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Disques

V.A. – The Voyager Golden Record 40th Anniversary Edition

V.A. - The Voyager Golden Record 40th Anniversary Edition

Je suis de la génération qui rêve de l’espace. Pas de celle qui envoie des bagnoles promotionnelles dans l’espace, fussent-elles électriques, fussent-elles accompagnées de la musique de David Bowie. De mon temps, on n’en sautait pas en chute libre dans un ballon sonde aux couleurs d’une boisson énergisante aux testicules de taureaux. On n’y envoyait pas n’importe quoi (même si j’apprécie le geste poétique d’un Marc Melià faisant décoller récemment la cassette de son « Music for Prophet » sur le même genre de ballon).

Mes héros, comme Darren Hayman (d’ailleurs profitons-en pour annoncer la ressortie en LP de « Breaking God’s Heart » de son groupe Hefner), composent des chansons à la gloire des astronautes (pas moins de trois si je me fie au décompte dans « Madrid », l’album live avec The Wave Pictures) quand ils ne dessinent pas les chiens ou les trains qu’on leur envoie.

Je ne suis pas de la génération des complotistes (quoique…) qui pensent qu’Apollo 11 et ses suites sont le meilleur film de Stanley Kubrick, je veux bien croire tout ce qu’on veut, comme Darren, et veut espérer, comme Carl Sagan, chef du projet Golden Record pour la NASA, que l’humanité peut, parfois, produire quelque chose de positif comme un message-témoignage de ce que, disons, l’homme blanc occidental pense savoir de son monde et l’envoie loin de son système solaire dans un acte un peu gratuit et aussi fou que celui de lancer une bouteille à la mer. Et quelle mer !

Pour les quarante ans de Voyager, Ozma lance un projet sur une plateforme participative pour graver le fameux disque à la portée de tous (du moins pour ceux ayant une bourse bien garnie). Cette année, le projet sort sous sa forme idéale : un coffret avec trois vinyles dorés reprenant le contenu du son original, quelques artefacts comme le cultissime couvercle doré sur une feuille de papier, un tapis pour platine vinyle reprenant le schéma de lancement et de déplacement des sondes en profitant des orbites des autres planètes ainsi qu’un épais et luxueux livret comprenant toutes les images qui étaient codées sur le disque d’origine.

The Voyager Golden Record: 40th Anniversary Edition from Ozma Records on Vimeo.

On apprend dans le livret rédigé par Timothy Ferris, producteur du disque original, que, curieusement, le disque n’avait jamais été gravé (Discogs, qui sait tout, précise que Warner l’avait fait en 1992 mais pas en format vinyle donc hors format d’origine stricto sensu) pour le commerce pour cause d’étripage en règle des maisons de disques au sujet de leurs titres respectifs ! Les limites du pouvoir des Nations unies… On est loin, vous le voyez, de la gouvernance globale… On rêve un peu, en lisant les analogies entre notre galaxie en spirale et les sillons du disque, beaucoup, en apprenant que John Lennon a failli participer au comité de sélection, passionnément en lisant que Alan Lomax a jeté, pour rire, un exemplaire d’un titre finalement retenu à la tête d’un des membres, ce qui en dit long sur l’esprit de jeu qui a présidé au choix, on ne peut plus sérieux, des morceaux censés représenter l’humanité. The Voyager Golden Record, c’est la compilation ultime, la mixtape totale, la liste de l’île déserte de l’humanité. Et c’est vertigineux.

Passé l’épouvantable discours de Kurt Waldheim (le même conchié par Lou Reed sur « New York »), on trouve en ouverture le poème sonore, « Sounds of Earth », 12mn de fantaisie censée traduire en sons la naissance de la terre et de ses habitants et initié par un extrait de « Harmonices Mundi » (réédité par Table Of The Elements en son temps) de Laurie Spiegel, composé d’après les travaux de l’astronome Kepler en 1619 et réalisé quelques deux cents ans plus tard lorsque la technologie put le permettre à l’aide de bandes et d’ordinateurs dans la plus pure tradition expérimentale de l’époque. De l’expérimental à la banque de sons, le voyage d’une dizaine de minutes racontant notre monde vaut le détour dans sa poésie naïve et didactique.

Les plaisanteries (trait humain par excellence) ne sont pas absentes du disque. La meilleure est, peut-être, d’avoir effacé dans le mix les fins des trop nombreux discours de Nos Très Saints Dignes Représentants, le plus souvent très ennuyeux (même si on y trouve aussi un court extrait de Élévation de Baudelaire, me souffle-t-on), noyés sous les chants de baleines, finalement exclus des 55 bonjours des différents peuples de la planète, et trouvant ici plus que leur place, une utilité salvatrice.

 

Au rayon musique occidentale, on s’étonnera de ne trouver qu’un morceau de (bravoure de) Mozart, soit le deuxième air de La Reine de la Nuit de La Flûte Enchantée contre 2 de Bach (concerto Brandebourgeois et une partita) et 2 de Beethoven (la 5e symphonie, là encore foin de l’Illuminisme de la 9e et, pour clore le disque, une cavatine des quatuors à cordes). L’équipe justifiera le choix de Bach et de Beethoven pour leur recours à la symétrie et donc aux mathématiques. Notons aussi une partie assez longue du Sacre de Printemps (le sacrifice, l’élue). Avec l’air démoniaque de la Reine de la Nuit, on est servis…

On s’amusera aussi à trouver « Jonny B. Goode » de Chuck Berry, « Melancoly Blues » de Louis Armstrong et « Dark was the Night » de Blind Willie Johnson. Nos frères de couleurs sont bien représentés. Rien du King ? Rien des Beatles (même si « Here Comes the sun » fut évoqué) ?

