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Disques

Seth Faergolzia’s Multibird – Multibird

Routier de l’antifolk depuis plus de vingt ans, proche de Jeffrey Lewis, Seth Faergolzia revient en bande, avec un album comme un concentré d’Amérique : une musique populaire et rurale jouée avec une modernité et une intelligence confondantes.

Contrairement à l’oiseau dessiné sur la pochette de ce premier album, qui en possède trois, Multibird n’a qu’une tête : Seth Faergolzia. Héraut de l’épopée antifolk du début des années 2000, compagnon de route, avec en particulier son (déjà) projet collectif Dufus, de Kymia Dawson, Regina Spektor ou Jeffrey Lewis, dont il restera un fidèle collaborateur, ce « musician, father, lover, activist, dreamer, artist, friend », comme il aime à se présenter, compte déjà à son actif une trentaine d’albums ! Fidèle à ses habitudes rassembleuses, Faergolzia a convié sur Multibird pas moins de dix-huit musiciens, qui, tout au long des cinq ans de la gestation de ce disque produit par souscription, lui ont apporté une variété d’instrumentation exceptionnelle (on entendra de ci de là un trombone, une guimbarde, un banjo ou un accordéon), toujours en lien avec la musique traditionnelle américaine, mais avec une distance qui rend la proposition passionnante.

Même s’il dresse un portrait pas toujours rose de son pays, Multibird est gai comme un (multi)pinson : dès le premier morceau “Riot”, nous sommes accueillis par de réjouissantes trilles d’oiseaux (Seth est un as du sifflement), et tout au long de cet album enlevé, humaniste, enthousiaste et goguenard, un sourire de plaisir quasi enfantin ne quittera plus notre visage. Les douze morceaux, aux mélodies collantes et aux rythmes souvent enlevés, s’enchaînent comme autant de classiques populaires pour les bars de l’Amérique profonde. Mais, loin d’un folklore joué tout feu éteint, chacun est empreint d’intelligence, de subtilité, de maîtrise et d’exigence : une musique surannée dans le fond, mais extrêmement créative et moderne dans la forme.

Très libre avec la langue, Faergolzia joue avec les mots, ose des passages tout en onomatopées (“Quing” ou “Landscaper”, sommet punk et amusant d’écriture allitérative). Sur la naïve “Rubberbands”, petite chanson folle de 2 minutes 30 dédiée aux trains qui traversent le pays, de candides « tchoo tchoo » fusent et c’est la jubilation. Et lorsqu’on passe du train au bus, pour célébrer, sur la mélancolique ballade “Roll Bus Roll” (une reprise de Jeffrey Lewis), les voyages dans les mythiques cars Greyhound, c’est encore la Beat Generation qui est convoquée, et les rêves de départ toujours possibles à travers les grands espaces américains, même en 2020 (plus loin, “Wander” est encore plus explicite, célébrant la vie au jour le jour et la solitude choisie sur la route).


Seth Faergolzia parle aussi dans ses chansons de l’Amérique la plus contemporaine (“Video Games with Real Guns”, la délicieusement second degré “Thank You Computer”) et des us et coutumes redneck (“Yup’s Birthday”, sorte de croisement improbable entre “Grease” et les Violent Femmes) avec autant de facilité que de pertinence. Enfin, sur le dernier morceau, “Best That I Can”, ballade lyrique et condensé des questionnements d’un couple, les conseils de vie distillés par Seth Faergolzia peuvent sans aucun doute changer la vôtre (il paraît que de nombreux fans ont quitté leur job, ont surmonté une rupture ou se sont mis à faire de la musique, convaincus par la prose empathique et libertaire du songwriter).

Si on voulait à tout prix qualifier la musique de Multibird, on pourrait se risquer à inventer le genre inédit du “hippie-country-punk”. Mais peut-être sera-t-il plus juste de parler tout simplement d’excellente musique folk(lorique) américaine moderne…

David Guérin

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