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Disques

Tropical Fuck Storm – Deep States

Tropical Fuck Storm. Au-delà du nom qui claque, la description drôlement parfaite d’une musique orageuse, dans laquelle on s’aventure comme dans une jungle. Sur son troisième album, la troupe menée par Gareth Liddiard – après les mythiques The Drones de 2001 à 2016 – n’a toujours pas désherbé. L’instrumentation reste touffue, les structures sinueuses, les textes denses et tortueux. Comme si les Australiens tentaient de traduire en sons et en mots le chaos dans lequel nous baignons tous, figuré également par la peinture de Joe Becker (un Jérome Bosch du XXIe siècle ?) au verso de la pochette. 

Forcément, c’est un peu éprouvant à écouter, ça demande à chaque fois un temps d’adaptation même si l’on sait désormais à quoi s’attendre. Le premier morceau, “The Greatest Story Ever Told”, nous plonge d’emblée dans un magma de guitares dissonant dont émergent un riff puissant et la voix écorchée de Liddiard, seule puis doublée par les musiciennes du groupe – ou au moins une en tout cas, possiblement Fiona Litschin, la bassiste au regard d’une intensité parfois effrayante. “Nobody listens to me anyway”, chante-t-il ironiquement en se mettant dans la peau d’un incompris, oiseau de mauvais augure à l’esprit confus.

Cette confusion, c’est sans doute le fil rouge d’un album dont les chansons évoquent en biais, ou parfois de façon plus narrative (“Reporting of a Failed Campaign”), divers faits d’actualité, noyés dans un délire paranoïaque et dystopique. Y répond un mélange de genres encore plus poussé que sur les précédents disques. “G.A.F.F.” (pour “give a fuck fatigue”) adopte ainsi une scansion proche du rap que viennent perturber divers effets sonores. Le morceau suivant, “Blue Beam Baby”, poursuit dans cette veine, rythmiques décharnées mais refrain masculin-féminin presque lyrique.

A leur manière un brin perverse, les Australien•ne•s jouent avec les sonorités contemporaines du r’n’b et de la pop dansante, à la façon des Dirty Projectors il y a quelques années dans un genre plus Brooklyn-friendly. Les douze secondes d’intro de “Bumma Sanger” ressemblent à un sample de “Toxic” de Britney Spears qu’on aurait laissé trop longtemps sur la plage arrière de la voiture en pleine canicule. Les plus de sept minutes de “The Donkey”, sorte de blues déstructuré à la Tom Waits, parabole pseudo-biblique aux motifs vaguement orientalisants, nous emmènent dans un no man’s land où l’on aurait pu définitivement se perdre.

Les quatre derniers morceaux s’avèrent heureusement (un peu) plus lumineux et mélodieux, notamment l’apaisé “New Romeo Agent” superbement chanté par la guitariste Erica Dunn – les voix féminines sont comme un baume tout au long de l’album. “Legal Ghost”, encore plus direct, montre que le groupe sait aussi tout simplement émouvoir, même s’il préfère refermer le disque sur un bref et bizarroïde (quasi-)instrumental, “The Confinement of the Quarks”. On peut alors lâcher sa machette et reprendre son souffle. La balade n’était pas vraiment de tout repos, mais ce “Deep States” abrupt, qui ne s’offre pas au premier venu, pourrait paradoxalement finir par devenir un refuge durable.

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