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Xtc – Interview

XTC

On n’envisage pas une interview d’Andy Partridge et de Colin Moulding, les deux survivants de XTC, sans une certaine appréhension. Rencontrer deux des plus fins songwriters d’Outre-Manche a quelque chose d’intimidant. Franchement, avec notre pauvre anglais, comment être à la hauteur de « No Thugs In Our House » (Partridge) ou « Making Plans For Nigel » (Moulding), des textes qui, vingt ans après, n’ont rien perdu de leur féroce alacrité (et on pourrait en citer quelques dizaines d’autres) ? D’autant que ces deux quadras vivant quasiment tels des anachorètes, dans leur Swindon éternel, n’apprécient sans doute que modérément ces marathons promotionnels où les interviews se suivent et se ressemblent. Andy sera-t-il aussi drôle et brillant que dans ses entretiens-fleuves pour « Les Inrocks » ? Et Colin, aussi effacé ? Les réponses sont oui. Après une demi-heure extrêmement dense, bien que trop courte pour aller au fond des choses, on se dit qu’on a bien fait de s’enfermer avec les deux complices dans une sinistre salle de conférences du Holiday Inn de la rue Damrémont, avec quelques bouteilles d’eau minérale. Et qu’on gagne (presque) toujours à rencontrer ses idoles, à ne pas se contenter de leurs disques, aussi brillants soient-ils. Entre un Moulding discrètement pince-sans-rire et un Partridge à l’esprit toujours aussi affûté, l' »ecstasy » fut au rendez-vous. Jugez-en plutôt.

Quand tu as commencé la musique avec les Helium Kidz, pouviez-vous imaginer une seule seconde où cela vous mènerait ?
Andy : Oh que non… A l’époque, il s’agissait juste d’essayer d’attirer quelques filles qui traînaient devant la scène avec le manche de ma guitare. Nous voulions vraiment être les New York Dolls… ou Alice Cooper… ou le MC5… ce que nous avions acheté cette semaine là. C’était bien de faire du bruit, de perturber les gens aussi : nous montions sur scène et les gens fuyaient « Oh mon dieu !! ».
Nous avions un chanteur à l’époque, qui venait de Londres… et il avait une voix de chanteux de Night Club, vous savez… (Andy mugit… quelque part entre Pavarotti et Barry White)… trop de tremolo…
Colin : Nous voulions vraiment être différents…vous savez, nous essayions d’être un cartoon vivant à l’époque.
Andy : J’étais fou de cartoons et de comics à l’époque, Marvel, DC… Nous avions un poster avec un zombie musculeux qui jouait de la guitare avec en arrière plan une ville atomisée, et c’était une parodie d’affiche de film de science fiction des années 1950, ça s’appelait « Boogie Woogie Planetoid of Blood, starring the Helium Kidz ». Je suis sûr que ça a perturbé pas mal de gens à l’époque, juste à la sortie des années hippie.
Colin : Nous voulions vraiment attirer l’attention sur nous… par n’importe quel moyen.
Andy : Nous ne savions pas ce que nous faisions à l’époque. Nous voulions croire que nous savions ce que nous faisions, mais non, on n’en avait aucune idée. Maintenant, je sais ce que je veux… Maintenant, je suis gêné à propos de cette période.

Votre ami Louis Philippe a consacré à XTC un article de sept pages dans le "Dictionnaire du Rock" de Michka Assayas qui vient de sortir en France, presque aussi long que l’article consacré aux Beatles ou aux Kinks. Est-ce que XTC appartient déjà à l’histoire ?
(Rires)
Andy : Non, parce qu’ils ont beaucoup plus de succès en termes de ventes et de reconnaissance. Nous, nous sentons encore underground, même si notre musique n’est pas brutale ou dérangeante.
Colin : J’aime à penser que nous n’avons pas encore donné le meilleur de nous-mêmes, que nous sommes encore dans une période d’ombre.
Andy : Nous avons à peine terminé notre période d’apprentissage !

