Dans le catégorie des musiques arrache-cœur avec piano solo etou orchestre de chambre, la France compte peu de représentants. Déjà repéré à la faveur d’un premier disque, « Baltika », sorti en 2012 chez les Aveyronnais d’Arbouse Recordings, Moinho, alias Franck Marquehosse, signe une œuvre qui sait saisir toutes les nuances d’un frisson.
On peut bien l’avouer, en France, hormis Yann Tiersen, bien peu de compositeurs tirent leur épingle du jeu et parviennent à proposer un univers enthousiasmant dans le monde de la musique construite autour du seul piano. Pourtant, que cela soit du côté de l’Angleterre avec Max Richter ou encore aux Etats-Unis avec Dustin O’Halloran, on voit bien que l’on peut encore bouleverser avec cet instrumentarium-là. Franck Marquehosse, avec son projet Moinho vient contredire cette idée reçue, car il s’agit bien d’une idée reçue.
Sans doute que la vraie réussite de ce second disque, c’est de ne pas vouloir choisir entre un certain lyrisme accueillant et une exigence héritée de la musique contemporaine, en gros réunir le romantisme d’Alkan avec la foisonnance de Steve Reich. On se souvient du superbe et austère « Baltika » sorti en 2012, qui s’imposait d’écoute en écoute.
Avec « Elastikanimal », Moinho élargit son champ lexical. Toujours aussi expressif derrière son piano, il s’est adjoint ici les services d’un quatuor à cordes mais aussi d’un marimba et d’un vibraphone, entre autres grâce à sa collaboration avec le musicien Stéphane Garin. Ce qui enrichit les tonalités de ses compositions contribue également de ce désaxement de nos sens avec ces ballades que l’on ne peut localiser, aux climats bipolaires. Un instant calme et serein, puis chargé d’un ciel de pluie. On pensera parfois, comme sur ce « Josef » en ouverture, à ce que Dustin O’Halloran peut faire ailleurs. On y croise une foultitude de messages contradictoires, une chaleur nourrie au chagrin, une épaisseur au bord de la surface.
De la répétition de petites structures musicales peuvent naître diverses formes de réaction de la part de celui qui l’écoute. De la lassitude, un état second, une extériorisation de soi. Parfois, c’est simplement une dilatation du temps qui s’opère comme sur cette merveille d’épure qu’est « The Keys », quand l’accumulation minutieuse d’ « Elastikanimal » échafaude un château de cartes fragile, quelque chose de ce que peut exprimer le Kronos Quartet.
« Entre deux » se veut comme un mouvement, une forme de transition mais aussi un clin d’œil à « Baltika ». Ce qui permet de voir de manière encore plus saisissante tout la progression de sa musique. J’en veux pour preuve cette merveille de maîtrise de l’arrangement mais aussi de la matière sensible que sont « Les Lointains ». En quatre minutes et une poignée de secondes, c’est comme si l’on traversait les toiles d’un tableau, « La Danse de la vie » de Munch ou l’abstraction d’un Pollock. Une narration si peu linéaire mais en même temps avenante et apaisée, à l’image du « Chien jaune ».
A l’écoute de « Flahr », on comprend pourquoi Frank Marquehosse a participé à cette compilation de gens de bon goût autour d’Erik Satie, ce fameux « Erik Satie et les Nouveaux Jeunes ». On retrouve chez Moinho ce même sens de l’économie que chez son glorieux aîné.
On pensera parfois à Olivier Greif et sa « Sonate de Requiem » pour ces mêmes couleurs crépusculaires et mouvantes. On ne choisira pas vraiment entre le frisson et l’effroi à l’écoute des « Ombres ». « Cairn » tente la piste d’un apaisement lumineux et les points de suspension d’une question ouverte.
Frank Marquehosse signe avec ce second disque une œuvre à la fois riche, exigeante mais empathique. Un disque de musique contemporaine qui plaira aux amateurs mais saura également accueillir un public moins averti. On ne pourra se refuser ces instants de délicatesse et d’élégance car la beauté pure est si rare.