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Interviews

Arman Méliès – Interview

ARMAN MÉLIÈS

Le rendez-vous était pris dans les prestigieux locaux de la maison de disque d’Arman Méliès ; suite à des articles lus de ci de là (et probablement – avec le recul – à un certain sens de l’autodérision de sa part), on s’attendait à y trouver un jeune homme timide et très introverti, mais c’est un Arman Méliès chaleureux, plutôt causant, et aux yeux pétillants de malice qui nous accueille dans cette salle de réunion exiguë. L’occasion d’évoquer son nouvel album, « Casino », mais aussi son itinéraire qui passe par la fac, la manutention et même… les chroniques pour POPnews (pardonnez-nous cette pointe de chauvinisme, on en est assez fiers).

Arman Méliès

Quelle était ta démarche lorsque tu as commencé à travailler sur « Casino » – tu voulais du changement par rapport aux « Tortures volontaires » ?
Oui, j’avais envie de pas mal de changement, pas vraiment par rapport au disque précédent mais par rapport à la scène. J’avais tourné en solo avec des samples pendant très longtemps, 4 ou 5 ans, sur les 2 albums précédents, en proposant quelque chose d’assez atmosphérique, en partie improvisé, avec des morceaux très longs. Et du coup, j’avais envie, après l’album suivant, de pouvoir retourner sur scène proposer quelque chose de plus concis, de plus énergique. J’avais envie d’être plus dans quelque chose de physique et de moins cérébral.

Plus adaptable à un groupe ?
Oui, que l’on puisse ensuite pouvoir jouer ces morceaux avec une certaine énergie ; cela m’est arrivé, en de rares occasions, de jouer les morceaux dans une configuration de groupes avant, mais les morceaux en eux-mêmes étant des choses très dépouillées et très calmes, même dans une formation relativement conséquente (cuivres, …), cela restait la plupart du temps, quelque chose de très soft et de très planant. Il fallait vraiment que le matériau de base permette de faire quelque chose d’énergique sur scène, de pouvoir enfin se libérer un peu. Moi, j’avais besoin de ça, vraiment. Comme quelqu’un qui après 15 ans d’inactivité se dit « allez, je me remets au footing, je m’incarne à nouveau, je ne suis pas juste un esprit ». Et du coup, ça a joué sur tout, sur l’écriture des morceaux, sur les arrangements, sur la couleur générale… Ça a vraiment été important.

Sur ta voix aussi, parce que j’ai l’impression qu’elle est plus posée ?
Oui, mais ça, c’est pas une volonté, c’est un déclic qui s’est fait en amont de l’enregistrement de l’album, sur les 6 mois précédents je pense, où j’ai enfin réussi à accepter ma voix. L’essentiel c’est surtout ça : il n’y a pas eu de travail technique, je n’ai pas appris à chanter. Mais voilà, pendant très longtemps, j’avais du mal à assumer ma voix ; j’aurais aimé chanter différemment car j’étais beaucoup influencé par la musique anglo-saxonne notamment qui me tirait vers quelque chose et j’avais tendance à renier l’héritage de la chanson française ; dans mon registre, je me serais bien vu chanter comme Billie Holiday ou Jeff Buckley, enfin quelque chose de très classe, alors qu’au final, je suis plus proche de Rodolphe Burger. Au bout d’un moment, c’est vraiment quelque chose que j’ai accepté – pourtant, je le sais depuis des années – mais entre se le dire et que ça se traduise vraiment dans les faits, ça a été très très long. Là, c’est arrivé, à ma plus grande surprise : quand j’ai commencé à bosser sur les maquettes de l’album, j’ai enregistré les voix avec une facilité que je n’avais jamais eue. Avant, c’était toujours un calvaire. Mais là, pour les maquettes, on a enregistré trois morceaux en deux heures : je me suis dit « tiens, il se passe quelque chose, là » et je suis arrivé beaucoup plus détendu en studio ; on s’est dit, « bon, ben on va faire pareil : dès que les morceaux commencent à prendre forme, dès qu’on a posé les bases, même si on n’a pas tous les arrangements, on enregistre les voix, on chante tous les jours, sur différents morceaux et puis, avec un peu de chance, à la fin, on aura tout. Et c’était le cas. Alors qu’avant, on faisait tous les instrus et après, il me restait une semaine et pendant une semaine c’était « bon, maintenant tu vas chanter… ». Non, c’est vraiment une libération.

