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“Le Chewing-gum de Nina Simone” par Warren Ellis

D’un artiste aussi original et unique que Warren Ellis, Australien depuis longtemps installé dans la région parisienne, on n’attendait pas vraiment un banal recueil de souvenirs ou des considérations convenues sur la musique. De fait, “Le Chewing-gum de Nina Simone” est un ouvrage assez hybride et inclassable qui, malgré son format modeste, s’apparente à un “beau livre” (hardcover avec jaquette, papier à fort grammage, nombreuses photos). Le chewing-gum du titre, c’est celui que la célèbre chanteuse américaine (1933-2003) avait collé à son piano avant de commencer son concert, le dernier qu’elle donnerait à Londres, le 1er juillet 1999, au Meltdown Festival dont Nick Cave assurait la programmation. Et que l’auteur a récupéré subrepticement dès la performance terminée, l’enroulant dans la serviette-éponge avec laquelle Nina Simone s’était essuyé le front, glissant le tout dans un sac du disquaire Tower Records.

Warren Ellis raconte l’épisode du chewing-gum à Nick Cave dans le documentaire “20,000 Days on Earth”.

Quand, en 2019, Nick Cave se voit proposer une exposition anthologique à la bibliothèque royale de Copenhague – dont le titre “Stranger Than Kindness” reprend celui d’une de ses chansons –, il demande à son fidèle complice s’il a des objets à lui proposer. Warren Ellis pense à son vieux violon (il lui consacre un très beau chapitre), et surtout au fameux chewing-gum qu’il a pieusement conservé pendant toutes ces années. Plutôt que de simplement montrer – avec d’infinies précautions – la précieuse relique dans une vitrine, le musicien a l’idée d’en faire également réaliser par une joaillière un moulage à partir duquel pourront être fabriquées des répliques en matière précieuse, qu’il offrira tels des bijoux à ses amis.

Comme beaucoup d’entre nous, le violoniste des Dirty Three aime conserver des babioles sans valeur mais au fort pouvoir d’évocation, presque religieux. Il croit aux esprits et pense que les choses les plus banales peuvent être investies d’un pouvoir. Tel ce chewing-gum, objet a priori dérisoire, voire peu ragoûtant, devenu pour lui un véritable talisman, et qui semble captiver et même rendre meilleurs tous ceux qui l’approchent. Il écrit pourtant que « les objets que nous amassons ont surtout de la valeur pour nous-mêmes. En dehors de notre orbite personnelle, du premier cercle, ils n’ont aucune signification. Ce sont des objets spécifiques. Précieux pour nous, pas pour les autres. J’ai par exemple beaucoup de mal à jeter les chaussures qui m’ont bien servi. » Le livre est ainsi émaillé d’inventaires de boîtes, de cartons, d’attachés-cases où s’accumulent ces souvenirs d’une vie, parfois liés à des amis comme David McComb, le regretté leader des immenses Triffids.

David McComb interprète dans l’émission de Jools Holland un extrait de son unique album solo, avec Warren Ellis au violon.

A travers ce chewing-gum et d’autres reliques, Warren Ellis se raconte, dans un style simple et direct qui n’exclut pas l’humour et la poésie : son enfance (notamment une scène très étrange, qu’on peine à croire réelle, où son frère et lui voient en pleine nuit des clowns silencieux envahir le jardin de la maison familiale), ses premiers cours de violon en 1975, son départ pour l’Angleterre en 1988 et son apprentissage des airs traditionnels écossais et irlandais à Inverness, sa rencontre avec Nick Cave en 1994 et la fructueuse collaboration qui a suivi, sa découverte de Nina Simone et le fameux concert de 1999… Si l’ouvrage est à peu près chronologique, il procède aussi par association d’idées et se permet des sauts dans le temps et des ellipses. Les épisodes les plus sombres de son existence sont tout juste évoqués, et le texte apparaît avant tout comme un hommage, sincère et émouvant, à ceux qui l’ont aidé et accompagné dans son parcours. Ce que cherche d’abord à partager et transmettre Warren Ellis à travers ce livre, c’est son amour de la musique et de l’art en général : difficile de ne pas y être sensible.


Le Chewing-gum de Nina Simone, de Warren Ellis (Nina Simone’s Gum, traduit de l’anglais par Nathalie Peronny), éd. la Table Ronde, 216 p., 100 ill., 28,50 €.


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