Andy, tu as dit que le jour où XTC quitterait Virgin, le label s’effondrerait… XTC a quitté Virgin, rien n’est arrivé… l’un peut donc exister sans l’autre ?
A l’époque, XTC était vraiment pour Virgin un "groupe trophée", comme on peut être marié à une "femme trophée", très belle, avec de beaux nichons, que tout le monde veut avoir. Et puis quand on l’a… Les critiques nous aimaient beaucoup, personne n’achetait nos disques… Nous étions surtout populaires auprès des gens qui recevaient nos disques gratuitement. Il n’y avait aucun rapport entre le Virgin des débuts, quand nous avons signé avec eux, et le Virgin de la fin, racheté par EMI, ayant viré pas mal de groupes… Nous ne connaissions plus personne chez Virgin. Et puis, il fallait qu’on parte, il fallait qu’on gagne notre vie. Aussi bizarre que cela puisse paraître, on ne gagnait pas un rond avec Virgin.
Colin : On avait toujours le même contrat qu’à nos débuts, en 1977…
Andy : Le genre de contrat écrit rapidement au dos d’un paquet de cigarettes.

Andy, tu as été producteur : pour Peter Blegvad, Lilac Time, Martin Newell… Etait-ce juste une façon de t’occuper entre deux disques d’XTC, de gagner un peu d’argent, ou le plaisir de découvrir d’autres univers, d’y apporter tes propres idées ?
Je pense que c’est un peu tout ça… Je refuse beaucoup de propositions, parce que ce qu’on me propose n’est pas terrible. Mais je ne refuserai jamais si j’aime ce qu’on me propose. J’apprécie beaucoup les talents de singwriter de Stephen Duffy. Martin Newell m’a demandé de produire un album, il n’avait pas d’argent, donc on a enregistré dans mon jardin mais il écrivait de grandes chansons. Peter Blegvad est un génie, à mon avis. A chaque fois que j’ai fait quelque chose pour de l’argent, et c’est arrivé quelques fois, ça n’a pas marché…

Comme avec Doctor and the Medics ?
Moui… Ce n’était pas terrible, j’en ai bien peur… J’ai transgressé mes propres règles, à ce moment-là. Et j’ai aussi transgressé mes principes avec The Mission. C’était un sale moment à passer… Wayne Hussey faisait vraiment tout pour se rendre impopulaire…

Etait-ce aussi un moyen d’être le patron dans le studio ? Avec XTC, ça n’a pas toujours été facile de gérer un producteur, comme Todd Rundgren pour « Skylarking » par exemple…
Non, je ne pense pas. Qui est le patron quand une femme donne naissance à un enfant ? la mère ? le bébé ? le docteur ? Personne n’est le patron, tout le monde travaille dans le même but. Le producteur est juste là pour aider à la naissance du bébé. Le bébé ne doit pas être à lui à la fin de l’accouchement, il ne doit pas essayer de changer la forme du bébé non plus.
Colin : C’est un travail d’équipe…
Andy : L’idée que le producteur puisse être le patron me donne la chair de poule !
Colin : Je pense que le songwriter doit avoir le dernier mot…

Ne vous sentez vous pas comme des dinosaures dans le monde musical actuel ?..
(rires) Oui, oui.. Mais nous ne nous promenons pas beaucoup dans le monde musical actuel… donc nous ne marchons pas sur grand monde. Ca ne nous fait pas nous sentir mal, juste déplacés… comme une espèce exotique.
Colin : Nous sommes des dinosaures, mais c’est comme si nous avions notre propre "monde perdu".
Andy : Un monde perdu avec sa végétation un peu spéciale (s’ensuit un passage malheureusement intranscriptible, durant lequel Andy dégomme d’un adroit coup de fusil un ptérodactyle qui trainait par là). Je ne me sens pas coupable, je ne ressens pas la nécessité d’être en compétition avec ce que les types de vingt ans font. Ils vivent les petits enfers de leur âge, nous, nous les avons déjà eus et nous sommes trop occupés à profiter de nos paradis à nous maintenant.