Le français, ça a toujours été une évidence pour tes paroles ?
Pour les textes, oui. Pour ce qui est de la musique, c’est beaucoup moins évident mais pour les textes, je ne me voyais vraiment pas écrire en anglais parce que, déjà, je n’ai pas vraiment le niveau et, même avec de l’aide (c’est facile de trouver des gens qui corrigent, qui peaufinent), j’aurais un peu l’impression de mentir, de faire « comme si ». Sans doute certaines personnes qui sont imbibées de cette culture y arrivent, mais j’ai souvent l’impression qu’on singe une culture anglo-saxonne, même dans les tics de langage, on reprend des trucs qui vont être de l’argot ou des expressions très spécifiques mais ça sent un peu la décalque, on sent que c’est pas quelque chose de vraiment sincère, de vraiment profond. Dans la mesure où moi, j’utilise une langue qui est quand même assez compliquée, pas forcément dans les mots utilisés mais leur agencement, faire ça en anglais, ça me semblait totalement impossible. Et, en toute modestie, je trouve que c’est aussi une de mes forces, j’ai l’héritage de la musique anglo-saxonne mélangé à des textes en français, avec ce travail sur la langue, ça donne quelque chose d’inédit.

Qui est-ce qui défriche en France, en ce moment ?
Je ne sais pas si c’est des nouvelles têtes mais moi qui ai eu la chance de côtoyer un peu Bashung, il m’a appris la révolution permanente, ce monsieur ; il remet tout en cause tout le temps. Il a une exigence et une curiosité que parfois, on n’a pas ; surtout quand on travaille tout seul, on a vite tendance à fonctionner sur un mode opératoire automatique. En travaillant avec quelqu’un comme ça, on se rend compte qu’il prend un malin plaisir à essayer de perturber sa façon de travailler pour que ça engendre de la nouveauté, des choses qui soient inédites et surtout excitantes.

Côté textes, il ne cherche pas forcément, contrairement à une tradition de la chanson française, à raconter des histoires…
Quand je parlais d’assumer l’héritage « chanson française », c’est possible en partie, mais il en reste une grande partie qui est super sclérosante. Ça a eu son intérêt à une époque mais on a mis ça sous cloche et voilà, le monde continue d’avancer et il y a la chanson française qui sent le ranci dès qu’on soulève la cloche…

Tu as été beaucoup soutenu par Bashung et Dominique A. Comment reçois-tu ces soutiens ?
Ca m’a donné énormément de confiance ; moi qui étais complètement coincé, le fait que des gens comme ça me soutiennent, parlent beaucoup de moi, voire me demandent de collaborer avec eux (Dominique A en m’invitant sur sa tournée, Bashung pour l’album), ça a vraiment été libérateur. Je me suis dit, si ces gens-là trouvent que ce que je fais n’est pas si mal que ça, je ne vois pas pourquoi je devrais vivre dans une bassine de complexes où je me noie tous les jours… je me suis dit là on va se lâcher un peu et c’est pour ça que, sur l’album, j’ai osé durcir un peu le ton, faire des choses un peu plus rythmiques aussi, des arrangements un peu plus étoffés, amener des choses que j’aimais bien mais que, à l’époque, je n’aurais pas osé, des synthés un peu kitsch… même si je les utilisais avant, c’était vraiment très très discret parce que j’avais presque honte : « ton synthé là, il est pas un peu daté on dirait Depeche Mode en 82 ? ». C’est le genre de truc, je me suis dit, y’a aucune honte à avoir, ces gens là osent tout… Pour peu qu’après on ait un recul sur ce que l’on fait ; c’est pas la phrase d’Audiard « les cons osent tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît », c’est pas en osant forcément qu’on fait des choses extraordinaires mais en se lâchant un peu, ça permet d’explorer des nouveaux territoires et de faire des choses un peu intéressantes, plutôt que de tout s’interdire. Moi, j’avais un peu tendance à tout m’interdire : chanter, mais aussi se dire, dès qu’il y a plus de trois guitares « ça fait peut-être un peu tape à l’œil ! »

 

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