai rencontré ces types à un concert en France. C’était pendant une tournée de Sole. On est resté en contact par email. Je les ai rencontrés pour de bon à Nancy avec Alias, à un concert d’Alias et de Damo Suzuki.

Damo Suzuki de Can ?

J’étais là-bas avec Alias. Je ne jouais pas ce soir. Alias ouvrait pour Damo Suzuki et son groupe de musiciens. Et puis soudain, le chanteur de Faust est apparu, et je suis fan. Damo et lui ne s’étaient jamais rencontrés. Ils sont montés sur scène ensemble et ils ont improvisé pendant genre une heure. Ce fut une incroyable page d’histoire. J’étais vraiment content d’être là pour ça. Et c’est aussi ce jour-là que j’ai rencontré Debmaster.

Debmaster ne t’a pas envoyé son disque ?

Il est arrivé chez moi à Montréal, mais j’étais déjà parti. Parce que je suis passé en Floride avant de venir ici. Il est à la maison et il attend mon retour à la fin de cette tournée.

Tu me dis que Can et Faust sont des grosses références, mais ce n’est pas vraiment hip hop.

Je n’écoute pas tant de hip hop que ça. Je suis plus dans le reggae, le rock, la soul, la musique électronique. J’écoute un peu de tout tant que ça me plaît. Je n’aime pas les frontières. J’écoute même de la country. Du vieux Johnny Cash, du Willy Nelson. Tant que c’est de la bonne musique, tant que c’est honnête, j’aime.

Qu’as-tu à nous dire du hip hop de ton pays d’origine, la Floride ?

Pendant longtemps, il n’y a rien eu en Floride. Mais maintenant il y a mon copain X qui a produit un des morceaux de mon album "Sloppy Doctor". C’est un de mes producteurs préférés. Il y a aussi Swarmburger, DiVinci, et les Sol.iLLaquists of Sound. Ils ont tourné avec Sage Francis. DiVinci s’occupe de tous les beats de Sage Francis maintenant ?

Ils sont de Miami ?

Non, d’Orlando. A Miami, il n’y a pas de hip hop pour moi. Il y a juste Counterflow, et Botanica del Jibaro.

J’étais avec La Mano Fria hier. Il est aussi à Paris en ce moment.

Je ne le connais pas. Mais je suis pote avec Soarse Spoken et avec Cyne. Je connais tous ces types de Botanica del Jibaro depuis pas mal de temps, tout du moins quelques-uns. Mais c’est à Barcelone que j’ai rencontré des types comme Manuvers. On participait au même festival. On vient tous du même coin de Floride mais il a fallu aller à Barcelone pour se rencontrer.

C’est quoi tes projets à venir ?

J’ai un nouvel EP, "Pilgrim of St.Zotique", sur Endemik Records. Je suis très content d’avoir pu sortir un tour CD avec des inédits et des vieux trucs à moi. Et puis j’ai cet EP avec 3 beats d’Alias, 1 de DJ Mayonnaise, 1 de Scott da Ross avec Subtitle et un autre de Sole et de Skyrider, qui vient lui aussi de Floride. Ils ont bossé ensemble sur 3 beats qui me sont destinés, le premier pour ce nouvel EP, les 2 autres pour mon prochain album.

Subtitle sera sur ton prochain EP, donc. Tu as des relations avec les Shapeshifters et tous leurs amis ?

Oui. J’ai rencontré Subtitle à Montréal. Quant aux autres Shapeshifters… J’ai fait une tournée avec Astronautalis, un autre rappeur floridien, et on a fait deux scènes avec Candy’s 22, soient Existereo et Barfly. C’est comme ça que je suis entré en relation avec eux. Depuis, on a fait plusieurs shows. J’ai enregistré deux titres pour la sortie canadienne de Candy’s 22. Et je participe aussi à un morceau sur le prochain album d’Existereo sur le label français Institubes.

Ah oui ?

Oui. Je fais autant de choses que je peux. Partout. Je ne veux pas me cantonner à un seul style. Dès que je m’entends avec quelqu’un, j’ai envie de faire de la musique avec.

Qu’en est-il de tes liens avec les gens d’Anticon comme Sole et Alias ? Ils viennent d’où ?

Tout a commencé à Orlando, en Floride, où j’ai vécu quelque temps. Personne ne s’y rendait jamais. Toutes les tournées s’arrêtaient à Atlanta. Alors je me suis joint à un ami qui avait un peu d’argent et on a commencé à organiser des concerts. Nous avons invité Alias, Passage, Sage Francis et Josh Martinez. J’ai toujours été un grand fan de Sole. Mais à la base, tout vient de Grand Buffet. Grand Buffet a été mon point d’entrée vers tout le reste. Ils étaient avec moi sur ma première tournée, ils m’ont emmené en Europe et au Canada. Ils m’ont présenté Anticon. Depuis le début, je suis un grand fan d’Anticon. Quand je bossais chez un disquaire, je faisais venir des disques comme le Deep Puddle Dynamics et Bottle of Humans. J’écoute du hip hop depuis tout petit, mais là, Anticon, c’est vraiment tout ce que j’attendais au bon moment. Je me jetais sur toutes leurs sorties et j’échangeais avec Sole par Internet. Il était très amical. Le jour où je l’ai rencontré, à un concert, il a demandé à participer à un morceau de "Sloppy Doctor". De nos jours, des tas de musiciens te disent "ouais, on va faire un morceau ensemble". Mais c’est un peu étrange si tu n’as aucun atome crochu avec celui qui te le demande. Moi, je n’ai jamais rien demandé. Tout ce que j’ai fait avec Anticon était fondé sur un accord mutuel. J’adore bosser avec eux. Ils font partie de mes musiciens préférés. Ils m’ont toujours traité avec respect et en toute amitié, et je suis devenu très pote avec certains d’entre eux.

