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Primal Scream rejoue « Screamadelica », la Cigale, 6 septembre 2011

De tous les grands albums de sa décennie, « Screamadelica » est peut-être celui que l’on peut le plus facilement écouter aujourd’hui. Déjà à l’époque « Loveless » nous lassait avec son côté aquarium d’eau douce à guitares, si relaxant, si morne. « OK Computer », un peu plus pratiqué, nous paraît désormais agaçant avec sa pompe spectrale et ses enjoliveurs en âme appliquée. Reste « Laughing Stock » dont la violence émotionnelle interdit une écoute prolongée au-delà de la semaine. Rien de tout ça avec « Screamadelica » ressorti récemment sous divers packagings, vrai album d’agrément avec ses titres slogans, son barbotage de drogues diverses (ecstasy, surtout), et cet appétit gargantuesque qui l’emplit jusqu’à l’indigestion : vingt minutes finales de retour d’acide flatulent. Il n’en reste pas moins un merveilleux disque à fractionner selon les humeurs, comme un Zeppelin rougeoyant qui dominerait de haut la discographie de Primal Scream. On compte donc beaucoup sur cette ré-exécution vingtenaire devant un public acquis d’avance où se remarquent ci et là de jeunes têtes encore vagissantes en 1991.

D’abord, amuse-gueules, Little Barrie, trio vintage à guitare bavarde, que de pathétiques démélés avec notre appareil photo nous empêchent de goûter pleinement. Accueil poli, sans plus.

Puis Primal Scream advient, et force est de constater que visuellement le groupe a pris de la bouteille. Andrew Innes, guitariste historique à chapeau de paille, ose le mélange chemise hawaïenne – pantalon de cuir noir, ce qui, somme toute, est une définition cohérente de « Screamadelica ». Il est adjoint, à droite de la scène, d’un lead-guitarist à dégaine Miles Kane avec chemise à pois gros plutôt dans l’esprit. Mani, l’ancien bassiste des Stone Roses, ressemble à un vieil ado tout fier de l’énorme ampli à son nom devant lequel il va camper pendant le concert. Quant au clavier chapeauté et capital, Martin Duffy, il officie du fond tandis que la lumière se fait pour Bobby Gillespie. On l’observe une heure trente, partiellement fasciné. Son jeu de scène tient en quatre éléments, pas un de plus :
–       déhanchés semi-lascifs ou y tendant
–       remuage de maracas au dessus de l’épaule à chaque climax identifié
–       claquements de mains à hauteur de tête pour galvaniser la foule
–       glissade de doigts sur le fil du micro qu’il ramène vers lui d’assez preste façon

Rock quoi !, et tendance putane androgyne. Gillespie, tout du long, nous fait l’effet d’un animateur spécialisé pour enfants autistes qui se verrait habité par l’esprit de Mick Jagger, frappeur sur le mode courant alternatif. Vêtu d’un élégant costume sombre et beaucoup moins abîmé par les excès qu’on l’imaginait, il se donne sans retenue mais sans folie. Pas totalement convaincant, certainement pas grotesque, il habite d’une voix plus que correcte l’écrin bariolé finalement assez disert qu’est « Screamadelica ».

Les deux premiers morceaux sont électriques : le classique « Movin On’ Up » en version maousse-délayée très efficace, puis « Slip Inside This House », l’iconoclaste reprise du 13th Floor Elevator, groovy mais pas trop. « Don’t Fight It, Feel It », fait intervenir une croquignolesque choriste black surcarrénée en lieu et place de Denise Johnson qu’on suppose moins préservée par le temps que le sieur Bobby. Tentant désespérément d’obtenir une photo correcte – vœu hélas pieux – nous sentons l’énergie qui se communique au public sans pouvoir parfaitement la partager. « Damaged » suit, rompant avec le tracklisting d’origine qui risquerait de plonger l’assistance dans une hébétude coupable. C’est l’occasion de remarquer que la fusion rock-rave qu’on a si souvent vantée au sujet de « Screamadelica » est – comme mes photos – un vœu assez pieux. Il y a peu de guitares dans ce disque, à part sur les morceaux produits par Jimmy Miller. Cette carence relative est réparée vingt ans après, et nos Athos-Porthos de la défonce house mettent souvent leurs machines en berne pour faire sentir leurs gros manches (duel de guitares sur le très réussi « Higher Than the Sun » customisé d’un refrain Bo Diddley, « Who Do You Love ?).

Le tout joli « Inner Flight » permet à Bobby de se repoudrer backstage pendant que d’habituelles dégoulinures vidéo donnent un peu de couleur sur l’écran géant en fond. On remarque à ce propos que la pochette projetée à plusieurs reprises est toujours l’une des plus belles de l’histoire du rock : soleil, non pas cou coupé, mais yeux extasiés ou explosés.

Reprenons avec deux morceaux de bravoure : l’un, extraordinaire, « Loaded », musclé, puissant qui galvanise la foule comme au bon vieux temps de la Hacienda, peut-être un poil plus rapide que sur disque, en tout cas magique. L’autre, hélas raté, « Come Together » rendu informe par un rajout chanté, une progression bâclée, des riffs en trop, bref du gras-double.

« Shine Like Stars » passé aux oubliettes (dommage), ce petit monde s’en va sous les bravos bien mérités.

Un rappel tout en régression enchaîne trois standards à la mode Jagger/Richards, « Country Girl », « Jailbird » et « Rocks ». Il dessine le visage quadragénaire de Primal Scream : du classic-rock un peu pataud à sympathie intégrée.

Le son de la Cigale ne privilégiait pas la subtilité, mais on sort à la fois sceptique et ravi, comme si l’exquise déclivité de « Screamadelica » avait été redressée pour nos organismes quadragénaires, et tenue à bout de bras le temps d’un concert-madeleine. Les méandres fumeux des Gillespie & Co ont encore de beaux jours à donner.

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