Loading...
disques

Sophie Moleta – Interview

Sophie Moleta

propos recueillis par Guillaume.
photographies de Frédérique Lajoix et Claire Bercher

SOPHIE MOLETA (photo Frédérique Lajoix )Je dois l’avouer, j’échange rarement ma rituelle grasse matinée du dimanche matin contre d’autres activités, fussent-elles très épanouissantes (regarder Télé Foot par exemple). Mais là, franchement, il aurait été honteux de se faire prier, puisque, outre les prémisses d’un été, disons, chaleureux, c’est Sophie Moleta qui m’attendait non loin de Beaubourg ce matin-là.
Pour la forme, j’avais un peu résisté à son album "Dive" (Telescopic / Le Village Vert / Wagram). Ce n’était que pour mieux succomber ensuite à la folie douce de cette voix hors norme, ces arrangements sobres réussissant une rare et parfaite harmonie avec le silence, ce va et vient de larmes et d’éclats de rire, bref, ce sentiment diffus de découvrir, à travers un disque, une personnalité, avec ses qualités, ses petits défauts irritants aussi, ses passions. Et histoire d’être convaincu définitivement, les concerts de Sophie Moleta sont proprement fascinants. J’ai testé au Café de la Danse le 15 juin dernier, puis en showcase deux jours plus tard, et je vous invite (ordonne ?) d’en faire autant lors de la tournée automnale de la demoiselle.

Il y a manifestement quelque chose qui se passe autour de Sophie Moleta : des articles dans les journaux spécialisés ou non, beaucoup de monde à tes concerts… qu’est-ce ça fait de devenir célèbre, en quelque sorte ?

Pour moi, c’est très étrange. Pendant 10 ans, j’ai travaillé très tranquillement de mon côté et puis tout d’un coup, il y a eu cette proposition de Stéphane (NDLR : du label Telescopic) de venir jouer à ce festival [NDLR : Les Femmes s’en mêlent]. Ce n’est pas vraiment devenir célèbre… tu sais, pendant dix ans, j’ai travaillé, sans me soucier de l’avis des autres, c’était un travail inconscient, en quelque sorte, mais aussi une sorte de discipline spirituelle que je me suis imposée, jusqu’à devenir assez forte pour savoir qui je suis. Et une fois que je l’ai trouvé, je dois le montrer au plus grand nombre de gens possible. Ce n’est pas le fantasme de devenir pop star, ça ne m’intéresse pas, la musique est quelque chose de spirituel pour moi. C’est marrant d’accomplir ça dans un contexte « pop » parce qu’ainsi le message parvient aux gens. Ce n’est pas de la religion, c’est juste la question que tout le monde se pose, savoir qui il est réellement. A chaque fois que je vois un des concerts de Barnaby, qui joue avec moi, je me sens vivante et il me fait me demander qui je suis. C’est ce que je veux faire avec la musique, je dois continuer à découvrir qui je suis. Après le concert du Café de la Danse, il y avait beaucoup de gens dans les coulisses, je n’aime pas trop ça.

Donc tu as un petit peu peur de cette "renommée" et de ses conséquences lors de tes concerts ?

Oui, je n’ai pas envie de vivre ces conneries… David Bowie était mon idole quand j’avais 14 ou 15 ans, je n’aime pas la façon dont les jeunes gens peuvent courir après quelqu’un quand il est célèbre… Je me sens comme si j’avais reçu un don, et c’est mon choix de faire usage de ce don. Mais pour moi, à chaque fois que je fais un concert, c’est extraordinaire…

.. par rapport à l’enregistrement en studio ?

Je préfère les concerts. Le studio est un petit peu artificiel. D’un point vue artistique, c’est mieux, mais si vous voulez vraiment donner quelque chose aux gens, faire passer un message, de l’énergie, c’est sur scène que ça se passe.

Sur la pochette de Dive, tu remercies des artistes comme Lori Carson, Mary Margaret O’Hara, Kate Bush, Tori Amos… et en fait, on te compare assez fréquemment à elles, es-tu flattée par ces comparaisons ?

Je ne pense pas ressembler à Mary Margaret O’Hara… j’aimerais bien. Je l’écoute beaucoup en ce moment. Quant aux comparaisons, je pense que les gens en ont besoin, on ne peut pas l’empêcher.

J’ai entendu ta voix sur un morceau de « Cage of Stars », l’excellent album de Gata Negra sorti sur Telescopic récemment…

Ah oui ? En fait, c’est moi qui ai fait se rencontrer Gata Negra et Stéphane, je suis amie avec Cat (NdG : la chanteuse de Gata Negra), on traine dans les cafés ensemble en Australie…

Tu envisages de collaborer avec d’autres artistes ? dans des univers très différents du tien ?

