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Disques

Mount Eerie – A Crow Looked At Me

 Mount Eerie - A Crow Looked At Me

Voici un album qu’on n’a absolument pas envie d’écouter. Ou plutôt qu’on redoute d’écouter pour diverses raisons. D’abord parce qu’on ne veut (voulait ?) pas pénétrer dans l’intimité de Phil Elwerum et de Geneviève Castrée, artistes précieux ayant préservé jusque tardivement une liberté farouche(réécouter « Courses »). Non, nous ne savions pas qu’ils avaient eu un enfant et que Geneviève avait dû lutter contre un cancer du pancréas foudroyant. Jusqu’à un appel au secours financier déchirant qui n’a occasionné, au mieux, qu’un bien maigre répit, du moins, un peu d’aisance dans une vie éprouvante de combat.

Alors, un album présenté par Phil comme un recueil de chansons sur la mort, réelle, avec des dates, voilà ce qu’on aurait aimé éviter. Death is real, titre secret de l’album, revient comme un mantra un peu partout. Vous voilà prévenus. Avec effectivement, des dates (1 week after, 11 days after, 3 months and one day after, 7 months after…). Peut-on vraiment encaisser ça ?

On se protège comme on peut, et on ricane devant « When I took the garbage at night » ou « Tooth Brush/Trash » (et sa porte qui claque) en espérant que cela ne nous arrive jamais.

Parce qu’on ne veut pas écouter un album qui regarde la mort en face. Surtout pas avec un nourrisson dans les bras.

Phil, le poète des montagnes, des brumes, des lunes claires, des tonnerres, des lieux désolés nous ouvre le livre de sa vie, suite macabre du « Dawn » norvégien. Exit les textes obscurs et embrumés, bienvenue dans le quotidien d’un jeune père veuf. Exit aussi les productions titanesques : une petite guitare acoustique, une petite boîte à rythme, un piano chez les parents. Et le son de « Arise Therefore » comme étalon avec la sincérité de « Benji » de Sun Kil Moon. Personnellement, j’y retrouve aussi un peu du « Lost Wisdom » de Mount Eerie enregistré avec Fred Squire et Julie Doiron.

« A Crow Looked At Me » nous laisse un goût amer dans la bouche à cause de la crudité des mots et des situations, même si on ne sombre jamais dans le voyeurisme. « A Crow Looked At Me » est un album d’amour (« My Chasm »), d’un commencement de deuil, d’un deuil en cours, d’un deuil qui ne veut pas oublier ni clore tout à fait, d’une manière ou d’une autre, ce qui se termine par le drame. On y trouve des moments graves bien sûr (« Ravens », soient la mort et la dispersion des cendres), mais pleins de poésie, d’images, de dessins (un poster cartonné avec certaines des dernières illustrations de Geneviève pour « Une Bulle », disponible ici chez Drawn & Quarterly, bientôt chez L’Apocalypse de JC Menu ?), de textes (écrits, chantés), de photos de lieux aimés, de lieux de deuil. On y croise et aperçoit même une petite fille, des corbeaux aussi. Quelques fois les deux (« Crows »).

On n’écoute pas tous les jours ce disque. C’est difficile, j’imagine, de l’aborder d’une oreille distraite avec un fichier mp3 mais on peut, et on doit, parcourir le luxueux vinyle, ses chansons, ses textes, ses images. On n’aura pas de révélation, « there’s nothing to learn » (« Emptiness part.2 »), rappelle Phil. Mais peut-être que pour nos propres deuils, cet album permettra de trouver un peu de consolation au milieu des pleurs et de la rage. Pour ma part, c’est déjà le cas avec « Soria Moria ». Et le grésil de guitare électrique qu’on y entend vaguement au loin n’y est certainement pas étranger.

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