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Disques

My North Eye – III

Troisième album en forme d’étape ou conclusion d’une trilogie ? My North Eye prend du recul et convie quelques figures de son passé sur un instantané folk très actuel.

On fréquente la musique de Yann depuis fort longtemps, depuis les premiers Dirge. Quelques constantes : un même goût pour la plainte, son expression lyrique et populaire, une certaine fascination-répulsion pour l’histoire, des attachements qui durent même si les liens se distendent. En somme, une base immuable, mais dans une réalisation dont on apprécie les jeux d’écarts. Ce “III” vient, après des duos et des incursions dans le drone, retrouver l’apparente solitude de l’auteur-compositeur, de retour à la maison guitare-voix. Mais le voyage, fini, laisse des traces qu’on remarque sur cet album, non pas tant à la croisée des chemins que dans l’image du dormeur du début de la Recherche joignant, les bouts épars, des temps, des lieux, des sentiments et lui donnant une unité fugace.

Sur “This Machine Sings Sad Songs”, rien de nouveau pourrait-on se dire, hormis d’amples résonances, larges, chaudes. Peut-être un jeu sur des échos entre les pistes droite et gauche. Ce retour aux bases est gorgé de matières, des expériences sonores passées.

Même chose sur “Save Me” : ce sont les retours finaux d’overdubs un peu orientalisants ou médiévaux (la piste Nico, suivie intimement ces dernières années) qui donnent de l’air. On songe aussi à ce folk qui prend le large, voire la fuite, celui de Songs:Ohia pré Magnolia, le triste “Ghost Tropic” pour ne pas le nommer. Lorsque le folk rejoignait la musique expérimentale sans rien rogner sur l’une ou l’autre.

 “Jigsaw”, comme le titre précédent, est une réflexion sur les relations morcelées, les séparations. Amitié, amour ? Moi, l’autre… Les frontières sont poreuses. Comme avec le temps, forcément élastique. C’est le cas aussi dans “Flash in the Pan” que Yann nous dit avoir composé il y a quelques dizaines d’années en pensant à sa mère. Il affirme aujourd’hui qu’elle parle de lui. On veut bien le croire. C’est le propre des chansons de vivre leur propre vie. On trouve d’ailleurs que le MNE actuel avec des textes plus longs, ce me semble, ressemble aussi beaucoup à celui d’il y a vingt ans. On pense au Neil Young (à Cohen aussi) qui se sentait déjà vieil homme alors qu’il était dans la fleur de l’âge et qui, à présent, nous fait le coup du fringant jeune homme, comme si le temps n’avait plus de prise sur son être intime, ses productions, ses concerts (Dylan aussi).

 “MNE sings with Jean Ritchie” : l’époque est aux emprunts, au dialogue avec des hologrammes…. Comme avec Nico ou les minimalistes américains dans les précédents disques, c’est encore une fois non dans le sens de l’invocation de la figure tutélaire (on le sent toujours sur ses gardes avec ça) mais plutôt d’une rencontre, une conjonction, un alignement de planètes lointaines et proches à la fois. Pourquoi pas. On vit avec des fantômes parfois plus vivants pour nous que les ectoplasmes que nous fréquentons. Dans le studio, on compose avec nos figures intimes, c’est un beau duo avec une dame désormais éternelle (Jean Ritchie, 1922-2015) que la technique permet.

 “And the End (Lingers On)” est comme un écho de la rencontre avec le violoniste Mathias Asadour, lorsque Yann commençait ses infidélités au violoncelle de Dirge. C’est Tony Conrad qui s’y colle, enfin qui glisse sans le savoir.

C’est une base et un souvenir, un emprunt ponctuel et une compagnie au long cours donc. 

En même temps, comme dirait l’autre, dont on aimerait être enfin bientôt débarrassé.

“Ebb and Flow” est une trouée lumineuse. Elles sont rares. Certaines perçaient déjà dans l’incarnation finale de Dirge. On ne pensait pas les revoir. Une guitare à cordes en nylon, frottées un peu légèrement, toujours en laissant quelques traces de gratEouillages, un peu de vie. Les chansons de My North eye, bien qu’enregistrées, ne prennent jamais le caractère d’objets fixés, comme le revendique Jonathan Richman, même si j’imagine qu’il ne fait pas partie du panthéon de Yann. Et pourtant, dans leurs derniers enregistrements, les mêmes retours sur ses vieilles (toujours actuelles) chansons, les mêmes drones indiens qui viennent hanter un vrai songwriter  qui croit en son art, voire son métier.

“Södermalm” est de cet acabit-là : encore une autre vieille chanson, capsule d’un lieu et d’un temps passé sur lequel le temps semble s’être bloqué et hoquète sans cesse. Impossible de ne pas penser aux événements intimes qui ont secoué l’auteur et à ce quartier, que l’on a nous-même habité et tant aimé.

Le bourdon n’est jamais vraiment parti. Le revoilà  sur “Drink This Town”, mélancolique comme un orgue, saoulant et emportant tout dans son ivresse sonore, sa satiété, voire son trop-plein. C’est quand ça déborde de partout qu’on compose, sans doute. Pour se retrouver quand tout semble épars.

Bon… Ça ne va pas mieux donc. Oserait-on dire : tant mieux ?

Avec l’aide de Johanna D, ex-Södermalmaise.

“III” est sorti le 13 janvier 2022 et bientôt en K7 sur Equilibre Fragile.

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