Oui, tant que je pense que je peux apporter quelque chose. Par exemple, je n’aime pas particulièrement la transe mais j’ai donné un titre à un DJ anglais, Dave Seaman, il en a fait quelque chose de très beau et il parait que ça marche fort à Ibiza en ce moment ! Pour moi, c’est aussi une opportunité d’enregistrer.

Avant d’enregistrer Dive, tu étais sur le point d’enregistrer avec Hector Zazou ?

Nous avons enregistré quelques chansons ensemble, je n’ai pas d’enregistrement, je ne sais pas ce qu’il va en faire, mais je sais qu’il en a envoyé une à Ruychi Sakamoto, qui a joué du piano dessus. Je ne sais pas si ça sortira un jour…

Sur une de tes nouvelles chansons, tu chantes « I’m not a stranger here anymore ». Quelle est l’importance de tes nombreux « exils » sur ta musique ?

En fait, maintenant j’ai ma maison à moi, et du coup, j’ai envie d’y retourner, elle me manque… j’apprends beaucoup quand je voyage, plus que si je reste dans ma chambre. Cette chanson, je l’ai écrite à propos de Paris. La première fois que j’ai réussi à trouver mon chemin de Hôtel de Ville à Gambetta, la nuit, sans prendre le métro et sans carte, je jubilais ! Ca y était, je n’étais plus une étrangère dans cette ville, d’où cette chanson. En fait, maintenant, j’ai besoin d’avoir une maison quelque part, je n’ai plus envie de me sentir étrangère.

Et la difficulté de partir ? de quitter l’Australie ?

En fait, ça n’a pas été trop dur, parce que j’ai beaucoup voyagé quand j’étais enfant, mes parents voyageaient beaucoup. J’ai passé un an en Inde quand j’avais 19 ans et on voyageait sans arrêt en Inde.

Les artistes originaires des antipodes ont souvent un son bien particulier, du fait de la distance des modes européennes et américaines et des différences de culture, tu penses que grandir en Australie t’a influencée ?

Les pays comme l’Australie ou la Nouvelle Zélande vous donne un véritable sens de l’espace. Par exemple, ici, un bus passe toutes les 4 minutes, là-bas, on peut attendre une heure. On a le temps de penser. La musique me vient de manière différente. Tu vas te promener dans le bush, et là tout est déstructuré… la musique que j’ai écrite là-bas était beaucoup moins construite, structurée et c’est dû à mon environnement. J’ai écrit « Dive » en 9 mois, je vivais en Europe, tout allait très vite; il y a beaucoup de stimuli. En Australie, j’ai écrit « Trust » qui est plus le résultat de mes rêves, est plus un travail d’introspection, de contemplation de paysages…

« Trust » est plus un carnet de voyage intérieur, et « Dive » un carnet de voyage tout court ?

Oui, c’est un peu ça…

SOPHIE MOLETA (Photo de Claire Bercher)

Lors de ton concert au Café de la Danse, quand tu es arrivée sur scène, tu ressemblais un petit peu à un croisement entre le Dalai Lama et Sinead O’Connor, tu as allumé de petites bougies… en plein milieu du concert, tu t’es changée en avatar de Madonna, tu aimes bien jouer avec ton image ?

Vraiment ? (rires) si je pouvais, je changerais de vêtements pour chaque chanson, parce que chaque chanson est à propos de quelque chose de différent. Maintenant que j’ai commencé à faire des concerts, j’ai commencé à penser à mon image. Oui, j’en joue, parce que j’en ai envie.
En fait, allumer des bougies, c’est ce que je fais tous les soirs chez moi, j’ai besoin de me sentir chez moi sur scène, de me sentir bien, en paix.

Sur « Dive », la chanson, tu chantes « Please don’t take me lightly » puis « Please don’t intellectualize me », tu souhaites emprunter ce chemin un peu étroit entre légèreté et sérieux, en tant qu’artiste ?

Attention, cette chanson parle d’une relation amoureuse et pas d’autre chose… Cette chanson est quelque chose de très intense pour moi, à l’époque j’étais avec quelqu’un qui m’intellectualisait beaucoup… Je suis très sceptique sur le fait que l’amour et l’intellect puissent fonctionner ensemble !

Stay Gold est dédiée à toutes les femmes du monde… qu’est-ce que ça représente d’être une femme dans ce monde de brutes qu’est le monde de la musique ?

Ce n’est pas si difficile. Quand j’avais 20 ans, j’étais une féministe radicale… maintenant je me suis un peu adoucie (rires) !
Je ne suis pas une personne très politisée. Ma soeur est très politisée, et quand je la vois, je me sens coupable parce qu’elle est au courant de tout ce qui se passe en matière de droits de la femme. C’est plutôt agréable d’être une femme en fait !
« Stay Gold » est en fait à propos d’une rupture parce que pour la plupart des gens, il y a quelque chose en soi qui se brise. Cette chanson est pour les femme qui viennent de vivre une rupture, pour qu’elles se retrouvent, parce que qu’après être tombé amoureux de quelqu’un, s’être en quelque sorte abandonné, il faut se retrouver.

