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Interviews

Peter Walsh (The Apartments) : « Je ne suis jamais trop rentré dans le moule »

Cet automne, The Apartments tournent en Europe, et notamment en France, le plus souvent en trio, parfois en solo (dates ici). L’occasion de republier une interview de Peter Walsh réalisée à Paris fin 2009, alors que l’Australien s’apprêtait à donner quelques concerts après quinze ans d’absence. Depuis, l’aventure s’est poursuivie, avec de nouvelles visites et tournées, un nouvel album (“No Song No Spell No Madrigal”), des rééditions. Si certains passages de cet entretien se retrouvent donc caducs, l’ensemble n’a rien perdu de sa pertinence près de neuf ans après.

C’est comme un rêve. Un soir d’automne, vous entrez dans un petit immeuble de la rive gauche, montez trois étages et vous retrouvez devant une porte ouverte. Par l’entrebâillement, vous voyez l’homme qui a sans doute le plus compté dans votre parcours d’amateur de musique : l’Australien Peter Milton Walsh, l’unique habitant permanent des Apartments. Invité par son ami Emmanuel Tellier, journaliste et chanteur du groupe 49 Swimming Pools, Peter passe quelques jours à Paris, dans un appartement qu’on lui a prêté, avant de donner trois concerts en France, ses premiers depuis novembre 1994. On l’avait interviewé à l’époque ; à notre grande surprise il n’a pas oublié quinze ans après, se souvenant même que nous avions parlé de « A bout de souffle » de Godard (dont ce grand cinéphile connaissait même le titre français). Quelques années plus tard, la première compilation réalisée par POPnews s’ouvrirait sur une version acoustique de « Knowing You Were Loved » (tirée de l’album « Fête foraine »), comme une sorte de parrainage officieux. Nous avions donc beaucoup de choses à dire à Peter Walsh ; humble, pudique et d’une absolue sincérité, il nous a accordé près d’une heure d’entretien. Il fut question de son amour pour la France (et de sa réciprocité), de ses hésitations à l’idée de remonter sur une scène, de sa conception de l’écriture de chansons, de l’envie de poursuivre l’aventure après trente ans d’un parcours semé d’embûches, de renoncements, de longues absences et de retours aussi sublimes qu’inespérés.

Rencontre rare et précieuse avec un homme qui l’est tout autant.

Tu n’as jamais eu beaucoup de succès dans ton pays, l’Australie, même si tu y as donné quelques concerts en 2007. Comment l’expliques-tu ?
Je ne sais pas trop… Je pense juste que la musique que je fais peut intéresser des Australiens, aussi bien que des Américains, des Anglais ou des Italiens… Mais à un niveau plus profond, ce que je représente, l’esprit qui me traverse, ne peut pas vraiment rencontrer d’écho auprès du public australien. Peut-être parce que j’ai longtemps vécu à l’étranger, ou simplement parce que je ne suis jamais trop rentré dans le moule. (rires) Ceci dit, je trouve que mes compatriotes sont des gens merveilleux. Et peut-être n’ai-je pas fait suffisamment d’efforts pour me faire connaître d’eux.

C’est sans doute en France que tu as le plus de fans. L’annonce de ton retour sur scène a suscité un énorme enthousiasme. Par ailleurs, tu es un grand amateur de culture européenne, et notamment française.
Tout à fait. Pour moi, il y a quelque chose de fort, spirituel, passionné, sensuel en France, et c’est la vie que je voulais mener. Il y a beaucoup de choses que j’adore qui sont liées à votre pays. Tenez, voici une anecdote que je n’avais jamais racontée à personne. Quand j’étais au lycée, en Australie, j’avais acheté un exemplaire d’occasion de « B.B. », un album de Brigitte Bardot. Je devais avoir 17 ans. J’ai converti beaucoup de mes camarades à Brigitte Bardot, mais je ne pense pas que c’était pour la musique… Sur ce disque, il y avait un morceau que j’adorais, « Un jour comme un autre » (il figure également sur l’album « Bonnie & Clyde » signé Bardot et Gainsbourg, ndlr). J’y ai repensé quand j’ai écrit « Cannot Tell the Days Apart » (« Je ne peux distinguer les jours ») pour mon premier album, « The Evening Visits ». Je me suis dit alors qu’un esprit s’étais transmis, perpétué jusqu’à moi. L’auteur de la chanson, Jean-Max Rivière, en a écrit beaucoup à cette époque pour des chanteurs et chanteuses français. Il devait avoir dans les 25 ans. Pour moi, « Un jour comme un autre » était l’une des chansons les plus belles et les plus tristes que j’avais jamais entendue. Et je l’aime toujours. Il y a beaucoup de petites choses comme ça qui ont jalonné mon parcours, et qui font que je suis extrêmement heureux d’avoir un tel accueil en France, et de passer quelques jours à Paris. La seule chose dont j’aurais à me plaindre ici, c’est de l’eau, qui donne une drôle de texture à mes cheveux (Il éclate de rire en se caressant les cheveux).

Comment cela s’est passé concrètement ? Tu n’avais pas joué en France depuis 1994…
J’ai une page MySpace mais ce n’est pas moi qui m’en occupe, c’est un fan qui l’a créée. Emmanuel (Tellier, ndlr), que j’avais rencontré il y a longtemps et qui a aussi une page MySpace pour son groupe 49 Swimming Pools, a envoyé une « friend request ». Je suis allé écouter sa musique et j’ai beaucoup aimé « The Goodbye Song ». Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un clin d’œil à « The Goodbye Train » de The Apartments, après tout il existe beaucoup de chansons avec « goodbye » dans le titre… Je lui ai écrit pour reprendre contact, et il m’a proposé de venir jouer en France. Au départ, j’étais réticent, mais il a fini par me convaincre. Et au fond je suis très content que cela se fasse, comme si c’était le destin, et non quelque chose de prévu. Je n’ai jamais été très fort pour planifier les choses, je crois davantage à la destinée, plutôt qu’au travail acharné (sourire). Pour moi, ça n’a jamais vraiment fonctionné comme ça, ce sont plutôt la chance et le hasard qui m’ont guidé. Là, c’est comme un coup de dés où j’aurais gagné…

Tu avais quand même des hésitations ?
Oui, parce que j’avais arrêté de jouer, de faire de la musique, pour une raison bien précise. Pour moi, tout cela était de l’histoire ancienne, comme si un mur infranchissable m’en séparait. Et puis je me suis peu à peu convaincu qu’il fallait que je le fasse. Mais ça a été une lutte, même après que j’ai accepté de jouer ces concerts. J’ai un rapport compliqué avec le passé (soupir). C’est sans doute le cas pour tout le monde, mais particulièrement pour moi. J’ai essayé de déterminer ce qui était vraiment du passé, auquel je ne voulais pas revenir, et ce qui n’en était pas. J’ai été obligé de rouvrir des portes que j’avais fermées il y a longtemps, et ce n’était pas facile. Mais je l’ai fait.

Peut-on considérer que des titres comme « Drift » (« dérive »), « The Goodbye Train » ou « A Life Full of Farewells » résument ton existence ? Tu as quitté beaucoup de femmes, d’amis, d’endroits…
Oui, absolument. Pendant une longue période, c’est la vie que j’ai menée. Et quand on fait cela, on gagne des choses mais on en manque aussi. J’ai beaucoup d’amis qui jouent dans des groupes et pour eux, c’est comme un fil continu qui traverse leur vie, une activité permanente. En cas de difficultés, ils peuvent toujours s’y raccrocher. Moi, j’ai beaucoup dérivé… C’est drôle, d’ailleurs, car pour préparer les concerts j’ai réécouté des chansons que je n’avais pas jouées depuis longtemps. Au départ, j’avais l’impression d’être en présence d’un étranger, et puis les souvenirs sont peu à peu remontés à la surface. Dans la chanson « All You Wanted » (un single de 1984, ndlr), je chante « I just let things drift ». Comme quoi, ce sentiment était déjà là à l’époque (sourire). Pourtant, je n’y avais jamais pensé, mais c’est bien ce que j’ai fait, j’ai laissé les choses dériver.

Tes chansons parlent avant tout de toi ?
Oui. J’ai beaucoup de respect pour les songwriters qui utilisent leur imagination, mais je préfère écrire d’une façon plus instinctive plutôt que d’inventer des personnages, comme le fait Nick Cave, par exemple. Ou Springsteen. Je n’ai jamais trop accroché à ses chansons, parce que les textes me semblaient imaginés plutôt que vécus, et ça ne me paraissait pas réel. Je pense que ça a changé avec « Tunnel of Love ». Jusqu’ici, toutes les filles dont il parlait étaient des créatures idéalisées, et là c’était quelqu’un de réel, il avait visiblement fait l’expérience de la perte, de la déception. Alors qu’avant, je trouvais ça trop maniéré, trop étudié. Beaucoup de gens y sont sensibles, mais pas moi.

Pourtant, il y a aussi des personnages dans tes chansons, notamment celles de « Drift ».
Oui, c’est exact. Mais ce sont surtout des personnes réelles qui, à un moment ou à un autre, ont fait partie de ma vie. Ils ne sont donc pas « fabriqués » à la façon de ceux des histoires d’horreur gothiques de Nick Cave. Je ne dis pas que c’est mieux, c’est juste ma façon d’écrire des chansons.

Le morceau « All the Time in the World », qui clôt l’album « A Life Full of Farewells », parle de ton enfance et de ton père. De tous tes textes, c’est peut-être le plus simple, le plus direct et le plus émouvant.
J’ai écrit cette chanson alors que je rentrais en Australie après avoir passé une dizaine d’années à l’étranger. Mon père devait bientôt être mis à la retraite anticipée, et je pensais que ça risquait d’être compliqué pour lui car il travaillait depuis son adolescence… Il fait partie de ces gens qui ont besoin d’occupation, de journées bien remplies. J’ai alors pensé qu’il fallait que je dise du bien de lui dans une chanson. Nous sommes deux personnes extrêmement différentes. Il n’a jamais lu un livre, il était chauffeur routier…

Enfant, tu habitais dans un endroit très isolé ?
Non, pas tellement. Je suis né à Sydney et ma famille a déménagé à Brisbane quand j’avais 4 ou 5 ans. Mais c’est vrai que là où nous habitions, il n’y avait pas beaucoup de maisons, nous étions à la limite du bush. Ca ressemblait à l’univers d’auteurs américains comme Truman Capote, Carson McCullers, William Faulkner ou Tennessee Williams. Le Sud, la chaleur… Ca, c’était quand j’étais tout petit ; ensuite, des maison se sont construites et ce monde si important pour moi a disparu. Pourtant, je ne ressens pas vraiment de nostalgie, ce sont juste des souvenirs qui ressurgissent parfois. Notamment quand j’habitais New York, au début des années 80. Je me suis alors mis à relire tous ces écrivains que j’ai cités, originaires du Sud des Etats-Unis, et ça me semblait proche de ce que j’avais vécu. Une existence calme, loin du rythme urbain auquel mes propres enfants sont habitués.

Tu as quand même beaucoup vécu dans des grandes villes, comme Londres ou New York. Le nom « The Apartments » vient du film « The Apartment » (« La Garçonnière ») de Billy Wilder, mais c’était aussi une allusion à un certain mode de vie urbain sur lequel tu fantasmais.
Tout à fait. J’ai acheté un billet pour New York quand j’avais 19 ans mais je ne suis pas parti. A l’époque, il fallait prouver qu’on avait les moyens de subvenir à ses besoins, quelque chose comme 300 dollars par semaine, et je n’avais pas cet argent ! (rires) Je rêvais de cette ville, sans doute parce que j’avais grandi dans un univers qui en était l’opposé. Et quand j’ai fini par y aller, j’ai ressenti ça comme une cassure nette dans mon existence, un grand bouleversement. J’avais choisi New York alors que beaucoup de mes amis étaient partis pour Londres. Quand je me suis penché de nouveau sur mes anciennes chansons pour préparer les concerts, j’ai été frappé par le nombre de morceaux de « The Evening Visits » qui ont été écrits, ou du moins commencés à New York. Et la photo de la pochette, je l’ai prise là-bas à 3 heures du matin, sur le toit de mon immeuble. On voit l’un de ces réservoirs d’eau en bois typiques de la ville, et le clocher de l’église d’à côté. C’était une période très excitante. La ville a beaucoup changé depuis.

 

 

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