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Disques

Bradford – Thirty Years of Shouting Quietly

 Bradford - Thirty Years of Shouting Quietly

A l’instar du “Polichinelle” de The Prayer Boat ou du “Drop Out” d’East Village, “Shouting Quietly”, l’unique album de Bradford sorti en 1990, reste un véritable trésor caché de l’indie pop. Depuis longtemps introuvable ailleurs que dans les bacs d’occasion, le voici de nouveau disponible depuis quelques mois sur le label label A Turntable Friend records. Une généreuse ration de bonus, dont plusieurs inédits, fait de cette réédition au livret copieux une quasi-intégrale (quelques versions alternatives et faces B de singles ont été laissées de côté) courant sur à peine quatre années, de 1987 à 1991. Comme l’écrit Fergal Kinney dans les notes, le disque est arrivé « cinq ans trop tard pour les Smiths, cinq ans trop tôt pour la Britpop », et en pleine vague Madchester, soit un aller simple pour l’infortune commerciale malgré une critique élogieuse.

Trente ans après, l’évidence s’impose : dans ses meilleurs moments, la musique des cinq garçons ordinaires de Bradford (qui n’étaient pas de Bradford mais de Blackburn, ville dévastée par les politiques thatchériennes) rejoint la plus grande tradition du rock anglais, celui des Jam, des Clash, des Dexy’s Midnight Runners ou des Smiths – influence évidente pour la voix et la flamboyance, mais jamais écrasante. Et par les observations sociales aiguisées de ses “kitchen sink dramas” de trois minutes, le chanteur guitariste Ian Michael Hodgson (alias Ian H.) s’affirmait en digne héritier des “angry young men” et des réalisateurs du “free cinema” anglais.

Ce qui frappe en réécoutant “Shouting Quietly” ou le single “In Liverpool”, c’est ce qui manque à tant de disques actuels : de grandes chansons et un enthousiasme palpable, une envie d’en découdre. Cette musique est l’enfant de la frustration et de la désindustrialisation, elle est née sous des ciels bas et dans des entrepôts laissés à l’abandon. Cheveux (très) courts et idées claires, Ian H. avait le sens de la formule : dans le mordant morceau d’ouverture de l’album, le “green and pleasant land” du “Jerusalem” de William Blake devient ici un “greed and peasant land”, le “land of hope and glory” d’Arthur Christopher Benson, un “Land of Dope and Tory” – voilà pour le patriotisme.

Ces mots qui cognent, façonnés durant des années de chômage, ne sont pas pour autant crachés virilement à la gueule de l’auditeur. Le constat social et politique sans appel cohabite avec les déchirements intimes, et sur les bouleversants “Skin Storm” (que reprendra Morrissey) et “Lust Roulette”, les émotions ont le goût des premières fois.

La production du grand Stephen Street (tellement épris du groupe qu’il le signa sur son éphémère label Foundation) apporte du punch et de la brillance à “To Have and to Hurt” ou “Adrift Again” – et son refrain comme on n’en entend pas trois par an –, tandis que les claviers façon clavecin ajoutent une étonnante touche pop baroque à “Radio Edna” et que les guitares de Ian H. et Ewan Butler disent l’urgence et l’envie sur “Everything at Once” (“I’m bursting to talk/There’s so much living to do”). C’est aussi cette variété d’ambiances et de mélodies qui fit et fait toujours la grandeur de Bradford, un groupe qu’il ne sera jamais trop tard pour découvrir.

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