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Track by track – “Les Mauves” de Benoît Tranchand

Ex-moitié du duo Savon Tranchand, Benoît Tranchand sortira le 14 septembresur le label Club Teckel (du très actif bordelais Sol Hess) son premier album “Les Mauves”. Derrière ce titre, sur lequel son auteur revient ci-dessous avant de raconter chaque morceau du disque, une très belle collection de chansons, qui refusent toute effusion pour garder ce côté acéré qui en fait la force. On reste près de l’os, sur des claviers minimalistes, des rythmiques blafardes qui rappellent plutôt les rues sombres et dépeuplées que les grandes artères, et on se laisse volontiers entraîner dans ce disque qui tranche – oui… – avec la production actuelle, entre punk minimaliste et cold wave en français, pour nous laisser complètement fascinés une fois arrivés à la fin. On vous propose d’écouter ça en exclusivité, quelques jours avant la sortie officielle !

La release party bordelaise aura lieu vendredi 9 septembre à 19h30 à l’Athénée Libertaire.

Benoît Tranchand : D’abord le titre du disque, “Les Mauves”. Ce n’est pas le titre d’une chanson, il est apparu à la toute fin, pendant les mix. Il m’a plu parce qu’il contient plein de choses très différentes, autant des aspects séduisants que repoussants. C’est un son un peu mou, suggérant une couleur assez fade et pour tout dire, pas très charmante. Mais il est aussi le nom de fleurs à vertu apaisante, qui aident à la respiration, assez belles, et comme j’avais envie de dessiner des fleurs sur la pochette pour donner un côté champêtre, ça tombait bien. Ce titre me rappelait aussi celui de mon premier EP, “Rosefleur,” sorti en 2001. À l’époque, ce mot parlait des multiples cicatrices que j’ai sur la peau. Et ce qui m’a définitivement cloué sur ce choix, c’est de voir un panneau avec ces deux mots écrits surgissant du bord de la route pendant un trajet de nuit en voiture. Parce que oui, comme dit Wikipédia, « Les Mauves sont un ensemble de trois petites rivières françaises qui coulent dans le département du Loiret. »

Le disque a été enregistré comme le précédent, au Hakesound studio de Romainville, dans une grande urgence, quatre jours en tout pour les dix titres.
Benjamin Colin, musicien dans divers projet dont WuW, a apporté son regard précis et précieux, en plus de quelques arrangements additionnels.
James Plotkin, musicien états-unien ayant notamment officié dans le groupe Khanate, a masterisé l’ensemble.


Silence

Je l’ai enregistré pendant une première session, au printemps 2020, en même temps que “Ne me mange pas”. J’avais une envie urgente d’enregistrer ces deux titres, on sentait le confinement arriver… Malheureusement, ma voix était très fatiguée, au bord de la rupture. Mais on a trouvé que ça lui donnait un grain fragile et intéressant, on l’a gardée au final. C’est une vision de l’avenir assez inquiétante, que j’avais écrite en ayant en tête les images de grandes fumées chimiques comme celle de Lubrizol à Rouen en 2019. Le ciel se couvre d’un coup, les couleurs changent brutalement. Au moment de faire la tracklist, ça m’a paru une très bonne idée de mettre un titre qui parle de silence au début du disque… J’ai composé le clip à partir d’images glanées sur le net, dont certaines qui évoquent des bruits : un orchestre qui joue, des cloches, etc. Oui, j’ai fait la photo et le graphisme de la pochette, et je fais les montages des vidéos aussi…


En plein champ

Certain·es artistes ont un côté un peu « régional », on perçoit dans leur travail les paysages qui les ont entouré·es. Que serait Jean-Louis Murat sans l’Auvergne ? Chez moi, ce sont les grands champs de la Marne, en Champagne, qui reviennent régulièrement. Ils sont désespérément plats, très mornes, assez plombants. Il y a des routes qui filent tout droit pendant des dizaines de kilomètres, et ça perturbe un peu les gens de là-bas je crois. Tout est tellement ouvert que l’on peut s’y perdre. Dans ce titre, j’ai essayé de faire en sorte que la musique ouvre un paysage sonore aussi linéaire. Le texte évoque une personne qui a renversé sa voiture, ce qui est arrivé à un paquet de Marnais. Il faut maintenant marcher, elle sera coincée dans ce paysage encore plus longtemps…


Pigeon plat

Pendant une promenade dans Bordeaux, où est né l’un des labels qui me suit, Club Teckel, je me suis trouvé face à un pigeon aplati. Le genre de choses qu’on voit régulièrement en ville, mais là, ça m’a frappé. J’ai soudain vu un oiseau, et pas un nuisible qui poursuit les miettes de sandwichs. Du coup, j’ai eu envie de faire une chanson de consolation pour ce pauvre pigeon, quelque chose de tendre. Après, ça s’est transformé dans une rythmique très acide.


