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DisquesDivers

Zachary Cale et Gregory Alan Isakov, sur les traces de Dylan au cœur de l’Amérique

Présentation de deux artistes américains quadragénaires injustement méconnus en France, qui viennent de sortir leurs septièmes albums respectifs.

On peut s’étonner de la relative méconnaissance sous nos latitudes de Zachary Cale (photo ci-dessus) et de Gregory Alan Isakov. Tous deux appartiennent à la même génération : le premier est né en 1978, le second en 1979, et ils ont investi la scène musicale vers 2003-2005, au moment où le courant néo-folk américain explosait avec les disques de Will Oldham, Sufjan Stevens, Iron & Wine… Depuis, l’un et l’autre ont fait paraitre régulièrement des albums remarqués aux Etats-Unis mais le plus souvent ignorés chez nous. Skywriting, le septième album de Cale, est sorti il y a quelques jours. Evening Machines, septième album également pour Isakov, date de 2018. Après avoir tourné en première partie des Lumineers tout dernièrement, ce dernier sera en concert en Europe en octobre et novembre prochains (à Paris le 2 novembre).

Au-delà d’une proximité générationnelle et l’inscription dans un genre musical commun, Cale et Isakov entretiennent une même approche respectueuse des traditions folk, blues, country, s’inscrivant dans le sillage d’un Bob Dylan duquel ils ont pu être rapproché à plusieurs reprises.

Zachary Cale

Zachary Cale est originaire d’Enon en Louisiane. Depuis dix-sept ans, il vit à Brooklyn. En parallèle à sa production personnelle, il collabore avec d’autres musiciens new-yorkais tels que Psychic Lines ou Prudence Teacup, le groupe de sa compagne. Ses textes s’inspirent de son quotidien, évoquant de façon allusive sa vie en tournée (Miles Ahead, Miles Behind), les kilomètres parcourus de ville en ville (Page By Page), les nuits blanches dans les motels (Bigger Picture), les souvenirs personnels (Come On Easy) ou ses lectures (Cursed Spot et son évocation de Macbeth).
Lorsque nous l’avions interviewé en 2014 (avec le concours d’Aline Keutgen), il nous avait dit : « Je lis beaucoup, donc la littérature se glisse dans ma musique, de la même manière que lorsque j’écoute des disques d’autres musiciens. J’aime le son des mots, j’aime les structures narratives, mais j’aime aussi transformer les mots et leur sens. Les paroles sont importantes pour moi, même s’il semble que, de nos jours, elles ne le soient plus autant dans le monde de la pop en règle générale. Mais moi je ne peux pas interpréter une chanson si je pense que les paroles ne sont pas terribles. C’est le vrai test quand on chante en solo, je pense. » A titre d’exemple, l’allégorique Blue Moth, que l’on peut entendre sur Duskland, son précédent album, s’inspire d’un court récit (The Death of a Moth) de l’écrivaine Annie Dillard et évoque ces papillons attirés par la lumière qui pourrait leur brûler les ailes :

Catalogué depuis ses débuts comme un musicien folk, Cale se démarque néanmoins d’une stricte inscription dans le genre : « Je suis fortement influencé par toutes sortes d’anciennes musiques américaines. Quand les gens me décrivent comme chanteur folk, je pense que c’est trompeur. Oui, je joue souvent en solo de la guitare acoustique, mais ça ne signifie pas nécessairement que je joue de la musique folk. J’ai grandi en Louisiane donc j’ai entendu beaucoup de country, de blues et du jazz pendant mon enfance. En prenant de l’âge et en faisant du rock et de la musique expérimentale, j’ai réalisé que tous ces genres sont liés à cette même racine de la musique née en Amérique dans la première moitié du XXe siècle. Tout ça, c’est la même chose pour moi. Cela dépend juste de la manière dont vous la présentez. Pour moi, une bonne chanson est une bonne chanson. Ma façon de jouer de la guitare et ma voix peuvent être influencées par une époque plus ancienne, mais je ne pense pas que ce que je fais sonne comme des reprises. Beaucoup de musiciens sont comme des copies carbone de string bands folk des années 60 ou de groupes country de la vieille école. C’est comme se déguiser et vivre dans un fantasme. J’ai sans aucun doute écrit des chansons qui ressemblent à ça, mais ce sont des chansons que, généralement, je jette. Après avoir joué plusieurs années, je crois pouvoir dire que j’ai trouvé mon propre son. »

C’est notamment cet œcuménisme musical qui a conduit de nombreux critiques a évoquer Bob Dylan à l’écoute des morceaux de Cale. Ainsi, le premier single extrait de Skywriting, avec ses accents psychédéliques, son évocation de la route à parcourir, son ampleur sonore, en est l’illustration idéale :

Blue Rider en 2013, album dépouillé jusqu‘à l’os, avait été suivi par Duskland en 2016 où Cale était rejoint par de nombreux musiciens, collaborateurs réguliers de Beirut, Vetiver, Cass McCombs… Skywriting est un album à la synthèse de ces deux approches alternant compositions folk-rock électrifiée et chansons acoustiques, poursuivant le parcours inlassable du musicien à travers les paysages sonores américains.

Gregory Alan Isakov

Isakov est originaire de Johannesbourg en Afrique du Sud. En 1986, alors qu’il a sept ans, sa famille émigre en Pennsylvanie, à Philadelphie. Par la suite, après des études d’horticulture, il achète une ferme à Boulder, Colorado, où il vit aujourd’hui avec sa famille. Entre deux albums, il gère son exploitation et est ébéniste. Il y a quatre ans, un de ses titres a été popularisé par la série The Haunting of Hill House de Mike Flanagan : à la fin du dernier épisode, les fils narratifs des différents membres de la famille Crain se voient réunis au son de la chanson If I Go, I’m Goin’. La douceur mélancolique de ce morceau que l’on peut originellement entendre sur l’album This Empty Northern Hemisphere datant de 2009, s’accorde parfaitement avec l’esprit de cette belle série qui se veut moins horrifique qu’une réflexion sur le deuil et la résilience. Il y est question de ces endroits que l’on ne peut quitter et des souvenirs qui nous y attachent.

Avant de tourner avec les Lumineers, Isakov est apparu sur scène avec Patti Smith mais également avec Patty Griffin, se situant à l’exact point d’équilibre entre le folk-rock littéraire et la country. A nouveau, ce positionnement fait fortement songer à Dylan et ce n’est sans doute pas un hasard si le titre de son album de 2013, The Weatherman, fait écho aux paroles de Zimmerman : «You don’t need a weatherman to know which way the wind blows ». Isakov a d’ailleurs repris régulièrement en concert Mama, You’ve Been on My Mind. L’un et l’autre s’inspirent par ailleurs de sujets communs. Ainsi, une chanson telle que San Luis, issue d’Evening Machines, parle de ces petites villes américaines que le voyageur traverse et observe, à l’image de Dylan chantant Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again ou The Girl from the North Country.

Musiciens introspectifs, affichant leur vulnérabilité, Cale et Isakov polissent les mêmes thèmes d’album en album, partant de leurs expériences, utilisant leur érudition avec modestie. Tous deux œuvrent dans une certaine solitude artisanale, dépeignant une Amérique profonde, rurale, la solitude de ses paysages et de ses habitants. « I’ve walked and I’ve crawled on six crooked highways. I’ve stepped in the middle of seven sad forests. I’ve been out in front of a dozen dead oceans », écrivait Dylan dans A Hard Rain’s A-Gonna Fall).

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