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Florent Marchet – Interview, partie 1

FLORENT MARCHET

L’air de rien, "Gargilesse", le premier album de Florent Marchet, m’a accompagné toute la deuxième moitié de l’année, se bonifiant au fil du temps, et c’est tout naturellement qu’au moment de me creuser la tête pour faire mon classement de fin d’année, il s’est imposé comme l’incontestable numéro un, celui dont les écoutes répétées ne lassent pas. On y découvre assez vite des mélodies, des paroles sensibles et touchantes, des arrangements habiles et riches, bref, une nouvelle voix singulière et attachante. Et je ne dis pas ça parce que je suis Berrichon. Cela faisait donc quelques temps que l’idée de rencontrer ce garçon me trottait en tête et c’est fin décembre qu’il eut la gentillesse de m’accorder un long entretien dans le bar corse qui lui sert de repaire. Florent débutant l’année par une série de concerts au Zèbre de Belleville, du 25 au 29 janvier, vous aurez droit tous les matins de cette semaine à une ration de Florent Marchet en interview, avant de courir le voir en vrai que ce soit à Paris le soir même, ou un peu plus tard dans toute la France. En espérant que vous ayez autant de plaisir à découvrir le garçon à travers cette interview que j’en ai eu à la faire et à écouter son disque.

Je suis un peu stressé après ce que je t’ai entendu dire l’autre jour, lors de l’enregistrement de la Bande Passante, que tu étais un peu usé par toutes ces interviews…
Usé, c’est peut-être un peu exagéré, peut-être parce que j’étais fatigué à ce moment-là. J’y ai pris énormément de plaisir au début, même si je n’étais pas du tout habitué à l’exercice de l’interview. Ca devient même quelque chose que j’aime, à condition de ne pas complètement tourner en rond non plus. Ca m’a permis de me découvrir, c’était plutôt bien de savoir qui j’étais, d’où je venais, pourquoi j’avais écrit telle chanson. En fait, j’ai fait une sorte de psychanalyse de l’album à travers ces entretiens. C’est bien, dans un premier temps. Il est vrai que dans un deuxième temps, il est important de se ressourcer en émotions, en histoires, en rencontres, pour ensuite écrire des choses différentes, essayer de ne pas faire un remake du deuxième album.

Tu te sentais un peu vidé en fait ?
Moi je travaille essentiellement avec le désir, j’ai une manière d’écrire qui est proche d’une charge, finalement. J’ai besoin de me sentir complètement pris par une histoire ou par un thème pour écrire. Je n’ai pas une méthode assidue où tous les jours je me mets à une table avec une feuille de papier à essayer d’écrire quels que soient ma forme ou mon état d’esprit. J’ai besoin de beaucoup de nourritures extérieures, que ce soient des films, des livres ou de la musique, mais également des rencontres, pas forcément des rencontres de gens de mon milieu. J’ai besoin d’avoir ce désir, cette chose un peu physique, d’être un peu surexcité par un thème, que ça devienne quelque chose d’obsessionnel chez moi.
Je ne sors plus, je décroche mon téléphone, comme un gamin, j’ai besoin de construire quelque chose en fait.

