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Track by track – “Hotel Augusta” de James Eleganz

James Eleganz, alias Yann Chehu, a été le chanteur du groupe breton (entre Saint-Malo, Dinard et Rennes) Success, auquel on doit deux albums, “Social Network Junkies” en 2012 et “Love and Hate” en 2015. Une formation qui ne portait qu’à moitié bien son nom : si elle jouait devant des milliers de personnes en Asie (Inde, Chine…), elle n’a jamais réussi à se faire un vrai public en France malgré son électro-rock très efficace, son leader charismatique et son sens de l’humour affirmé. Après un ultime concert le 16 mars 2017 à Rennes, Success a tiré sa révérence et James Eleganz est parti voler de ses propres ailes.

Le premier single de son ancien groupe s’intitulait “Girl from New Orleans”, annonçant déjà le tropisme très américain de sa carrière solo. Paru en 2019, l’album “The Only One” avait carrément été enregistré dans le désert de Joshua Tree. Le nouveau, “Hotel Augusta” a été conçu à Berlin mais joue toujours sur la mythologie de la route et des grands espaces (voir le clip de “The C.C. Motel Heights”, où Eleganz marche tel un lonesome cowboy, étui de guitare à la main, dans les paysages lunaires de Lanzarote ; on pense un peu à celui de “Quelque chose de Tennessee” de Johnny, bourré de clichés US mais tourné en région parisienne).
Déjà très présent sur l’album précédent, Larry Mullins alias Toby Dammit (vieux complice d’Iggy Pop, l’une des grandes références de Yann/James, il fait aujourd’hui partie des Bad Seeds de Nick Cave), est à la direction artistique et à la batterie. Il a amené avec lui son ami Bertrand Burgalat – qu’on ne présente plus – à la basse, tandis que Geoffrey Burton (qui a lui aussi accompagné Iggy Pop, ainsi qu’Arno et Bashung) est aux guitares. Ce casting de cadors, qui n’ont rien de vulgaires requins de studio, met parfaitement en valeur la voix de velours de Yann Chehu et son songwriting solide et classique sans être référencé à l’excès.
L’auteur détaille ci-dessous les dix chansons de l’album qu’il portera bientôt sur scène, notamment le 7 novembre au Supersonic, à Paris.


Kindness in Me

« Au retour de l’enregistrement de “The Only One”, mon premier album solo, j’ai fait l’acquisition d’un orgue électrique italien des années 70 (Elka Capri 101, pour les puristes). Comme souvent, dans ces cas-là, je me suis mis à beaucoup jouer avec. Il faut prendre le verbe “jouer” dans son sens enfantin. J’ai trouvé la mélodie du refrain et construit la chanson autour.
La thématique textuelle est proche des titres de “The Only One”, les amours tristes. Très rapidement d’ailleurs, j’ai incorporé “Kindness in Me” à la setlist des concerts. La tonalité a été modifiée en studio et l’ambiance s’est assombrie. Je crois qu’elle est sortie de son carcan nick-cavien. Elle est pour moi le pont entre mes deux albums. »


The Door Is Always Open

« Lors du tournage des clips de la trilogie californienne en août 2018, je me souviens d’un trajet automobile. Nous nous rendions sur le plateau à Bombay Beach avec Catherine Siggins (l’actrice) et Larry Mullins (aka Toby Dammit). Larry est le produteur-batteur de mes deux albums. Il a mis un CD de Waylon Jennings qu’il venait d’acheter à Palm Springs. Je ne connaissais ni cette chanson, ni Waylon Jennings. J’ai pris une claque. Larry est née au Tennessee, il a été biberonné à la country music. Grâce à lui, j’ai découvert un continent musical inexploré pour moi.
Je tenais absolument à faire une reprise de country music sur ce disque, mais à ma sauce. Les paroles n’étant pas d’une grande finesse, j’ai voulu y apporter du second degré. Je suis parti d’un rythme de samba et construit l’arrangement autour.
J’ai d’ailleurs demandé à Geoffrey Burton, guitariste sur “Hotel Augusta”, de jouer légèrement ridicule. Il m’a regardé perplexe et m’a dit : “C’est bien la première fois qu’un artiste me demande ça”. »


Precious Love

« C’est ma première chanson d’amour POSITIVE. Il faut savoir quelquefois sortir de sa zone de confort.  Sur ce titre, vous trouvez ce que j’appelle un sur-refrain qui peut être chanté ad-libitum : « I’m ready for your love, your precious love ». S’il n’avait tenu qu’à moi, la chanson aurait durée toute une face de vinyle.
J’évoque la figure d’Erzulie, la divinité vaudou de la féminité, de l’amour et du désir. A l’origine, je souhaitais enregistrer l’album à la Nouvelle-Orléans. »


Paper Doll

« “Catchy”, voici exactement l’adjectif que j’avais en tête lorsque j’ai écrit “Paper Doll” à Hambourg. Je voulais un esprit garage avec un orgue qui hurle, des guitares qui bavent et un refrain imparable. Ecrire une chanson rock archétypale.
Textuellement, elle est une allégorie du rapport entre muse et créateur. Qui est le jouet de l’autre ? La réponse n’est pas si évidente. »


