FOR AGAINST – December
(Words on Music / Rock Revolution Records) – acheter ce disque
On avait fait la connaissance des For Against sur le tard, lors de la réédition de leur premier album, "Echelons". Trois garçons de Lincoln, Nebraska, et pas forcément ravis de leur sort. A l’écoute de leur pop inquiète, on avait imaginé un Nebraska vaste et monotone, où les champs de maïs bouchent les champs des possibles. On avait même imaginé des usines lugubres comme dans le nord de l’Angleterre. Il en fallait de la laideur et de l’ennui pour pousser ces trois jeunes gens à composer une musique si belle, si empoisonnée… "December", leur deuxième album réédité, confirme nos espoirs. Et nos craintes. Le Nebraska, c’est pas la joie. Les photos du livret, tout aussi sobre et élégant que celui d’"Echelons", montrent trois jeunes adultes au bord d’une piste poussiéreuse bordée de champs de céréales. On pourrait croire à trois auto-stoppeurs, mais leur mine résignée indique qu’ils ne se font guère d’illusions sur leurs chances de s’échapper de leur morne plaine. Une autre photo les montre au milieu des blés, l’air sinistre. Ça ne s’arrange pas. Sur la troisième photo, trois cheminées d’usine s’alignent sur fond de ciel rouge. On avait vu juste : question décor lugubre, Le Nebraska n’a rien à envier à l’Angleterre post-industrielle. Et puis ces roses des vents sur la pochette… Ces trois-là ont envie de se faire la malle, c’est sûr. Au nord, au sud, à l’ouest, à l’est, peu importe. Vous pensez qu’on affabule ? Ecoutez "Sabres", avec ses guitares aux lamentations perçantes. On croirait entendre des cris de corbeau. La voix n’a pas changé, jeune et inquiète, mélancolique et pressée. Pressée d’en finir, pressée de partir. "I’m not crying anymore / I’m keeping you", se lamente le chanteur. A moins que ça ne soit le chant de triomphe du Nebraska, trop heureux de tenir ses trois enfants prisonniers de ses blés. Avec "Stranded in Greenland", le doute n’est plus permis : les voici "échoués au Groenland". Un Groenland céréalier. Une banquise à blés. Les chansons se suivent, superbes de mélancolie et d’urgence. Une mélancolie d’autant plus poignante qu’elle vient de jeunes gens, et qu’on n’a pas le droit d’être triste lorsqu’on est jeune. Si la musique garde toujours une lumière en elle, les paroles, elles, sont sans illusions : "They said you could be so much more than you are / The problem is I don’t care anymore", sur "They Said". Si vous ne savez pas ce que veut dire avoir le cafard à Lincoln, Nebraska, écoutez "The Effect". Un cafard de haute volée, gothique, effrayant. On y entend une basse aux airs pas commodes, qui semble attendre sa proie, tapie dans l’ombre. La proie, c’est peut-être la voix du chanteur, qui parle tout fort comme le font les petits dans le noir pour chasser la peur. L’album est à l’unisson, tantôt inquiétant, tantôt triste, souvent les deux, et toujours électrisant. Tout est là : l’agressivité, l’atmosphère, la mélodie. Les For Against se sont reformés en août 2004. On espère qu’ils ont fait un bout de chemin, le long de leur route poussiéreuse, en attendant Godot. Mais à vrai dire, on espère que Godot ne viendra pas.
V
Sabres
Stranded in Greenland
Svengali
They Said
The Effect
December
The Last Laugh
Paperwhites
Clandestine High Holy
Bonus vidéo: Autocrat, Echelons