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Concerts

Codeine, La Maroquinerie, Paris, 7 septembre 2023

Second concert de Codeine à Paris, 29 ans après celui de l’Arapaho : l’occasion inespérée d’éprouver sur scène les chansons lentes et abrasives de Stephen Immerwahr, John Engle et Chris Brokaw, jouées avec une beauté toute simplement déchirante.

Les Anglais de Deathcrash ouvrent la soirée, et dès les premières notes jouées au ralenti, on s’imagine déjà en train de remonter en voiture la rivière de Ohio, au nord de Louisville, en bonne voie pour la petite ville de Utica Pike. C’est ici que l’on trouve un lac et une carrière éloignés de tout avec une pancarte, “Nagez à vos propres risques“. Will Oldham y a photographié les quatre membres de Slint pour la pochette de “Spiderland“.

La référence est peut être trop évidente, mais Deathcrash sait parfaitement se mettre à la hauteur de ses modèles. L’émotion est à fleur de peau, le chant totalement désenchanté se mue par moments en hurlements cathartiques. Les guitares naviguent entre un arpège triste et un mur de distorsion. La basse à cinq cordes joue ses petites mélodies avant de s’abattre sur nos épaules et la batterie mène les morceaux à la baguette avant de pilonner nos tympans. Les musiciens de Deathcrash ont probablement le même âge que ceux de Codeine quand ils sont passés la dernière fois à Paris. On leur souhaite d’être une déflagration lente et désespérée pour celles et ceux qui les auront vus ce soir.

Les trois musiciens de Codeine – les mêmes qu’aux débuts du groupe – entrent sur scène avec la discrétion qui sied à une formation qui n’aura jamais trop cherché à se mettre en avant. Le groupe commence par le commencement, soit “D“, premier single et morceau d’ouverture du premier album “Frigid Stars” en 1990, et dès le premier accord, lent, lourd, on ne peut que rendre les armes. On entre ici comme dans la Zone du “Stalker” de Tarkovski : un espace-temps désolé en apparence, où tout est fortement ralenti, d’une infinité de nuances de gris, mais où on se laisse flotter avec un étrange bonheur.
Tout est là, à la fois la recherche d’élévation et le poids du quotidien : « D forever, D because you’re heaven sent, D because you pay the rent ». Le chant spectral de Stephen Immerwahr s’arrête un temps avant qu’un accord de basse distordue ne vienne faire exploser cet espace glaciaire. La guitare claire et liquide de John Engle, ainsi que la batterie grave, lente, et précieuse de Chris Brokaw soutiennent le chanteur sur chaque note. Et peu de groupes auront réussi à mettre autant d’intensité dans une note.

Le reste du set sera une envolée abrasive d’une rare beauté. Du blues pour une poignée de gens, comme vient le souligner cette basse saturée jouée avec un bottleneck décharné sur “Pickup Song“. “Atmosphere“, leur reprise de Joy Division, réduit la musique du groupe de Manchester à l’essentiel. Sur “Pea”, qui suit (morceau repris en son temps par Diabologum), c’est la musique de Codeine elle-même qui est réduite à l’essentiel : Immerwahr laisse la guitare à Brokaw qui a abandonné ses fûts. « When I sea the sun, I hope it shines on me… » Il n’y a presque rien, quelques mots, quelques accords, et c’est absolument terrassant.

Le groupe quitte la scène avant de revenir très vite pour un rappel. Dont on retiendra un étrange trou de mémoire du chanteur, certes sur des paroles qu’il n’a pas écrites : celles de “Promise of Love”, reprise des obscurs MX-80 Sound, étonnamment proche de l’original qui sonnait donc comme du Codeine avec près de dix ans d’avance ! Un hommage aussi au leader du groupe Bruce Anderson, décédé l’an dernier. La chanson sera ainsi étrangement abandonnée sans que le trio y revienne. Codeine ne quittera heureusement pas la scène là-dessus, jouant encore “Cave-in” et, pour finir sur une note plus douce et moins déprimante (comme l’expliqua Stephen Immerwahr avec un brin d’ironie), le splendide “Broken-Hearted Wine”.

Ce concert inespéré de Codeine à la Maroquinerie, au fond, faisait revivre une certaine idée de la musique qu’on aurait pu croire perdue : simple, directe, honnête, et terriblement belle.

(Avec Vincent Arquillière)


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