Evidemment, l’essentiel n’est pas là mais dans le recueil des musiques du monde. Je pensais retrouver une sélection de productions Ocora mais peu des morceaux choisis étaient/ont été édités (par Nonesuch et par la Smithonians Folkways Recordings). Beaucoup sont des enregistrements provenant de missions ethnographiques. Et c’est passionnant.

Chacun y trouvera sa chacune (ou son chacun-e-s) bien sûr. Pour ma part, je trouve les chants géorgiens sur « Chakrulo » bouleversants, tout comme ceux de Bulgarie sur « Syr Izlel E Delyu Haydutin » (ah le mystère de voix bulgares !) et si vous n’y trouvez pas un peu de Dead Can Dance, soyez condamnés à errer dans les limbes, ou hors de l’héliosphère avec Voyager.

Pour les voix (voies ?) pures, les indiens Navajos (Yeibichai) et les péruviens (Wedding Song) sont à conseiller.

Evidemment, j’ai une prédilection pour les gamelans javanais de Ketawang : « puspåwårnå (kinds of Flowers) » pour leurs tintinnabulements rêveurs, leurs rythmes qui s’étirent ou s’accélèrent comme des bulles de savon et les voix qui s’entremêlent. C’est du temps magique. Est-ce de l’espace-temps ? Est-ce approprié à un voyage spatial ? Mille fois oui.

J’ai aussi un faible pour le shakuhachi, cette flûte de bambou japonaise si simple en apparence au regard des flûtes occidentales modernes et pourtant quelle variété de sons et d’ambiances ! Et quel titre : « Sokaku-Reibo (depicting the cranes in their nest) ».

Idem pour « Liu Shi (flowing Streams) » joué sur le gukin, cithare chinoise, dont les cordes pincées et les glissando ne sont pas sans jouer la parenté avec le titre de Blind Willie Johnson, mais avec plus de basses, plus d’harmoniques. Plus de profondeur ?

 

Plus attendus, peut-être, ou moins surprenants, du moins, parce que nos oreilles de fureteurs musicaux ont toutes été plus ou moins abreuvées par ce genre de musique depuis de longues années déjà, les morceaux indiens et africains ne sont pas à négliger.

Les fans de Calexico se jetteront sur « El Cascabel », avec ses mariachis et ses couleurs en Technicolor. Si on ne souhaite pas la compagnie des poteaux de Jean Louis Murat, on peut rêvasser, pendant le morceau, à Robert Mitchum poursuivant Jane Greer au Mexique comme dans Out Of The Past. Ce sera bien.

 

On pourra prolonger le rêve devant la banque d’images de notre monde. Relever les signes récurrents (le cordon ombilical, l’astronaute relié à son câble…), essayer de décrypter les symboles mathématiques et physiques expliquant notre façon de lire le monde, repérer les indices d’échelles, les surlignages à l’encre pour faciliter la lecture.

Grâce à cette ressortie, tous les Nerds du monde peuvent avoir accès aux sons-codes écoutables. Certains grands malades les ont décodés. Le geste est superbe, vous apprécierez (pour prolonger le délire sur le comment de la chose cliquez ici) :

 

Revenons au coffret. Les notes souvent passionnantes indiquent comment fut trouvée l’idée de codage des images ou pourquoi, suite à l’habitude de Lennon de gribouiller quelque message sur la bande non striée au centre du disque, Sagan avait gravé le message To the makers of music – all worlds all times et comment la NASA a failli annuler l’envoi du disque parce que cette gravure était absente du strict cahier des charges. Pourquoi est-il finalement parti ? Vous le saurez en vous procurant l’édition.

J’aurais aimé, quant à moi, savoir pourquoi un disque en or a priori de même format peut contenir les 3 disques du coffret ? A-t-on, chanceux que nous sommes, une version plus longue des morceaux tronqués pour les faire tenir sur un 33 tours de durée normale ?

Enfin, le livret se termine sur les photos récoltées par Voyager, y compris la dernière, prise lors de la sortie hors de l’héliosphère, la célèbre photo de famille de notre système où l’on distingue un pâle point bleu, notre Terre. Je regarde les anneaux de Saturne, Triton, Neptune, la tâche de Jupiter en écoutant la Cavatina du quatuor opus 130 de Beethoven.

 

Je pense à Godard (Prénom Carmen) mais aussi à Rohmer. Au Belcea Quartet également. À la chance que j’ai eu d’entendre (presque) tous les quatuors de Beethoven en concert pendant une semaine et qui reste l’une des meilleures expériences de ma vie de spectateur, l’un de mes plus fantastiques voyages et que je souhaite à tout le monde de vivre.

 

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;

Va te purifier dans l’air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

 

Voilà c’est fini. Longue vie aux bagnoles et aux canettes en alu.

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