Stay Behind Me

« Le motif de guitare qui ouvre cette chanson a une quinzaine d’années. Success, le groupe dont j’ai été le chanteur dix années durant, n’en a jamais voulu. A cause de son côté comptine peut-être, qui n’a pas su trouver sa place dans le répertoire électro-rock de notre quatuor. Mais il est resté dans un coin de ma tête.
Je suis très reconnaissant à Larry Mullins d’avoir insisté pour accélérer le tempo. J’étais parti sur un groove funky. Le morceau en a été transcendé et les guitares frénétiques de Geoffrey Burton accentuent la violence du basculement entre la phase dépressive et la phase maniaque, le thème de la chanson étant la bipolarité. »


Loving You by Mistake

« Le second titre que j’ai écrit à Hambourg (une semaine productive) Loving You By Mistake est une transe vénéneuse proche du style Exotica.
Et sous ses airs de chanson d’amour, elle est une réflexion sur la désillusion. L’erreur de jugement n’est en fait qu’un prétexte pour signifier la perte. Le texte est ancré géographiquement à Los Angeles. Cette ville me fascine malgré tous ses défauts. Bien plus qu’une mégalopole californienne, elle est une icône pop. »


The C.C. Motel Heights

« Musicalement, j’ai clairement écrit une balade country. Je rêve qu’un jour elle soit reprise par une star de Nashville
Textuellement, je me suis aventuré dans le registre du réalisme magique. J’y pousse le mythe américain jusqu’à l’absurde biblique. Le personnage conduit une muscle car à la recherche d’un hypothétique motel. Tout en sirotant du bourbon, il percute un sanglier. La chevrolet Chevelle 1965 finit sa course au bas d’une falaise et il est happé par une baleine. L’auditeur apprend alors qu’il se prénomme Jonas. »


The Devils’ Wrath

« Je me souviens d’un ciel ocre lors d’une session de surf à Saint-Lunaire [à l’ouest de Dinard, dont il est originaire, NDLR]. Les feux de forêt au Portugal dispersaient de la poussière à des hauteurs stratosphériques et les vents du sud les poussaient jusqu’en Bretagne. Une sensation de fin du monde qui m’a inspiré une chanson apocalyptique à la Cormac McCarthy.
Mike Watt aurait dû jouer sur l’album si nous l’avions enregistré aux Etats-Unis mais crise du Covid-19 oblige, c’était impossible. Je voulais absolument qu’il y participe d’une manière ou d’une autre. Il incarne donc le diable, « He always wins ». Mike Watt est un musicien incroyable et un homme exceptionnel. Je ne le dirai jamais assez. »


Holy Grail (A Prayer)

« Elle aussi a été écrite avec l’orgue Capri 101 et de la même manière que “Kindness In Me”. D’abord la mélodie et ensuite la construction harmonique. Sa particularité, un refrain instrumental.
Ma volonté était d’écrire une prière. Je ne suis pas croyant mais l’art religieux me fascine (musiques, tableaux, icônes, etc.) et ce, quelle que soit la religion. La dévotion, l’aspiration à l’éternité peut-être. Cette quête du Graal est source de frustration, de tristesse et d’amertume. Confidence, c’est ma chanson préférée sur “Hotel Augusta”. »


Don’t Wanna Seek You

« Rien de plus compliqué que d’écrire une chanson simple. Je l’ai tenté.
Dernière de l’album, elle est également la dernière chanson à avoir été enregistrée. Larry Mullins m’a prévenu la veille de sa volonté d’enregistrer live rien que tous les deux. Je n’avais jamais enregistré de partie de guitare et encore moins un guitare-voix. Je me suis mis une pression de fou. Je pensais mettre des jours et des jours avant d’y arriver. La deuxième prise fut la bonne. Larry a enregistré le vibraphone dans un second temps et nous avons gardé les bruits de la chaise en moleskine sur laquelle j’étais assis. »


A propos des visuels du disque :

« Toutes les photos qui illustrent l’album ainsi que les photos de presse sont argentiques. J’y tenais beaucoup. L’un des problèmes du numérique est le nombre astronomique de clichés à regarder avant de choisir. Bien souvent, un traitement sur Photoshop est appliqué pour donner un grain argentique. Donc autant faire simple et utiliser de la pellicule.
J’ai trouvé Laetitia Waegel, Française vivant à Berlin, par hasard sur Instagram (pour une fois que ça sert à quelque chose). J’avais complètement flashé sur un ou deux clichés. Elle a su saisir l’ambiance du disque sans l’avoir écouté. Les séances de photos avaient lieu le soir au sortir du studio en octobre 2020, le mois de l’enregistrement.
Pour la conception de la pochette, j’ai souhaité travailler avec Pascal Blua. J’aime son travail que je qualifierais d’élégant. C’était de fait une évidence de collaborer. Il a écouté l’album, l’a aimé et, pour le paraphraser : “Pas de bonne pochette sans bonne musique”. »


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