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Disques

Darren Hayman – Home Time

Album de rupture aussi gai et touchant que profond : douze chansons qui couvrent douze stations passionnelles, toutes les étapes d’une séparation.

Quand on pense à Darren Hayman, on pense à John Darnielle des Moutain Goats, à André Herman Düne/Stanley Brinks. À leur production énorme et, pour les deux premiers, à un certain penchant à s’épancher largement.
On pense notamment aux trois volumes récents consacrés aux Thankful Villages, ces 55 villages anglais qui ont vu tous leurs combattants revenir sains et saufs après la Première Guerre mondiale. Darren les a tous visités, enregistré certains témoignages, joué sur des instruments locaux, fait des collages de field recordings, écrits des chansons, en a confié certaines instrumentations à des amis. Bref, un travail titanesque consacré à des héros ordinaires.
Au contraire, lorsqu’il s’agit de parler de sa propre rupture, Darren prend son temps (trois ans), privilégie les instruments acoustiques et la forme courte. Un album frère, I Can Travel Through Time, sorti un mois auparavant comporte même 11 chansons d’une minute seulement environ.
Dans notre histoire personnelle avec Darren, on se souvient que lorsqu’on l’avait contacté il y a plus de dix ans pour lui proposer un concert en solo, il avait gentiment décliné prétextant qu’il ne voulait pas quitter son épouse hors tournée. C’est dire si cette rupture nous affecte. D’autant que si Darren renoue avec la pure efficacité du premier Hefner, on retrouve aussi notre chansonnier au cœur brisé (souvenons-nous de “The Sad Witch” ou de l’éternel “Love Will Destroy Us in the End”).

Finies les grosses guitares adolescentes, Darren fait dans les vieilles dentelles pour écumer sa peine. Sur “Curl up”, les bois délicats qui surgissent rappellent le Goths du cousin américain Darnielle, jamais trop éloignés des Hollisseries mais plus terre à terre. C’est leur côté pop…ulaire : Darren et John revendiquent leur socialisme depuis belle lurette (et même en chanson depuis “A Hymn for The Postal Service” pour Hayman).

Pas besoin d’en faire des tonnes dans la douleur, elle est là, elle suffit. “I Tried and I Tried and I Failed”. Le titre. Les paroles. En boucle.
La rupture est un ressassement, un disque rayé dont on ne peut se débarrasser (“I love You, I Miss You, Come Back”, avec des éclats de cuivres comme des gros sanglots).

Évidemment, il y a des évidences, des fulgurances (“I was thinking about you”), des actes impossibles à réaliser comme la clôture du compte joint et la tentative de prétendre que la vie continue (“The Joint Account”). Et c’est terriblement déchirant.

I took a bus and a train
Some Ibuprofen
Took the long way home
And closed the joint account

Darren s’offre même quelques chansons boiteuses et bancales (“I Want to Get Drunk”), certaines sous influence Lou Reed en voie d’affranchissement du Velvet (“Because We Were Impossible”). C’est sans doute là qu’il est le plus touchant, rapprochant le monde sans l’aimée d’un monde qu’on connaît bien, le monde d’après… la mort de Lou Reed.
D’ailleurs, on peut se demander si Darren n’est pas le fils putatif de Doug Yule, un Doug Yule qui aurait réussi à s’affranchir de l’autorité tutélaire du père en incarnant le fils adolescent éternel.

Un mot aussi sur le charmant duo de voix féminines qui accompagnent Hayman et qui rappellent les filles des Dirty Projectors, en un peu moins polies, moins arty mais plus hardies (cris de joie sur “Dinosaur Plate”).

Toute séparation ne finit pas au bout d’une corde, Home Time n’est pas Purple Mountains, Darren Hayman n’est pas David Berman. La lumière au bout du tunnel arrive avec les deux derniers titres, “A Girl That I’m Seeing” et “Wrap Yourself Around Me”. De l’intérêt d’une écriture sur trois ans… Cicatrisation, début de rémission, prudence, réapprentissage. Une vie à repriser. C’est le sens du groove gouleyant et entraînant (basse, batterie qui claque, percu de fortune) et du rythme un peu bancal des accords de piano qui essaient de suivre.

Darren Hayman est l’un des meilleurs auteurs-compositeurs d’outre-Manche. Ne le laissons pas tomber.

Avec l’aide de Johanna D, Fidelity warrior.

Curl Up
I Was Thinking About You
Because We Were Impossible
I Am the Noise
I Want To Get Drunk
I Tried and I Tried and I Failed
I Love You, I Miss You, Come Back
Dinosaur Plate
The Joint Account
Kissing a Cloud
A Girl That I’m seeing
Wrap Yourself Around Me

Home Time est sorti le 22 mai 2020 chez Fika Recordings.

2 comments
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