Ne me mange pas

Depuis que j’ai commencé à composer des morceaux en 2001, j’ai rarement sorti des chansons d’amour. Ça ne me réussit pas beaucoup, le résultat est souvent encore plus tordu que des chansons sombres. Ici, l’amour est vu comme un acte de cannibalisme, à la foi demandé et redouté. Comme je ne suis pas très doué pour les violons ronflants et délicats, j’ai empilé des éléments brutaux et distordus, qui mêlent le cri de désir au cri de peur, de façon très explosive, très agréable à jouer fort sur scène. On entend par moment des rugissements synthétiques d’animaux inconnus, que j’ai été piocher au fin fond des sons spéciaux de ma fidèle boîte à rythmes. Ma voix se voile petit à petit et s’épuise à la fin vers l’extinction, je ne pourrai sûrement jamais la rechanter de cette façon…


Personne en ligne

Comme pour “Silence”, ce morceau commence avec l’idée de traiter quelque chose de paradoxal en musique, le vide. J’avais envie de jouer avec les départs des boucles rythmiques et mélodiques, que tout puisse disparaître à son tour, que rien ne soit jamais stable. Cela crée de beaux fantômes de mélodies, qui peuvent revenir, surnager un moment, puis replonger dans l’oubli. Le texte qui est venu se coller à ce principe est une fable où internet s’est totalement vidé. Le cauchemar de beaucoup de contemporain·es… Il ne reste plus qu’une personne devant un écran qui fait de la lumière, seule.


Temps perdu

J’ai acheté il y a des années une très vieille boîte à rythmes, des années 60 je pense, qui devait fonctionner sur un orgue, et qui joue avec trois sons des danses, du tango à la valse. C’est très limité, on peut accélérer ou ralentir, parfois elle sonne un peu comme la première rythmique de Bérurier Noir, je l’adore. J’ai déjà fait des concerts très minimaux avec elle, mais je n’ai jamais réussi à la mettre sur un disque. Ce titre devait être son grand moment discographique. Je voulais jouer autour de la question du rythme, comment il démarre ou s’arrête. Mais cette vieille machine m’échappe décidément, je n’ai pas réussi à l’arranger avec autre chose, je me suis donc rabattu sur mon instrument électronique traditionnel. J’ai quand même gardé le principe des arrêts et départs de rythme et utilisé beaucoup, beaucoup de breaks.


Feux d’artifice

Pendant le confinement, à Angoulême où je vis, différents quartiers se mesuraient sous forme de feux d’artifice spontanés dans une sorte de compétition dont je ne comprenais pas les règles. Parfois, ça partait, et le ciel s’illuminait pendant quelques minutes au-dessus de tel ou tel immeuble, et ça s’éteignait tout aussi mystérieusement. J’ai raconté cette petite chose simple. Au niveau son j’avais envie d’une rythmique lourde qui serait percée par des sons aigus qui surgissent comme des fusées.


Nouveau jardin

J’ai découvert très récemment la responsabilité d’entretenir un jardin, et cela m’a beaucoup surpris. C’est une activité très violente, il faut couper, abattre, tailler, tondre, se battre avec des machins qui piquent, irritent, font éternuer, résistent. Et à la fois, il y a une grande sérénité, qui je crois vient du fait que le jardin se fout totalement ou presque de votre acharnement. Les petites plantes pénibles reviendront envahir ce que vous avez nettoyé, votre chef-d’œuvre de propreté redeviendra un chaos total dans un temps incroyablement court parfois. Je décris donc cette nature extrêmement tranquille qui peut réduire à néant tous vos efforts. Benjamin a très joliment retravaillé la structure du morceau en studio.


Je veux sortir

J’ai commencé la musique par des performances punk. Encore aujourd’hui, de temps en temps, il me faut expulser une rage. Cette réaction s’est fixée sur le fait de se sentir coincé, autant par un confinement que par le quotidien. Les sons font un mur très compact, ils se débattent brutalement, reprennent leur respiration au bord du gouffre, repartent de plus belle, renoncent. Je voulais approcher pour la voix un effet du genre de celui utilisé par Robert Smith sur “A Short Term Effect” de The Cure. C’est un delay très long qui part dans les basses, dans lequel les mots s’échappent avant de s’écraser de façon très pesante.


J’essaie tous les taxis

Depuis très longtemps, j’apprécie le travail d’Emiliano Flores. Il avait enregistré certains disques de mon ancien duo, Savon Tranchand, en ajoutant une subtilité très précieuse sur nos chansons brutes, par des directions artistiques à la prise de son et des propositions d’arrangements. Du genre à conseiller de chanter comme un zombie énergique. Il compose aussi depuis des années, et en écoutant le dernier album de son projet Sub Merci, je suis tombé amoureux d’un des morceaux, “Qui dandine”. Je lui ai demandé l’autorisation de poser des mots sur son instrumental, l’ambiance nocturne que j’y sentais a donné une promenade en spoken word, dans un Paris que j’ai longtemps habité et qui me hante encore par moments… J’aime beaucoup ce type d’apport extérieur, sur mon précédent disque je l’avais fait avec Cravan dans le titre “Finalement”. Sur des compositions très différentes de mes propres morceaux, je chante autrement, je parle d’autre chose. Les durées, les développements de timbres plus riches, m’emmènent ailleurs. Ça finit le disque sur un moment suspendu.

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