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Claire Days et Sigur Rós, Les Nuits de Fourvière, théâtre gallo-romain, Lyon, 16 juillet 2023

En cette mi-juillet, la tournée européenne de Sigur Rós passait par Lyon. L’occasion de renouer, dans le cadre intemporel du théâtre de Fourvière, avec un groupe qu’on avait un peu délaissé ces dernières années. Précédés par la prometteuse Claire Days, les Islandais ont livré un concert best-of sans grande surprise, mais indéniablement puissant et par moments euphorisant.

Deux semaines plus tôt, Sigur Rós donnait un concert de 2h20 à la Philharmonie de Paris, accompagné par un orchestre symphonique, le London Contemporary Orchestra. On y serait bien allé si on avait eu la présence d’esprit d’acheter une place avant que ce soit complet… On se rabat donc sur Lyon, la ville de nos années étudiantes, pour un concert « normal » en extérieur (visiblement filmé par un spectateur), dans le cadre très agréable des Nuits de Fourvière : plus court (douze morceaux en… 1h45, quand même) et avec seulement les quatre musiciens du groupe. Si l’on repère quelques enfants venus avec leurs parents, la plupart des spectateurs ont l’âge d’avoir découvert les Islandais à leurs débuts, à la fin des années 90. Certains ont dû suivre leur carrière avec plus d’assiduité que nous, qui les avions un peu délaissés ces quinze dernières années sans pour autant nous en détourner complètement.

Les gradins du théâtre gallo-romain d’environ 4000 places étant complets, on se place dans la fosse, qui offre une proximité appréciable avec les musiciens, difficilement envisageable dans des festivals plus grands. A 20h30 pétantes, c’est à Claire Days que revient la tâche délicate d’ouvrir la soirée en trois petits quarts d’heure. Entourée de ses deux musiciens habituels, Cyril Billot à la basse (et occasionnellement aux claviers) et Rémy Kaprielan à la batterie, la Lyonnaise Claire Moreau, repéré il y a deux ans et demi parmi les invités de marque du CD “The Remake Series” de Cabane, et avec qui nous avions aussi enregistré une session acoustique il y a trois ans, est évidemment habituée à des salles locales un peu plus petites comme le Marché Gare.

Face à ce qui doit s’apparenter à un impressionnant mur de spectateurs, la jeune femme en pantalon garance se révèle néanmoins tout à fait à son aise et délivre avec assurance ses compositions ainsi qu’une reprise bien sentie de Fink, musicien britannique réputé avec qui elle a enregistré son album “Emotional Territory”, sorti en octobre dernier. Son folk indé à fleur de peau, chanté en anglais et riche en éclats électriques, rappelle pas mal de ses collègues (elle-même cite Feist ou Laura Marling parmi ses références), mais sa voix pleine de nuances et ses talents d’écriture en font plus qu’une simple suiveuse. En tout cas, nous avons bien envie de continuer à la suivre.

Après un changement de plateau d’une quarantaine de minutes, les quatre Sigur Rós entrent discrètement sur scène. Le groupe a connu des changements de personnel ces dernières années mais on reconnaît évidemment au centre Jón Þór Birgisson alias Jónsi, dont l’étonnante voix de tête et la guitare électrique jouée essentiellement à l’archet ont bien sûr fait la réputation de la formation. Côté gauche, Kjartan “Kjarri” Sveinsson est de retour aux claviers depuis l’an dernier après un hiatus de neuf ans. Sans un mot (Jónsi ne s’adressera au public qu’à la toute fin du concert), ils démarrent avec “Glósóli”, tiré de “Takk…”, morceau très représentatif de leur style avec sa mélodie fort belle mais difficilement sifflable sous la douche, sa structure à la fois répétitive et évolutive, loin des standards de la pop, son long crescendo qui laisse pantelant – sans que les oreilles soient trop endolories. Suit “Vaka” (ou “Untitled #1”), l’un des classiques du groupe, plus calme, qui se déploie autour de quelques notes pianotées. “Sven-g-englar”, dont l’intro séraphique déclenche quelques petits cris dans le public, s’enchaîne parfaitement.

Les Islandais ne sont peut-être pas d’immenses compositeurs au sens habituel du terme, mais comme chez Godspeed You! Black Emperor (dont ils avaient assuré la première partie en 2000), l’intérêt est ailleurs. Voilà une musique totalement immersive – les projections d’images de nature en fond de scène, volontiers magmatiques, y concourent – dans laquelle il est bon de se laisser flotter, mais qui offre suffisamment de prises et de relief pour ne jamais ressembler à un simple papier peint sonore. Entre deux moments calmes de toute splendeur, le groupe se permet ainsi des passages presque bruitistes évoquant le fracas d’une tempête en mer (ou, plus prosaïquement, le voisin du dessus qui se lance dans des travaux).

La playlist s’apparente à un possible best-of, ce dont personne ne se plaindra. Le tout nouvel album, “Átta”, n’a droit qu’à un seul extrait (qui aurait sans doute mérité l’ampleur d’une version orchestrale), tandis que quatre des huit titres de “( )” sont joués. L’album qui fit entrer le groupe dans une autre dimension malgré une démarche résolument anticommerciale : une pochette quasiment vierge, des morceaux (à l’origine) sans titre, longs voire très longs (une constante chez eux), chantés dans une langue imaginaire… La musique de Sigur Rós rencontrait alors les attentes d’un nouveau public, mais aussi des réalisateurs de films, de séries et de pubs qui en garnirent leurs bandes-son : plutôt que des repères rassurants, elle offrait un dépaysement sonore total en lien avec la fascination pour son pays d’origine – ce qui avait déjà très bien marché pour Björk.

Dans le dernier tiers du concert, Jónsi abandonne son archet et Sigur Rós se rapproche d’un rock épique, voire emphatique, heureusement plus proche de Mogwai que de Muse. Si l’on n’est pas loin parfois de la performance athlétique (on pense notamment à une note tenue très longtemps par le chanteur, au bord de l’apoplexie), difficile de rester insensible au finale euphorisant de “Festival” avec sa grosse ligne de basse, aux riffs presque hargneux de “Kreikur” et, pour terminer, au déchaînement sonore de “Popplagið”, l’une de ces compositions fleuve dont ils ont le secret. On aurait bien aimé un rappel avec, par exemple, “Samskeyti” ou le sublime “Starálfur” (certes difficile à jouer sans section de cordes), mais le groupe se contentera de saluer deux fois le public avant de quitter définitivement la scène. A défaut d’être surprenantes ou bouleversantes, ces retrouvailles au sommet (de la ville) auront été bien belles.

Photo : V.A.

Photos : Paul Bourdrel (sauf ci-dessus).
Un grand merci à Sophie Broyer et aux Nuits de Fourvière.


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