Vous écoutez beaucoup de nouveautés ?
Non, ou alors pas intentionnellement. Ca me tombe dessus quand je n’en ai pas envie, quand j’allume la télé, ou la radio, ou quand je vais dans un magasin. Parfois, je me dis « hum, c’est très bon ». Mais la plupart du temps, c’est pas terrible. Mais ça a toujours été le cas, que ce soit dans les années 1940, 1950, 1960, 1970, 1980… Il y a ces vieux boucs qui vous disent « Dans les sixties, tout était fantastique". Non, dans les sixties, 90% de ce qui sortait était de la merde ! Et ces un peu moins vieux qui vous disent : « dans les années 1970, tout était fantastique ». Non plus, 90% de ce qui sortait dans les années 1970 était de la merde. Je pense que c’est pareil pour aujourd’hui.
Colin : Les trucs potables qui sortent aujourd’hui ont beaucoup plus de mal à se faire entendre…
Andy : La musique, aujourd’hui, est rangée dans des boîtes, de plus en plus petites. C’est un truc de l’industrie du disque, isoler pour mieux régner. Séparer un animal de la horde pour mieux le tuer. Donc l’industrie du disque a créé ce dispositif de petites boîtes, de plus en plus petites, dans lequel mettre les goûts des gens, pour mieux les contrôler.

Dur de faire un rentrer un dinosaure dans une boîte ?
Andy : Effectivement !
Colin : Je pense qu’il y a quelques années, le spectre musical des titres présents dans les charts était plus large. Aujourd’hui, quand vous regardez "Tops Of The Pops", vous voyez majoritairement des groupes de dance pour les jeunes adolescentes qui sortent en boîte… C’est un peu triste.

Au début, vous sembliez être très influencés par des groupes américains : Captain Beefheart, ou la new wave new-yorkaise de Television, Talking Heads…
Andy : Television et les Talking Heads ne faisaient pas partie de nos influences, pas du tout. Je vais vous dire ce qui nous influençait au début. Je ne le savais pas à l’époque, maintenant je le sais. Captain Beefheart, BeBop Deluxe, pour moi, le rock’n’roll des fifties, qu’on jouait dans les fêtes foraines, et puis des trucs plus « heavy » que Colin a apportés comme Black Sabbath.
Colin : Je pense que ça a assez à voir avec le fait d’apprendre à jouer de son instrument. On joue les riffs à la mode. Aujourd’hui les jeunes jouent les riffs de Nirvana, à l’époque on jouait ceux de Black Sabbath…
Andy : C’est la même chose… jJai même dû jouer "Smoke On The Water" (rires). Quand nous avons commencé, nous pensions être très originaux.

Sur « Statue of Liberty », Andy, ta voix ressemblait un peu à celle d’Elvis Costello…
A l’époque, j’étais désespéré à l’idée de devoir trouver un style vocal pour chanter en public, alors j’ai pris à droite et à gauche. Pas trop à Elvis Costello, car je ne le connaissais pas à ce moment-là. J’ai piqué à Steve Harley, à des disques de dub, j’ai piqué au rock des fifties son petit gloussement (NDLR : beau gloussement rockabilly à l’appui).

Ca me fait penser à votre titre, « History Of Rock’n’roll » (NDLR : un fameux titre d’Andy dans lequel il résume chaque décennie musicalement en trente secondes)… Qu’est-ce que vous pourriez ajouter pour les années 1990 ?
Andy : Ce titre résume notre carrière ! Hum… Pour les années 1980, c’était une espèce de long pet synthétique… Je pense que ça résume assez bien l’époque, Depeche Mode ou des trucs comme ça. Pour les années 1990, je pense que ça pourrait être une boucle de batterie, avec des scratches (Andy se métamorphose en human beat box).