Tu penses que c’est différent pour les hommes ?

Je ne sais pas… je pense que si tu aimes vraiment quelqu’un, ça doit être pareil.

De quoi parle « Octave war » ?
J’ai écrit cette chanson pour moi-même, comme beaucoup d’autres chansons. « Octave War » est à propos de la peur. Par exemple, jouer sur scène, devant trois cent personnes, cela me fait peur. Si j’ai peur, je me relaxe, je transforme cette peur en force. Cette chanson vient d’une phrase de Martin Luther King.

Comment tu as trouvé les arrangements un peu étranges de cette chanson ?

En fait, elle est venue comme cela, directement ! Le son que j’utilise sur mon synthé pour cette chanson s’appelle en fait « Octave War », d’où le titre.

Tu as joué certains de tes concerts seules, maintenant tu es accompagnée sur certaines chansons…

Oui, il y a certaines chansons que je dois jouer seule. Je réfléchis des mois pour savoir sur quelles chansons je peux jouer accompagnée.

Est-ce que le processus de composition des chansons est douloureux et long pour toi ?

Elles viennent en dix minutes : d’abord les paroles, puis la musique, toujours.

A part la musique, tu as d’autres passions ?

Je ne lis pas trop, je peignais beaucoup avant… je pense que ce que je préfère tourne autour de la nature, marcher dans la nature

Parmi toutes les rencontres que tu as faites depuis que tu es arrivée en Europe, quelle est la plus déterminante ?

Peter Gabriel. Je l’ai rencontré à Real World, alors que je passais un sale moment pendant l’enregistrement de « Dive ». Il y avait Hector Zazou, les gens de la maison de disque, et nous n’avions que cinq jours pour enregistrer. Je subissais une telle pression. A un moment, j’ai éclaté en sanglot et Peter Gabriel était là, et il m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu que je trouvais ça vraiment très dur, et il a fait preuve de beaucoup de compréhension : ça lui était déjà arrivé, il était le seul à me comprendre.

Cela ne t’a pas pris très longtemps d’enregistrer ce disque, comparé à "Trust" ?

Seulement cinq jours. Le studio n’était réservé que pour cinq jours de toute façon, c’est aussi pour cela qu’il y avait une si grande pression. J’étais dans un état lamentable, ce n’était pas sain. Je ne referai jamais ça, jamais, ce n’est bon pour personne.

Cette tension ne se ressent pourtant pas trop à l’écoute de « Dive » ?

Oui, c’est extraordinaire, je sais. Deux mois après l’enregistrement, je ne pouvais toujours pas écouter ce disque, le label non plus. Et Barnaby ne voulait plus me voir. Hector Zazou non plus. Tout le monde me détestait. Maintenant quand je réécoute le disque, je ne peux imaginer que ça s’est passé ainsi… je ne sais pas ce qu’on a fait de cette tension, peut-être qu’on l’a évacuée au mixage ? c’est très étrange…

Tu as encore des idoles dans le monde de la pop ?

Oui… j’aime la musique pop, pas trop tout ce qui tourne autour. J’aime beaucoup David Bowie, « Low » et « Heroes » sont deux albums fabuleux. David Sylvian aussi… il y a tellement de bons groupes. J’aime beaucoup Radiohead par exemple. Je les ai vus en Australie, c’était fabuleux.

A l’origine, tu as une formation musicale classique… ensuite tu as joué de la batterie au sein des Brautigans… pas trop dur de passer du piano classique à la batterie ??

Avec les Brautigans, je chantais également (rires) ! Non, non, ce n’a pas été trop dur, parce que entre temps je suis allée en Inde, et ça, ça a tout changé (rires) !

Tu es contente de la première impression que donne la pochette de "Dive" ?

En fait, j’étais en Australie quand elle a été choisie… j’aurais aimé que ce soit une autre photo, une photo très dure de moi, où je donne l’impression d’être à deux doigts de péter les plombs. Mais ça aurait été difficile de la mettre dans les bacs ! Pour « Trust », j’avais fait la pochette moi-même. Il parait qu’il y a un groupe français qui s’appelle comme ça… tu les connais ?

Oui. Généralement, quand on cherche un exemple de groupe français dont se moquer, on choisit Trust…

Ah vraiment (rires) ?? j’espère que mon disque ne leur a pas trop fait de tort…

SOPHIE MOLETA - TRUST

propos recueillis par Guillaume.
photographies de Frédérique Lajoix et Claire Bercher

Quelques liens : deux sites de fan, Intensity et Desire Comes to Blind Us, et bien sûr le site du label Telescopic, très riche en informations sur Sophie et sur les autres artistes présentés par le label (Pooka, Micevice, Gata Negra…)

Merci à Stéphane "Amazing" Amiel et à Sophie !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *