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Interviews

Olivier Marguerit/O : « Il faut que la langue soit musicale »

Tous ceux qui s’intéressent à la pop française de ces quinze dernières années ont forcément déjà croisé Olivier Marguerit, sideman multi-instrumentiste qui a apporté ses talents à une flopée de groupes et d’artistes, en studio comme sur scène. Il y a quelques années, le Francilien décidait de voler de ses propres ailes sous le nom de « O ». En résultait un premier album au charme flottant, “Un torrent, la boue”, porté par le très beau “La Rivière”. Trois ans après, “A terre” ajoute du rythme et du dynamisme à une pop en français toujours aussi soignée et séduisante. L’occasion de s’entretenir avec un musicien passionné, qui s’épanouit autant dans la composition en solitaire que dans le jeu collectif.

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Tu as fait partie de plusieurs groupes avant de te lancer en solo. Quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Assez tôt, dans des groupes de collège puis de lycée. Jeune, j’avais fait un peu de guitare au conservatoire, mais j’avais vite arrêté. Je m’y suis remis en apprenant les accords de morceaux rock ou punk, genre Sex Pistols. Parallèlement j’ai commencé à écrire mes propres chansons, souvent avec un camarade du collège. Avant de jouer dans Les Chicros et Syd Matters, j’étais dans un groupe qui s’appelait Skalimucho : du ska-punk, influencé par les Specials ou les Clash. On a fait plusieurs albums et EP et donné pas mal de concerts. Dans le groupe, il y avait Judah Warsky, Jean-Yves Lozac’h, devenu ensuite la bassiste de Syd Matters et de Bertrand Belin, et un clavier qui a rejoint plus tard Rover. L’expérience a dû être formatrice car on a tous continué dans la musique après !

Vous étiez en banlieue parisienne ?
Oui, entre Sèvres et Viroflay, en gros. Après, le premier groupe un peu professionnel qui m’a donné une véritable expérience du studio et qui m’a appris à faire des disques, c’était donc Les Chicros, juste avant Syd Matters. La transition de l’un à l’aure a été naturelle. Jonathan Morali faisait de la musique dans son coin et cherchait des musiciens. Il en a trouvé dans un autre groupe avec qui on partageait une maison, et c’est comme ça que je suis entré en contact avec lui et que j’ai commencé à jouer dans Syd Matters.

Le groupe en est où, d’ailleurs ?
Il est en sommeil. Après la tournée du quatrième album, on en avait un peu marre. On s’aimait bien, il n’y avait pas de problèmes entre nous, mais on avait chacun d’autres envies, notamment la composition de musique de film pour Jonathan, qui avait d’ailleurs commencé à en faire avec Syd Matters. Il s’est consacré un peu à ça, ce qui correspondait à sa volonté de moins tourner, et puis à d’autres projets : là, il travaille sur une musique de jeu vidéo. Mais régulièrement, on se contacte et on parle de refaire des choses ensemble, mais je ne sais pas trop sous quelle forme, comment, quand… Je pense que ça finira par arriver car on est tous restés copains. Il faut trouver façon de faire, que ce ne soit pas juste du réchauffé.

Quand as-tu composé pour tes disques sous le nom de O ou Olivier Marguerit ?
J’aurais un peu de mal à définir précisément le moment. Vers 2011-2012, je pense, car c’est à cette période que j’ai quitté mon appartement, où je vivais, disons, une adolescence tardive, avec tout mon matos dans un coin, pas vraiment installé. J’ai emménagé avec ma compagne, et j’ai eu alors besoin d’un lieu pour stocker mon matériel et éventuellement écrire des chansons. L’idée, c’était surtout que ça n’encombre pas le nouvel appartement… J’ai trouvé une cave à Pigalle où j’ai tout posé, et comme c’était un moment où j’avais un peu de temps, je me suis dit que j’allais commencer à bidouiller un peu, sans aucune velléité que ça débouche sur un projet commercial, destiné au public. Je me suis pris au jeu et comme des gens à qui je faisais écouter les morceaux trouvaient que certains valaient le coup, ça m’a incité à continuer. Tout est donc parti de ce lieu.

Tu te trouvais limité par le fait d’être membre d’un groupe ?
Pas forcément, car avec Les Chicros et Syd Matters j’étais assez présent, j’intervenais dans les compositions. Mais c’est vrai que des frustrations naissent inévitablement, car on ne peut pas toujours mener certaines idées jusqu’au bout, surtout quand on n’est pas le compositeur principal. Je ne le vivais pas mal, mais pour s’épanouir, il faut se lancer dans sa propre musique à un moment. Pour autant, je ne le verbalisais pas vraiment à l’époque, et ça ne manquait pas tellement de ne pas faire “mes” chansons… J’aimais bien la vie de groupe, les concerts.

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Tu étais cité récemment dans un article de “Libération” sur le choix des noms de groupe ou d’artiste…
Oui, dès qu’un journaliste traite le sujet, il m’appelle… (sourire) Je n’ai pas totalement abandonné le “O” au profit de mon nom complet, mais c’est devenu trop compliqué de faire de la musique uniquement sous cette initiale. J’étais perdu dans une sorte de masse, et je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup d’autres artistes qui s’appellent “O” ! Au début, j’aimais bien l’idée qu’il fallait chercher un peu pour me trouver, mais avec toute la musique disponible aujourd’hui sur Internet, la pratique du streaming et la tendance au zapping, j’ai eu peur que les gens se découragent s’ils ne trouvaient pas tout de suite où écouter les morceaux… Mais je n’ai donc pas totalement abandonné ce “O” qui, au-delà de ma personne, représente un projet musical et toutes les autres personnes qui y sont impliquées. Et puis, ce serait un peu renier le premier album sorti sous ce nom-là. Peut-être que je chercherai encore un autre nom pour le troisième album ! Mais c’est surtout une question de référencement, ce n’est pas très important au fond. C’est juste qu’au départ, je n’aimais pas trop l’idée de me présenter simplement comme Olivier Marguerit. J’ai plutôt une culture anglo-saxonne, où un groupe est incarné par un nom. Chanter sous mes prénom et patronyme, ça me renvoyait trop à la variété. Mais maintenant, je m’en fiche un peu.

Le nouvel album et plus rythmé, plus énergique que le précédent, plus extatique, même. C’est assez frappant si l’on compare les deux extraits mis en avant, “La Rivière” et “A terre”. As-tu l’impression de t’être libéré de quelque chose ?
Tant mieux si ça se ressent car c’était clairement l’objectif que je m’étais fixé, notamment en réaction à la tournée qui avait suivi la sortie du premier album. Comme les morceaux étaient plutôt doux, et souvent sinueux, je trouvais qu’il y avait trop de ruptures de dynamique, que les concerts étaient un peu trop formels. Le public était très attentif, voire stoïque. Il me regardait comme au spectacle, comme si j’étais un drôle d’énergumène. J’avais envie d’une adhésion, d’un dialogue plus direct avec les spectateurs. J’ai assisté récemment à un concert de Tahiti 80 à la Maroquinerie, où tu étais aussi : on a tous trouvé qu’il s’en dégageait quelque chose d’hyper généreux, tous le monde était content. C’est cette énergie-là que j’ai envie de retrouver sur scène. J’avais donc besoin de morceaux plus toniques, lumineux, solaires. Je voulais aussi chanter avec une voix moins haut perchée que sur le premier album, où cela découlait inconsciemment de ma pratique des chœurs dans les groupes dont j’avais fait partie. Et puis il y a davantage d’incarnation dans une voix plus portée.

C’est particulièrement le cas sur “Tu sais, je ne sais plus”, au refrain très pop et aux arrangements plutôt afro-funk.
Il est un peu à part sur l’album. Il y a même du saxo. Mais j’espère ne pas faire des morceaux trop référencés, “à la manière de”, trop inscrits dans un genre bien identifié. Je pense avoir digéré mes diverses influences. Là, j’avais envie d’un rythme un peu chaloupé. Je ne sais pas si c’est lié ou pas, mais il y a quelques années j’avais joué avec Mehdi Zannad sur des sessions avec Tony Allen [ex-batteur de Fela et membre de The Good, The Bad and The Queen, ndlr]. Ça peut même remonter à plus loin car avec Syd Matters, c’est le genre de groove qu’on aimait bien : quelque chose d’assez coulé, africain, avec une accroche plus pop, plus blanche. Le batteur qui joue sur l’album a aussi ce type de jeu. C’est Sylvain Joasson, avec qui je fais partie de la version scénique de Thousand et qui participe également à Chevalrex, Oiseaux-Tempête, Mendelson…

Qui d’autre joue sur le disque ?
Jérôme Laperruque était à la basse, et j’ai fait les guitares et les claviers. Aux chœurs, il y a trois filles : Maud Nadal (Halo Maud), Emma Broughton qui est également dans Thousand, et Mina Tindle. Mathieu Geghre, qui joue du piano avec moi sur scène, a écrit certains arrangement de saxo, qui ont été interprétés par Ferdinand Doumerc : un musicien que j’avais un peu perdu de vue ces dernières années, qui est dans la sphère jazz moderne, pop free, avec Aquaserge et des gens comme ça. Et c’est Yann Arnaud, avec qui j’avais déjà travaillé du temps de Syd Matters et des Chicros, qui a fait les prises de son et réalisé l’album avec moi.

Tout à été enregistré dans un “vrai” studio ?
Tous les “basiques”, oui : basse-batterie, piano, guitare. Ça a été rapide : une première session de trois jours, une autre de deux. J’ai fait ensuite des petites choses dans mon propre studio, plus de la prod, des trucs qu’on n’entend pas beaucoup. Le processus a en fait été assez étrange. L’enregistrement en lui-même n’a pas pris beaucoup de temps, mais j’ai beaucoup tardé à m’y mettre : je manquais d’inspiration, je ne voyais pas trop comment m’y prendre… Je sentais qu’il y avait des éléments valables, mais pour moi ça ne faisait pas un album. Et puis, à l’été 2017, j’ai décidé de maquetter très vite quelques titres, et ça a tout débloqué. J’ai alors décidé d’enregistrer l’album, sans même attendre mon label, et là, enfin, tout m’a semblé facile.

Même si le morceau “Ensablé” est chanté en anglais, malgré son titre, il y a plus de morceaux en français que sur l’album précédent. C’était une évolution logique pour toi ?
A un moment, j’ai eu beaucoup plus de morceaux maquettés qu’il n’y en a finalement sur l’album, et une bonne partie était en anglais. Quand je me suis mis à vraiment produire le disque, je me suis aperçu qu’ils ne tenaient pas trop la route. Au départ, je voulais en fait qu’il y ait plusieurs langues sur le disque. J’avais notamment le projet d’enregistrer une chanteuse thaïlandaise. Mais c’est moi qui devais chanter en thaïlandais et elle en français ! Je pense plus la langue comme un instrument, une couleur. Finalement, sans que je sache trop pourquoi, ça s’est resserré sur le français. Ce n’était pas une volonté de départ, ça s’est fait naturellement.

Tu ne fais pas de la chanson à texte, j’ai plutôt l’impression que tu essaies de fondre les mots dans la musique pour les rendre indissociables…
Jusqu’à présent, je suis presque toujours parti de la musique, pas du texte. C’est quand la composition me semble terminée que je transpose alors la mélodie vocale en mots. Les mots sont comme des notes, le sens m’importe assez peu. Il faut avant tout que la langue soit musicale.

J’ai quand même relevé quelques thèmes qui courent sur tout l’album : la difficulté à se tenir droit, les pieds bien plantés dans le sol, au propre comme au figuré ; la peur de l’enlisement ; la quête de sa juste place dans le monde… Il y a beaucoup de notations géographiques ou spatiales.
Le cadre du disque, c’est en effet le vertige, la chute, le fait de perdre pied, de s’écraser par terre… J’ai régulièrement des images mentales où je m’enfonce, m’enlise, ça traduit sans doute dans mon inconscient la peur de mourir. Je me suis d’ailleurs souvenu il y a très peu de temps que gamin, j’allais souvent en vacances dans les Vosges, pour Noël ou en février. Il y a avait de la neige, de la boue, et on me disait tout le temps de faire attention à la tourbière. C’était terrorisant ! Je voulais que le disque soit comme une digression sur le même thème, un peu comme Gaisbourg a pu le faire, plutôt que de partir dans toutes les directions. Là, soit je ressors de la terre comme un arbre qui pousse, soit je m’enfonce de plus en plus, soit je repars, je remonte pour mieux replonger.

Tu joues avec Thousand, qui a sorti l’an dernier un remarquable album intitulé “Le Tunnel végétal”. L’élément végétal est très présent dans ton propre disque, sous forme métaphorique.
Tout ça vient d’une chose dont je me suis aperçu avant de fixer un cadre pour le disque : que mon prénom désigne un arbre et mon nom, presque une fleur ! Disons que je le savais mais que je n’avais jamais fait le rapprochement… Au départ, je pensais intituler le disque “Arbre fleur”, il devait parler de mon rapport au végétal et à l’urbain, de l’arbre qui pousse dans la ville. J’ai fini par abandonner le thème mais il a quand même influencé les textes.

Ce qui s’exprime aussi à travers le disque, je trouve, c’est une masculinité qui intégrerait une certaine part de féminité. On a l’impression que l’homme et la femme se soutiennent l’un l’autre.
Ça tient sans doute en partie à la présence des filles aux chœurs. L’idée, c’était que je perdais pied, que tout s’écroulait autour de moi, et que les femmes étaient là pour me rattraper, me prendre dans leus bras, en jouant un rôle maternel. Les choristes incarnent cette présence protectrice. J’avais l’image du coryphée. Mais tant mieux si les rôles ne sont pas définitivement attribués entre les hommes et les femmes ! J’ai un peu joué là-dessus avec le morceau “Avale-moi” : les couplets sont écrits d’un point de vue féminin, le refrain d’un point de vue masculin. L’être est à la fois homme et femme… C’est peut-être dans l’air du temps, tout simplement.

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Quand vous êtes sur scène, même pour un petit showcase en formation réduite, on sent un vrai plaisir du jeu collectif. C’est quelque chose que vous ressentez vous aussi ?
Oui, d’autant qu’au départ O était vraiment un projet solo, autarcique, je faisais tout dans mon studio. Là, j’avais envie d’autres musiciens, de couleurs qui se mélangent, et je voulais que ça chante beaucoup. Je travaille depuis longtemps avec les trois filles, je les ai souvent entendues chanter et j’adore leurs voix. Mon petit plaisir, c’est de les faire chanter ensemble. Et puis, la voix reste un instrument merveilleux, sans doute plus riche que la guitare par sa variété de timbres, et je souhaitais qu’il y ait beaucoup d’harmonies vocales.

Tu joues sur la plupart des morceaux de l’album de The Last Detail, le duo de Mehdi Zannad et Erin Moran. Comment cela s’est-il passé ?
Le disque s’est fait très étrangement ! J’avais rencontré Erin, alias A Girl Called Eddy, par l’entreprise de Mehdi il y a assez longtemps. Je ne me souviens plus trop comment elle avait découvert sa musique à lui, mais en tout cas elle aime beaucoup ce qu’il fait. Quand je suis allé jouer à Londres avec lui et d’autres musiciens, elle était très présente. On est tous devenus amis. Il y a huit ou neuf ans, Mehdi m’a fait part de sa volonté d’enregistrer un EP avec elle, trois ou quatre titres. Il a donc organisé une session de studio, et après je n’en ai plus entendu parler pendant longtemps. Quand je le voyais, je lui demandais où ça en était, et il me répondait que le projet n’était pas abandonné mais que ça n’avançait pas vraiment. Entre-temps, Erin était allée habiter aux Etats-Unis, il lui était arrivé plein d’aventures, elle devait refaire un album solo qui est tombé à l’eau… Et puis Mehdi a fini par me dire que le projet était relancé et m’a proposé de faire deux jours de studio, avec d’autres musiciens. Quand il a eu six ou sept morceaux bien avancés, il les a fait écouter au label madrilène Elefant, qui a beaucoup aimé et qui a proposé de finir de produire le disque. On a donc encore fait des sessions en studio, un peu plus au propre, en sachant cette fois-ci que cela allait déboucher sur quelque chose. On a aussi un peu travaillé dans mon propre studio, enregistré des parties de guitare, quand Mehdi avait épuisé son budget. Etonnamment, ce travail au long cours, très décousu, ne se ressent pas trop à l’écoute. Ce qui est amusant, c’est que j’ai travaillé en parallèle, là aussi avec Mehdi, sur un autre disque qui a lui aussi mis pas mal de temps à se faire – un peu moins, quand même ! –, celui d’April March. Mehdi a donc mené de front deux « albums de chanteuses », même s’il chante lui-même beaucoup sur “The Last Detail”. Moi, je ne savais parfois plus très bien si ce que j’enregistrais était destiné à l’un ou à l’autre ! J’ai reçu l’album de The Last Detail il y a quelques semaines et je le trouve hyper bien. Ma compagne l’adore, elle l’écoute sans arrêt à la maison.

Mehdi Zannad écrit-il très précisément les parties pour tous les musiciens, ou vous laisse-t-il un peu de liberté ?
Un peu des deux. Pour la base rythmique, il arrive avec des envies, des idées, mais ce n’est jamais complètement arrêté. Il y a un groove, quelques accords, et là-dessus on peut proposer des idées. Ensuite, pour tous les arrangements, les parties de voix, il est très précis, c’est écrit, parfois sur partition. Mais avec moi, c’est assez simple, il me donne un canevas et me lance des références, souvent les mêmes, comme les Byrds.

Il a une écriture plus référencée, plus classique que la tienne.
Oui, c’est vrai : pour les guitares, c’est donc les Byrds, pour la batterie, Ringo… Il a quelques obsessions !

En voyant les crédits de ce disque, je me disais qu’il y avait en France toute une génération de musiciens nourris à la pop qui ont autour de la quarantaine.
Oui, tout à fait. J’ai moi-même 38 ans. Et je reconnais qu’il peut y avoir un risque d’entre-soi car on joue tous les uns avec les autres. Je me suprends parfois à écouter principalement la musique de gens que je connais, dont beaucoup avec qui je joue, en me disant que c’est sans doute la meilleure du monde… C’est vrai que dans mon cas, la pratique musicale est très liée à l’amitié. Quand j’étais au collège, j’allais au centre commercial avec mes amis le mercredi ou le samedi après-midi. Au bout d’un moment, jouer ensemble dans une cave est devenue notre nouvelle activité. Les rares fois où, plus tard, je me suis retrouvé à jouer dans des groupes dont la musique me parlait moins, je me suis un peu ennuyé. Sans doute aussi parce que la musique était moins bonne… Hors de la scène, il y a tellement de temps morts, de voyages en camion, qu’il vaut mieux être avec des gens que tu apprécies. Mais j’aime aussi lancer des projets avec des gens que je ne connais pas trop, pour voir ce que ça donne.