Quand vous avez sorti "Apple Volume 1", on a lu çà et là que vous aviez quatre albums prêts à être enregistrés… Qu’est-il arrivé aux deux autres ?
Andy : Ils n’étaient pas assez bons, tout simplement. Peut-être que certains morceaux referont surface sous forme de démos, alors vous pourrez juger par vous-mêmes et vous fabriquer votre propre "Apple Venus Volume 3". Je pense vraiment qu’on a retenu la crème !

Comment est venue l’idée de sortir deux albums séparés, avec deux ambiances différentes, alors que « Nonsuch », par exemple, mélangeait les deux ?
Andy : Je pense que c’était d’ailleurs une erreur ! « Nonsuch » contient de bons morceaux, mais je pense qu’un album gagne à avoir une couleur bien définie plutôt que de tout mélanger. Ces deux albums sont ce qui est sorti de mieux durant les années de grève. Quand les premiers morceaux sont sortis, plutôt acoustiques et orchestraux, on les a mis d’un côté, ce qui est sorti ensuite était plus électrique, et on l’a mis d’un autre côté. Ces deux albums sont comme le côté pile et le côté face d’une même pièce.

Vous pouvez nous décrire une journée de Colin Moulding et Andy Partridge à Swindon ?
Andy : On meurt d’ennui !
Colin : Je passe la plupart de mon temps à tenter d’éviter de passer la tondeuse…
Andy : Moi je passe mon temps à essayer d’avoir une relation sexuelle… Je joue un peu de guitare, je vais acheter du pain… Le soir, je bois un peu de bière ou de vin… Pas vraiment une vie "artistique" ! Quelqu’un a voulu faire un documentaire télé sur nous récemment. Pour nous montrer ce que ça pouvait donner, ils nous ont envoyé le documentaire qu’ils avaient réalisé sur Björk. On y voit Björk avec ses vêtements haute-couture à côté d’un volcan, puis elle saute dans son hélicoptère pour aller à un rendez-vous avec un compositeur célèbre dans sa maison en Espagne afin d’enregistrer avec lui, ensuite elle part en avion jouer avec des musiciens africains. Ca, c’est une vie d’artiste. Pendant ce temps-là, nous on va acheter du pain, du lait et du fromage et l’on essaie d’avoir des relations sexuelles.
Colin : C’est très proche de vos vies, franchement.
Andy : N’est-ce pas plus sain ? (rires)
Colin : Et si on est d’humeur à composer, on passe beaucoup de temps à regarder par la fenêtre.
Andy : …ou à fixer son tapis. Peut-être qu’on passe plus de temps que vous à fixer nos tapis, en fait.

Après une chanson amère et vacharde comme "Your Dictionary", vous avez réussi à écrire de nouveau des chansons d’amour ?
Andy : Pour sûr, "Stupidly Happy" en est vraiment une, j’ai essayé de capturer ce sentiment de bien-être amoureux un peu bébête. J’espère y avoir pas mal réussi.

A propos de cette chanson, pensez-vous qu’il est plus difficile d’écrire des chansons heureuses qui soient intelligentes ?
Andy : Il faut se méfier du mot intelligent. On n’essaie jamais d’écrire des chansons intelligentes, jamais. Il y a des rimes, ok, mais on n’assied jamais en se disant, "Hum, je vais faire quelque chose d’intelligent", on essaie d’écrire de la façon dont on se sent à propos de quelque chose. On essaie d’ajouter des éléments de joie, de surprise dans les chansons.
Colin : Il y a tous ces groupes en ce moment qui essaient de faire de la musique sérieuse, qui écrivent des chansons tristes.. pour être pris au sérieux.
Andy : Ils pensent qu’ainsi, leurs auditeurs deviendront eux aussi sérieux, par association. Et leurs parents, et leurs fréquentations aussi. C’est une terrible erreur, car la musique est faite par des êtres humains, pas par les statues de l’Ile de Pâques, par des êtres humains qui pleurent, rient ou pètent. L’humanité est faite de diversité, la musique doit rendre compte de cette diversité. Pas juste du sérieux. On peut être heureux et intelligent à la fois !

propos recueillis par Vincent et Guillaume

Chronique de « Apple Venus Volume 1"

 

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