Ce besoin de nourritures extérieures, c’est un peu celui qu’exprimait Dominique A dans son journal de bord sur son site web, où il parlait de toutes ses découvertes musicales ou littéraires, mais avec aussi, nous avait-il précisé quand on l’avait interviewé, le besoin d’y être perméable à un moment ou à un autre, celui où tu accompagnes la naissance de ton disque.
Ce qui est intéressant dans la démarche de Dominique A ou d’un écrivain comme Olivier Adam, c’est qu’ils sont totalement décomplexés vis-à-vis de leur nourriture cérébrale. Maintenant, des gens comme Dominique A vont oser dire "je n’aurais pas écrit telle chanson si je n’avais pas écouté telle autre chanson ou lu tel livre". Et c’est tout à fait normal. Pour moi l’inspiration, c’est avant tout de la mémoire, c’est le fait de se souvenir des choses qui nous ont marqués émotionnellement, et de vouloir les retranscrire à sa manière. Ce qui me faisait un peu peur, c’est que je pensais que les artistes arrivaient à trouver toute leur inspiration en eux, que ça ne venait pas du tout de la rencontre avec un roman ou avec des personnages, alors que c’est très souvent le cas, finalement. C’est vrai que le fait de révéler ça aux auditeurs, je trouve ça plutôt intéressant et élégant. C’est de l’ordre du partage. Moi, c’est ce que j’attendais souvent des interviews que je lisais. Je lisais beaucoup les interviews d’artistes que j’aimais et j’étais souvent très frustré de ne pas y trouver de références. Si un artiste que tu apprécies donne trois ou quatre références de roman par rapport à son album, ça me donne tout de suite envie d’aller voir, pour voir en particulier si j’y trouve la même chose.

En tant que Berrichon moi-même, cela m’a amusé et un peu surpris que le Berry serve autant d’accroche à tous les articles que j’ai pu lire sur ton compte depuis un an. C’est quelque chose que tu revendiques ?
Finalement, j’ai quitté la campagne à l’âge de dix-sept ans, avec une forte envie d’aller en ville, comme beaucoup d’ados. J’étais épanoui à la campagne, mais j’avais besoin d’aller en ville, besoin de me dire que j’allais au cinéma quand je voulais, d’aller à des concerts, besoin de l’ouverture au monde. J’avais besoin de l’anonymat d’une ville parce que dans un petit village, tout le monde te connaît, tu as du mal à te trouver parce que tu es toujours ramené à la norme, que ce soit vestimentaire ou autre. Et puis en me retrouvant à Paris, au fur et à mesure, j’ai commencé à découvrir que j’avais un attachement très profond pour la nature et les paysages de ma région. Ca m’est revenu comme un boomerang et en même temps, c’était totalement idéalisé. C’est pour cela que l’album s’appelle "Gargilesse". Gargilesse, c’est peut-être le village du Berry qui ressemble le moins au Berry, ou du moins pas trop, mais plus à la Corrèze, ou à la Lozère. Et moi en fait ça me faisait penser au fantasme que je me faisais de la campagne, et c’est cette campagne-là, idéalisée, à laquelle je me raccrochais quand je trouvais Paris un peu trop pesant.

Quand tu rentres à la campagne, comme se passe la confrontation entre cette vision idéalisée et la réalité ?
Je ne pourrai pas y vivre en permanence, c’est une certitude. Je n’ai pas encore passé autant de temps en ville, mais ça ne va pas tarder. Je crois que j’ai besoin des deux. J’aime le silence, le fait de sentir que la notion du temps est beaucoup plus élastique à la campagne. Je suis quelqu’un qui sort beaucoup, je suis très tenté par beaucoup de choses à Paris, rencontrer des gens, j’ai beaucoup de mal à me poser. Dans le Berry, je peux écrire, je peux composer, je peux enfin réfléchir.

Tu as réussi à garder des liens avec des gens de ton âge là-bas ?
Très très peu. Il y a un décalage qui s’est très rapidement opéré. Je ne sais pas si ça a à voir avec la campagne, finalement, plutôt avec le monde socioprofessionnel dans lequel j’évolue. J’étais avec des gens qui rêvaient d’ascension sociale, de quitter la campagne boueuse et crasseuse pour aller en ville. Ce n’est pas du mépris de ma part, ce sont les appâts qu’on nous tend, mais leur rêve, c’était la réussite sociale par le matérialisme, avoir une belle voiture par exemple. Ce sont des gens qui ont totalement renié ce qu’ils pouvaient être. C’est très drôle comment jusqu’à quinze-seize ans on peut être d’accord avec tout le monde, en tout cas avec tous les gens de son âge. Et puis ensuite le décalage ne fait que s’accentuer. Moi c’est un peu ça que j’ai pu vivre. En aucun cas mon album n’est un album de trentenaire qui a passé sa crise d’adolescence et qui regrette le lycée et sa folle jeunesse. Parfois, des gens m’en parlent, disent "le trentenaire…". D’abord je n’ai pas trente ans, et puis en plus ce qui m’importait, ce n’était pas de parler de mes petits soucis, même si je dis souvent "je…" mais de parler des thèmes qui m’habitaient…

