Pas facile de se plier à l’exercice de la chronique d’un ouvrage aussi intime et profond que ce premier album solo de la voix extraordinaire de The Blue Nile. Pour apprécier un tel disque, il faut d’abord savoir mettre entre parenthèses toute activité trop prenante. Savoir retrouver le plaisir simple d’une écoute calme et attentive, à l’écart de toute agitation. « Mid Air » est donc un disque rare qui se mérite et se dévoile lentement, une fascinante et délicate mise à nu des sentiments d’un artiste qui signe aujourd’hui l’un des plus beaux moments d’une carrière débutée il y a près de trente ans et faite de hauts (de très hauts même) mais aussi de quelques bas. Des creux relatifs qui n’auront cependant jamais atténué l’immense capital de sympathie né de réussites aussi marquantes que « A Walk Across The Rooftops » (1984) ou « Hats » (1989), inaltérables modèles d’élégance et objets éternels de culte fervent.
Chassons tout d’abord les rapprochements à l’évidence douteuse : comme presque à chaque fois désormais qu’un artiste plus ou moins mythique se prête au jeu d’un tel album minimaliste et recueilli, les comparaisons avec le grand disque solitaire de Mark Hollis (1998) s’apprêtent sans doute à affluer. Pourtant, en dehors d’un goût prononcé pour l’épure, les deux albums, s’ils constituent évidemment tous deux de formidables achèvements artistiques, ne partagent que très peu de points communs. D’abord parce que « Mid Air » repose sur un simple dialogue piano-voix (seuls quelques arrangements de cordes s’invitent sur l’instrumental « Fin De Siècle », paradoxalement sans parvenir à faire sortir le morceau du lot). Ensuite parce que le format retenu par Buchanan, celui de chansons très courtes qu’il qualifie de « record-ette », empêche le sentiment de lassitude que l’album aujourd’hui inattaquable du leader de Talk Talk ne parvenait pas toujours à esquiver. Toutes longues de moins de trois minutes, les quatorze saynètes musicales de « Mid Air » réussissent l’exploit de ne jamais laisser retomber l’effarante intensité instillée d’emblée par un morceau titre placé en ouverture idéale. Impossible dès lors de n’isoler arbitrairement que quelques éléments des trente-six minutes de ce superbe puzzle mélancolique. A titre personnel, je reconnaîtrai simplement une préférence de plus en plus évidente pour « My True Country », dixième plage dont la beauté contemplative se prête remarquablement aux écoutes les plus répétées. Sur ce très grand titre comme sur tout le reste de cet inestimable recueil, le timbre de voix de crooner fatigué de Paul Buchanan touche en plein cœur. Une voix unique qui porte en elle les marques indélébiles de ce temps que l’on n’arrête pas. Mais aussi un formidable véhicule à ces confessions tardives qui viennent nous rappeler très justement que l’Écossais fait partie, aux côtés de David Sylvian ou Paddy McAloon, des derniers artistes majeurs de sa génération.