Premier album des Ecossais depuis sept ans, et second depuis leur reformation en 2007. Sous injection électronique, un recueil inégal, un brin paresseux parfois, mais jamais déplaisant, par un groupe qui aura su vieillir dignement.
Si, il y a quarante ans, à l’époque où leurs concerts d’un quart d’heure noyés dans le feedback se terminaient parfois en émeute, une voyante avait prédit aux frères Reid : 1°) qu’ils feraient toujours de la musique aujourd’hui ; 2°) qu’ils sortiraient un nouveau disque ; 3°) qu’ils joueraient dans des salles pleines (le concert du 13 avril à l’Elysée-Montmartre est complet), interprétant parfois d’anciens albums du début à la fin ;
4°) qu’ils seraient considérés par toute une génération de musiciens comme une référence, ils auraient sans doute ricané. Ou peut-être pas… Jim et William ont souvent raconté combien le projet du groupe avait été longuement mûri, « pour transcender l’ennui de leur quotidien » (1) ; leur carrière n’était sans doute pas planifiée sur plusieurs décennies, mais ils avaient bien l’intention de faire davantage qu’un rapide tour de piste avant de retourner à l’usine ou au chômage.
Et puis, en 1984, l’idée de continuer à faire de la musique de jeunes une fois devenu sexagénaire aurait paru absurde, puisque les pionniers du rock’n’roll n’avaient pas encore atteint cet âge vénérable. Aujourd’hui, c’est monnaie courante. Et voici donc, sept ans après le rapiécé “Damage and Joy”, un vrai nouvel album, “Glasgow Eyes”, enregistré dans le studio de Mogwai, avec évidemment aussi peu d’enjeu que le précédent : on se doute que personne ne l’attendait avec autant d’excitation que “Darklands” ou “Automatic”.
Les JAMC promettaient un peu de neuf, sans pour autant trahir leur style habituel. Cette nouveauté réside principalement dans l’utilisation par ces fans de Suicide, sur la plupart des douze morceaux, de sonorités électroniques qui vont au-delà de la boîte à rythmes déjà employée par le passé. Si les frangins ne sont pas allés jusqu’à enregistrer un album d’electro-pop, les synthés (grésillants) font souvent jeu égal avec les guitares (saturées). Ce changement de perspective aurait pu renouveler leur songwriting et les faire dévier des sempiternels mêmes accords, mais c’est plutôt l’inverse qui se produit. Leur veine la plus mélodieuse, qui offrait les meilleurs moments de “Damage and Joy”, est ici en grande partie abandonnée au profit de compositions rectilignes, le “Venal Joy” introductif annonçant la couleur. Un peu plus loin, “jamcod” (pour “Jesus and Mary Chain overdose”, on suppose) reprend la même formule, avec un peu plus d’implication, sans doute parce que les paroles reviennent sur le fameux split du groupe en plein concert, au House of Blues de Los Angeles en 1998. La déclinaison la plus convaincante de cette écriture monocorde reste “Silver Strings”, au son beaucoup plus clair. Le morceau rappelle une certaine new wave, tout comme “Mediterranean X Film” (avec un possible emprunt du thème d’“Amicalement vôtre” par John Barry) ou “Discotheque”. Pas inoubliable mais plaisant.
Quand l’inspiration est défaillante, les Ecossais peuvent toujours compter sur leur indéniable savoir-faire pour emporter le morceau. “American Born” et “The Eagles and the Beatles” finissent ainsi par accrocher l’oreille après quelques écoutes, même si le très lancinant “Pure Poor” a plus de mal. Ce qui rend finalement touchant cet album sans génie, c’est qu’il donne l’impression – qui sera éventuellement démentie par la suite – qu’il a été conçu comme le dernier du groupe et qu’il clôt dans un relatif apaisement son histoire tumultueuse. Qui elle-même s’inscrit dans une histoire plus grande : si Jim et William ont toujours fait des disques de fans de rock, celui-ci en rajoute dans le name dropping et les citations : le célèbre gimmick de batterie de “Be My Baby” des Ronettes, déjà utilisé sur “Just Like Honey”, revient sur “Chemical Animal”, et la dernière chanson, un curieux hommage au Velvet, est carrément intitulée “Hey Lou Reid”…
Dans ce qu’on peut considérer comme le sommet du disque, le lumineux “Second of June”, Jim chante, avec une candeur touchante, d’une voix soudain moins traînante, « Brother, can you hear me calling you? ». Retour à l’essentiel, les liens du sang, la chambre d’East Kilbride où les deux frères adolescents fomentaient leur petite révolution. Il n’est pas interdit d’être ému.
(1) Ainsi que le raconte Zoë Howe dans sa biographie (non traduite) du groupe, “Barbed Wire Kisses”.