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Interviews

Wilfried* – Interview

WILFRIED*

Avec son deuxième album "D’Ailleurs", Wilfried* nous offre un des disques de pop française les plus inventifs et les plus jouissifs de ces dernières années, un album-concept traversé d’un étrange miroir dans lequel l’auditeur est invité à venir contempler sa propre folie. Raffiné, élégant, léger, drôle, intelligent : sur disque, tout comme en interview, Wilfried* est plus que tout cela à la fois.

Wilfried*, par Jean-Sébastien Chauvin

Ton album est construit autour du dédoublement et de la mise en abyme. En tant que critique et musicien, as-tu l’impression de vivre une double vie ?
Je trouverais très triste de n’avoir qu’une "seule" vie. Je crois que tout le monde vit une double, ou triple, ou quadruple vie : le monde de l’emploi (la flexibilité) nous oblige à multiplier les activités, les fonctions, les postes, les identités ; on a de multiples "avatars" sur internet ; sans parler de notre "fou intérieur" qui demande de plus en plus à s’exprimer, à mesure que la violence politique et sociale agit sur notre psychologie. Après, je manie la schizophrénie sociale avec imprudence, en étant juge (critique rock) et partie (musicien), mais je pense qu’il faut laisser " venir l’imprudence", et le vent du soir décider. Dire oui à tout, et le temps triera. J’aime l’adrénaline d’une vie psychologiquement dangereuse.

À l’écoute de ces chansons, j’ai l’impression que tu utilises le "je" comme si tu étais spectateur de toi-même, ce qui installe une ironie, une distanciation qui me fait penser à "Ma rencontre" de Burgalat ("Si je me rencontrais au coin de la rue, je me dirais : Bonjour Bertrand"). C’est une influence, pour toi ?
J’assume cet album comme un projet narcissique, une œuvre solipsiste. Je ne suis pas sûr que le monde qui m’entoure et les autres gens ne soient pas le produit de mon imagination. Donc, j’applique les enseignements platoniciens ("Connais-toi toi-même"), gnostiques ("Qui ne s’est pas connu n’a rien connu, mais celui qui s’est connu lui-même a déjà acquis la connaissance de la profondeur du tout", dans le " Livre de Thomas") ou de Henri Michaux ("Tu n’es pas encore assez intime avec toi-même, malheureux, pour avoir à communiquer"). Burgalat ("Ma rencontre"), ou Katerine ("Moi-même"), sont moins des influences (j’ai passé l’âge d’avoir des influences) que des artistes qui explorent eux aussi leur psyché scindée (et le "je" peut être multiple, comme prononcé à chaque fois par un nouveau personnage : c’est ainsi que j’entends les "je" de "Robots après tout" : les différentes interventions des membres d’une secte post-apocalyptique, par exemple). Enfin, la distanciation fait partie du concept de l’album : observer son reflet, dans un décalage ou une diagonale, puis faire coïncider son apparence avec son soi véritable, ou quelque chose comme ça.

Ce concept est né à quel moment de l’écriture de l’album ?
Le concept d’album-miroir est une vieille idée (née dans les années 90 pour moi). "L’éducation anglaise" de Katerine est un album qui obéit, semble-t-il, à la même structure (deux fois 7 titres chantés par les filles, séparés par un instrumental central qui serait le moment d’apparition de l’auteur, reprise et ouverture pour le 16ème titre). Je suis aussi fasciné par la notion de perspective (le point de fuite comme centre de la subjectivité) et Lewis Carroll est mon maître ès réflexivité. L’album a été organisé a posteriori en fonction de ce concept (j’ai ressorti des vieux titres pour l’occasion, pour travailler sur un "avant" et un "après" de mon histoire personnelle).

Ce concept semble particulièrement étudié et calculé. T’a-t-il échappé à un moment de sa conception, ou l’as-tu maîtrisé d’un bout à l’autre ?
Les concept-albums ne sont forcément que des "propositions" de concepts. Même "Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band" est un concept-album larvé, avorté. Le concept vient après l’écriture des morceaux pour ne pas perdre la spontanéité de leur composition. D’où l’avantage d’avoir un répertoire étendu dan lequel puiser pour adapter les chansons au concept. Après, les gens vont chercher eux-mêmes leurs interprétations en fonction du concept proposé. Et toutes leurs interprétations seront justes, comme disait John Lennon.

Wilfried*, par Jean-Sébastien Chauvin

As-tu le sentiment d’être allé jusqu’au bout, ou est-ce que, avec du recul, tu te dis que tu aurais pu aller encore plus loin ?
Ce qui est fait est fait. Et donc tel que ça devait être. C’est parfait ainsi.

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