En ce moment, tu es en tournée en Europe. Tu as tourné dans d’autres endroits ?

Oui.

J’ai cru voir que ton album "Sloppy Doctor" avait été très bien reçu au Japon.

Il vient juste d’être réédité au Japon, de même que l’album de Skyrider. J’adorerais tourner au Japon. Ils ont traduit toutes mes paroles. Ils ont ajouté des vidéos. Siaz a fait une vidéo, une vidéo de Gunporn, et ils l’ont mise. En ce moment, ce doit être ma troisième tournée en Europe. J’ai aussi tourné aux Etats-Unis et au Canada pendant des années. J’adorerais aller en Australie et en Amérique Centrale. Je veux voyager autant que possible. Je veux jouer en Serbie, en Bosnie, en Croatie, en Hongrie, en Turquie. Je veux voir tout ce qu’il est possible de voir.

Ces concerts en Europe, ils sont différents de ceux que tu donnes aux US ?

Ils sont bien mieux, et très différents. Le public semble m’apprécier davantage ici.

Pourtant, une bonne partie ne comprend pas tes paroles.

Oui. C’est dommage parce que j’adore discuter avec le public. Sans doute apprécie-t-il l’émotion et le feeling. En plus, il y a davantage de subventions publiques, ici. Même si tu n’es pas très connu, tu n’y seras pas de ta poche. Alors qu’aux Etats-Unis, tu dois tout avancer. Faire des concerts, ça veut dire perdre de l’argent. C’est vraiment très différent. En tournée, aux Etats-Unis, tu dois payer les repas et l’hôtel, sauf si tu arrives à un autre niveau. C’est vraiment mieux ici. Aux US, c’est très dur.

A part tes propres sorties, que connais-tu des prochains projets d’Endemik Records ?

L’album de Skyrider vient d’être réédité au Japon. Et Scott da Ross, le patron du label, vient de sortir deux 45 tours, avec moi, Noah20, K the I et Sole. Nous avons aussi Tweetch Iz-Own, notre nouvelle signature, un bon ami à moi qui vit dans le Michigan.

Qu’est-ce qu’il y a sur ta playlist en ce moment ?

Ma playlist ? Ce que j’écoute en ce moment ? Ah ! J’adore Bonnie Prince Billy, son dernier. L’album sans titre de Saul Williams. C’est un peu vieux, mais je n’arrête pas de l’écouter. Et Fleetwood Mac. J’adore Fleetwood Mac. Creedence Clearwater Revival. Et Zucchini Drive. J’écoute un peu de tout.

Et en ce qui concerne le hip hop ?

En ce qui concerne le hip hop… L’album "Later that Day" de Lyrics Born. Je n’écoute pas tant de hip hop que ça, je suis trop concentré sur ce que je fais. Ces deux derniers mois, je n’ai fait qu’enregistrer, enregistrer, enregistrer… Je me suis un petit peu enfermé dans mon propre monde.

Quels retours as-tu eu sur ton album "Sloppy Doctor" à sa sortie ?

De très bons retours. J’en ai été très surpris parce que c’était mon premier véritable album. J’ai vraiment été content de ces retours. Maintenant, j’essaye de progresser encore un peu. Je pense que ma musique va devenir un petit peu différente. J’ai enregistré "Sloppy Doctor" il y a des années. Et maintenant, j’essaie de gagner ma vie en tant que musicien. Mais je suis un peu frustré par le business autour. C’est quelque chose que je déteste. Plus j’en apprends sur le business, plus j’attache de l’importance à l’amitié. C’est ce que j’aime chez Endemik. C’est un petit label, mais il repose sur l’amitié et la confiance.

Dans quelques instants nous allons te voir sur scène. Tu y es aussi excentrique que sur ton album ?

Probablement plus. Définitivement. C’est ce qu’on m’a dit. J’adore ça. J’adore me produire sur scène. J’aime cette sensation, j’adore avoir du fun.

Un dernier message aux Français ?

J’ai cru comprendre que la France était le deuxième marché du hip hop ?

Mon message, c’est : merci la France. La France semble porter un flambeau, elle est réceptive à la musique et aux messages. Je l’aime pour ça. La dernière fois que je suis venu ici, au festival Sous la Plage, je me suis cassé le pied. Et hier en Belgique, j’ai perdu une dent. Mon corps part en lambeaux, je me sacrifie pour la France !

Rires.

J’ai une dentition horrible et je n’ai pas les moyens de me payer un dentiste. C’est un problème.

Et bien, finissons avec ça.

Ouais !

Merci à Scott da Ross d’Endemik Music et à La Guinguette Pirate pour avoir facilité cet interview.

www.endemikmusic.com
www.myspace/bleubird

Propos recueillis par Sylvain Bertot

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