CLOGS – Lullabye for Sue
(Brassland/Chronowax)
Aléas de la distribution, ce deuxième album des Clogs arrive en France quelques mois seulement après le premier, alors que les deux disques ont été enregistrés à deux ou trois ans d’intervalle. Ces précisions ont leur importance, car elles permettent de mieux saisir l’évolution entre "Thom’s Night Out" et "Lullabye for Sue" (on notera au passage la récurrence d’un prénom et, surtout, de l’élément nocturne), le cheminement minutieux de ces quatre musiciens chercheurs américains, appartenant à la même famille insaisissable que les Rachel’s et le Threnody Ensemble. Si la plupart des compositions sont toujours signées par le violoniste Padma Newsome (responsable des cordes sur le nouvel et excellent album de The National, groupe dans lequel officie le guitariste des Clogs, Bryce Dessner), elles restent aussi "arrangées et développées" par le quatuor, qui élargit ici les perspectives déjà vastes et audacieuses de l’album précédent. Dans l’esprit sinon dans la musique, la formation n’est d’ailleurs pas sans rappeler le nouveau sextette inclassable du guitariste Bill Frisell, où chaque musicien apporte sa pierre à l’édifice sans jamais tirer la couverture à soi.
"Lullabye…" apparaît au premier abord plus difficile d’accès que "Thom…". Loin de se reposer sur ses acquis et sur une quelconque formule, le groupe varie les structures, les rythmes, les timbres et les durées : quand les morceaux du disque précédent tournaient tous autour des six minutes, les nouveaux alternent entre formats courts et longs. Davantage que sur "Thom…", les Clogs brisent la linéarité des compositions par des silences – qu’on pourrait appeler des breaks -, d’impressionnants crescendos et variations de volume ("Who’s Down Now", "Lullabye for Sue"), un jeu sur la profondeur sonore. La joliesse mélodique, les influences néoclassiques et folkloriques sur lesquelles reposait le premier opus laissent la place à une recherche exigeante mais jamais stérile sur les atmosphères et la dynamique. Autre évolution notable, le groupe a recours à deux reprises à des voix, quasiment absentes de l’album précédent. Sur "Turtle Soup", c’est un enregistrement d’archives, tandis que sur "Gentler We", c’est Padma Newsome lui-même qui chante, d’une étrange voix de tête, un texte de sa plume. Ce dernier morceau constitue sans doute le sommet du disque, emmenant l’auditeur sur ces terres mystérieuses que foula naguère la Nico de "Desertshore". Entretenant tout du long la tension entre épanchement lyrique et expérimentation aride, "Lullabye for Sue", œuvre longue en bouche – ou plutôt en ouïe – est aussi passionnante par la musique qu’elle renferme que par les développements futurs qu’elle laisse espérer.
Vincent
A lire également, sur Clogs :
la chronique de « Lantern » (2006)
la chronique de « Stick Musict » (2004)
la chronique de « Thom’s Night Out » (2002)
No. 6
Who’s Down Now
Turtle Soup
Scratched by the Briar Patch
No. 4
Swarms
No. 1
Gentler We
Lullabye for Sue
No. 3
Limp Waltz