TUXEDOMOON – Cabin in the Sky
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Tuxedomoon : voilà un nom qui ne dira sans doute rien aux plus jeunes des visiteurs de ce site, et pas forcément grand-chose aux autres. Ce groupe fut pourtant l’un des plus novateurs et passionnants de l’après-punk, l’un des plus inclassables aussi. Originaire de San Francisco, le collectif sort ses premiers disques à la fin des années 70 sur le label des Residents, Ralph, avant de s’installer à Bruxelles au début des années 80 et de devenir l’une des signatures-phares de Crammed Discs, maison où s’épanouissait une certaine new wave "continentale", à tendance expérimentale. Tout au long des années 80, Tuxedommon va se distinguer par ses shows multimédia et sa musique arty, cérébrale mais ludique, souvent sombre mais ne s’interdisant aucune fantaisie. Si on peut la rattacher occasionnellement au punk, à la cold wave, la no wave, l’industriel ou l’electro-pop, elle s’inspire tout autant du jazz, du tango, des mélodies orientales, des BO de films (Nino Rota, notamment), du cabaret, des minimalistes américains ou de Debussy. Le groupe compose pour un ballet de Béjart et reprend "In Heaven" (la chanson d’"Eraserhead", l’extraordinaire premier film de David Lynch) bien avant les Pixies. De quoi faire l’objet d’un joli culte, à défaut de se pavaner dans les charts.
Alors que le revival eighties bat son plein, il était logique que Tuxedomoon – avec les membres d’origine Steven Brown, Blaine Reininger et Peter Principle – revienne aux affaires, à peu près en même temps que leurs anciens camarades de label Minimal Compact. Le groupe aurait pu se contenter d’exploiter paresseusement un passé mythique, mais a préféré enregistrer un album qui fait le lien entre leurs recherches d’hier et les sons d’aujourd’hui. Contrairement à beaucoup d’artistes des années 80 qui se rappellent à notre bon souvenir ces temps-ci, la musique de Tuxedomoon n’est pas réductible à une formule, un style particulier, un effet de signature ; même si elle s’inscrivait clairement dans son époque, elle n’apparaît pas datée aujourd’hui puisqu’elle était en avance sur son temps et annonçait les métissages à venir. Ce nouveau disque pourra donc plaire aussi bien aux fans quadragénaires qu’à une nouvelle génération étrangère à l’esprit de chapelle.
La liste des invités dit assez clairement l’aspect protéiforme et hétérogène de "Cabin in the Sky" : DJ Hell, qui a remis le groupe en selle il y a trois ans avec un remix de leur classique de 78 "No Tears" ; l’omniprésent John McEntire de Tortoise ; Tarwater ; Marc Collin, etc. D’une plage à l’autre, on change totalement d’univers, mais toujours de façon très fluide. Ce disque de près d’un heure, où l’on entend aussi bien de l’anglais que de l’italien ou du français, de l’electro abstraite et de l’accordéon, de la musique de chambre et des cuivres dissonants, et qui rappelle parfois certains albums récents et aventureux de Bowie ("Misty Blue", "Luther Blisset"), s’écoute d’une traite. Il semble conçu comme un film et passe comme un rêve, flottant, plein de détails bizarres et de motifs qui reviennent sous une forme différente ("La Più Bella reprise", "Annuncialto redux"). De la musique d’ambiance au meilleur sens du terme, qui cherche à surprendre l’auditeur plutôt qu’à l’endormir. Un grand disque moderne, tout simplement.
Vincent
A lire également, à propos de Tuxedomoon :
chronique de "Bardo Hotel Soundtrack" (2006)
chronique de "Vapour Trails" (2007)
A Home Away
Baron Brown
Annuncialto
Diario di un egoista
La Più Bella
Cagli Five-O
Here ’til X-mas
Chinese Mike
La Più Bella reprise
The Island
Misty Blue
Luther Blisset
Annuncialto redux