Tu écrit de la musique pour le cinéma. C’est un univers dont tu te sens proche ?
Oui, et depuis longtemps. J’ai fait un bac littéraire option cinéma. Dans ce cadre-là, j’ai réalisé un court-métrage, j’ai découvert des cinéastes même si je ne prétends pas être un grand cinéphile. Il se trouve aussi que ma compagne, Shanti Masud, est réalisatrice. Elle m’a logiquement proposé de faire la musique de ses films. J’ai commencé par du court, puis du moyen, du long… J’aime bien faire ça ponctuellement, ça ne pourrait pas être mon activité principale car je trouve que la musique est un peu mise au second plan par rapport à l’image. Mais ça me procure des respirations bienvenues. J’avais déjà joué avec Syd Matters sur la B.O. de “La Question humaine”, un film de Nicolas Klotz avec Mathieu Amalric. La première que j’ai composée sous mon seul nom, c’était pour “Diamant noir”, le premier long-métrage d’Arthur Harari. J’étais très heureux de le faire, d’autant qu’Arthur est un ami de Shanti. Je reconnais qu’on retrouve le même fonctionnement que dans la musique ! (sourire) Enfin, je ne travaille quand même pas qu’avec des gens que je connais. Le réalisateur japonais Nobuhiro Suwa, qui avait beaucoup aimé “Diamant noir”, m’a ainsi proposé de faire la musique de son film “Le Lion est mort ce soir”, tourné en France, avec Jean-Pierre Léaud. C’était une expérience particulière : il m’a montré son film qu’il pensait quasiment terminé, et je me suis dit qu’il n’y avait pas besoin de musique ! Le film était alors plus fragile, distendu. A partir du moment où on a proposé de la musique au réalisateur, il a refait le montage du film en coupant des scènes. Je trouve que le film a perdu au passage un peu d’étrangeté, mais bon… C’était en tous cas une expérience particulière car je ne parle pas le japonais, et lui, pas le français, bien qu’il tourne souvent chez nous. Nous avions donc un interprète. Sinon, j’ai reçu plusieurs propositions ces derniers temps. J’espère travailler de nouveau avec Arthur Harari, mais pour le reste, il faut vraiment que le projet me plaise car ça prend beaucoup de temps.

La vie d’un musicien est assez différente de celle d’un salarié aux horaires plus cadrés et aux revenus plus réguliers. Penses-tu que c’est quelque chose que tu pourrais faire ?
J’ai un peu connu ça car j’ai été pion dans un collège pendant cinq ans. Bon, c’était un boulot d’étudiant… Vers la trentaine, j’ai quand même connu une sorte de crise par rapport à la vie de musicien. Je me demandais à quoi ça servait. Je faisais régulièrement des concerts avec Syd Matters, qui avait déjà sorti plusieurs albums, je jouais dans les mêmes endroits, avec les mêmes personnes… J’ai eu envie d’une activité plus manuelle, où je produirais des objets, quelque chose de plus concret qu’un disque. Cette crise existentielle a dû durer un an. La vie de musicien, c’est quelque chose que j’aime bien, même si en vieillissant certaines choses s’avèrent plus pénibles et fatigantes, la vie dans le camion… Je ne peux plus faire la fête comme quand j’avais vingt ans ! Les lendemains sont un peu durs… J’ai aussi une vie de famille désormais, je veux être le plus présent possible pour ma fille. J’essaie d’organiser mon activité de musicien pour que celle-ci se rapproche plus d’une vie sédentaire, à Paris. Même si une certaine routine peut s’installer, ce n’est pas celle d’un travail salarié. Mais si les projets se tarissent, que je me suis moins sollicité, moins porté par cette énergie-là, je me dirai peut-être qu’il faut que je passe à autre chose. Je ne veux pas devenir un rocker vieillissant en jean déchiré !

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