J’ai lu un article dans lequel on te mettait à ce titre dans le même sac que Vincent Delerm, c’est un peu drôle non ?
Drôle, non… En même temps, le sac n’est pas forcément dégueulasse. C’est peut-être pour un certain attachement au soin dans l’écriture.

Ce que je voulais dire, c’est que ce qu’on va chercher implicitement chez Delerm, c’est souvent une sorte de name-dropping générationnel, des miettes de madeleine de Proust… de mon point de vue, c’est n’est pas vraiment le cas sur ton disque…
Moi je n’ai pas du tout la nostalgie des années 80, par exemple, à la limite, si je pouvais avoir une nostalgie, ça serait de périodes que je n’ai pas vécues. Ce que j’ai pu connaître, je trouve ça très fade. D’ailleurs, ce que j’ai vécu, je trouve ça très fade de manière générale. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours trouvé que ce qui se passait chez les autres ou dans les romans, c’était beaucoup plus intéressant que ma vie. J’ai peut-être la nostalgie des années 70, parce que je me demande ce que sont devenus tous ces gens un petit peu libertaires, tous ces hippies des années 60, qui prônaient l’amour ou des choses particulièrement déglinguées et qui se retrouvent parfois aujourd’hui bien propres sur eux. La façon dont s’est opéré ce changement me fascine.

D’un certain côté, on en a dans nos campagnes qui ne se sont pas rendus…
Oui, mais il y en a très peu. D’un autre côté, j’aurais vécu cette époque, ils m’auraient énervé, le côté "trop cool" m’aurait déplu…

Par rapport à ce milieu rural, tu as tout de suite suivi un itinéraire un peu original, en étant catalogué comme saltimbanque…
Je pense que c’est un peu pareil partout. C’est un métier, même si les choses ont évolué, à cause des certains événements télévisuels, faire uniquement de la musique dans la vie, c’est tout de suite assez marginal. C’est vrai que je viens d’une région où le mot travail est toujours associé à quelque chose de physique. Jusqu’à l’âge de douze ans, j’ai joué avec mes copains au maçon, à l’agriculture. J’aimais bien l’idée que le travail soit lié à un effort physique, à une contrainte. En même temps, mes parents m’avaient légué une autre vision des choses, où le travail, c’était de l’action, un épanouissement, se réaliser, et en aucun cas ce devait être quelque chose qui nous empêchait d’agir. Finalement, le bonheur c’est l’action et c’est le travail. Moi je venais d’un milieu où tout le monde attendait la retraite, toute sa vie, une vie à travailler durement, vivre devenait presque un sport de riche. Le fait de passer ma vie à lire, à écrire, à aller au cinéma, à composer, à jouer sur scène… c’est bien beau, c’est de la détente, un passe-temps, c’est pas du travail. C’est pour ça que dans mon village, quand j’y retournais, on me prenait un peu pour la feignasse de base, qui ferait mieux de trouver un travail plutôt que de s’amuser. Et puis après, les choses changent, quand les gens remarquent que tu commences à faire des concerts, à en vivre, péniblement certes, ils disent que "finalement, tu as eu du courage". Je ne pense pas avoir eu du courage, j’ai plutôt choisi la facilité, peut-être pas toujours la facilité, mais l’épanouissement en tout cas.

Ce n’est pas forcément facile à assumer…
J’ai eu la chance de pouvoir l’assumer parce que mes parents comprenaient ça très bien. La seule peur que j’ai eue, c’était de savoir si j’allais pouvoir en vivre.

[la suite]

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