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The Smile – A Light for Attracting Attention

En mai 2021, à l’occasion d’une session livestream organisée par le festival de Glastonbury (alors sans public), nous apprenions avec surprise l’existence du groupe The Smile, composé de Thom Yorke,  Jonny Greenwood (Radiohead), et Tom Skinner (Sons of Kemet). Le projet a donc vu le jour en période de confinement, durant lequel les deux têtes pensantes du quintette d’Oxford ont ressenti le désir de travailler des morceaux ensemble, dont d’anciennes compositions n’ayant jamais dépassé le cadre du live. La poignée de titres joués lors du « concert » à Glastonbury, aussi intime qu’énigmatique, attisera la curiosité et l’excitation des spectateurs/auditeurs dans les mois qui suivent. Et il faudra attendre un an, presque jour pour jour, pour découvrir enfin “A Light for Attracting Attention”, premier album du trio, paru chez XL Recordings.

A chaque nouveau projet emmené par un ou plusieurs membres de Radiohead, la question de la connexion sonore avec le groupe est soulevée. Balayons alors d’emblée une évidence : oui, l’âme de la formation britannique plane tout au long du disque. Cela pourrait-il en être autrement ? Non, et pour un groupe qui a passé les trois dernières décennies à se réinventer tout en conservant  une certaine singularité, c’est même inévitable. Dans sa forme, “A Light for Attracting Attention” semble emprunter à la fois l’éclectisme d’un “Hail to the Thief” (2003) et l’ambiance intimiste d’un “A Moon Shaped Pool” (2016) tout en parcourant ponctuellement l’ensemble du catalogue des Anglais. Mais définir le disque par cette brève comparaison serait terriblement réducteur et trompeur.

Il souffle ici un vent de liberté et de légèreté, dans les choix et dans l’exécution. Et il ne faut pas aller plus loin que l’hypnotique “The Same” et ce « simple-ass motherfuckers » lâché par Thom Yorke pour le comprendre. Lui et ses acolytes s’amusent et l’envie de jouer se ressent à chaque instant. La plume et le ton du chanteur ont rarement été aussi piquants, brûlants et acérés.

Dans leur plaisir, les trois artistes semblent vouloir toucher à tout. “A Light for Attracting Attention” regorge d’idées, dont le développement bien souvent magistral fait de chaque titre un moment à part tout en apportant à l’ensemble une paradoxale cohérence. Ne se fixant aucune limite, le trio puise dans son passé collectif, individuel et bien au-delà. Les aspirations synthétiques de Yorke se mêlent aux cordes cinématographiques de Greenwood dans une œuvre baignée de rock alternatif, de post-punk, d’afrobeat, et de musique électronique.
Dans sa folie créatrice, le trio n’en oublie pas le sens de l’équilibre. Et c’est Tom Skinner, véritable poumon du projet, qui l’apporte. Par son jeu puissant, précis et tentaculaire et l’époustouflante habilité avec laquelle il navigue d’un genre à un autre, il donne un souffle nouveau à la symbiose Yorke-Greenwood. Si l’alchimie entre les deux hommes fonctionnait déjà à merveille (les décennies le prouvent), Skinner semble la faciliter encore davantage. Sa présence ici est une évidence.

Les rythmes et ambiances opposés se succèdent dans une sorte de cycle. Ainsi, les moments de calme se trouvent rompues par des envolées électriques, à l’image des titres “You Will Never Work in Television Again” et “We Don’t Know What Tomorrow Brings” dont le post-punk furieux nous renvoie quelques vingt ans en arrière (“2+2=5”). On avait presque oublié a quel point c’était délectable lorsque Greenwood laissait ses rafales puissantes tout balayer dans leur sillage.

C’est entre les extrêmes, sur des titres comme “A Hairdryer”, le groovy “The Opposite” ou ce “Thin Thing” sous tension, que la complémentarité des trois hommes est la plus évidente. Skinner y trace des motifs complexes et rapides, desquels s’échappe le fausset de Yorke, accompagné par le jeu saccadé et nerveux de Greenwood. L’équilibre des forces est bluffant.

Mais c’est peut-être dans les instants de sérénité absolue que le groupe touche la grâce. Avec des titres comme “Free in the Knowledge” ou “Speech Bubbles”, The Smile envoie l’auditeur en orbite. Et celui qui fera indéfiniment tourner la tête est ce “Skrting on the Surface” céleste. Véritable morceau de nuage, il fait partie de ces anciennes compositions n’ayant jamais bénéficié de version studio. Jusqu’à présent. A l’instar de “True Love Waits” en 2016, il nous rappelle à quel point il est parfois bon d’attendre. La récompense est ici immense. Et les chanceux qui ont pu entendre ce titre (et le reste de l’album) à la Philharmonie en juin savent que l’instant était privilégié. C’est pour ma part ainsi que je me suis senti, privilégié.  

Finalement, l’intérêt du disque ne se trouve pas dans l’originalité. Rien de ce que vous pourrez entendre ici n’est fondamentalement nouveau, et même s’il n’est pas toujours facile de dire où, les sons peuvent parfois sembler familiers. Non, la beauté de ce projet réside ailleurs : dans la capacité qu’ont eue leurs auteurs de faire fusionner leurs acquis et références, parfois opposés, tout en continuant de les rendre actuels.
Ce faisant, The Smile s’apparente à une mutation de l’esthétique de Radiohead. La peau est neuve, mais les fondements demeurent. On pourrait même parler de quintessence. Alors, que ce soit une simple parenthèse musicale ou le début d’un nouveau chapitre, peu importe, car l’engouement est réel. Thom Yorke et compagnie n’ont plus rien à  prouver mais continuent pourtant à forcer l’admiration. Et si le « sourire » arboré est jaune (selon les dires de Yorke, « …the Smile of the guy who lies to you every day »), le nôtre, lui, est plus que sincère à l’écoute du disque.  

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