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Gaylor Olivier – Interview

GAYLOR OLIVIER

Gaylor Olivier n’a que 27 ans, mais son expérience dans le cercle (trop fermé à son goût) d’une certaine scène indépendante semble celle d’un vétéran, la fraîcheur en plus. Chroniqueur pour des fanzines, webzines, ou émissions de radio (en vrac, VF, Pinkushion, ADA, ou encore POPnews, eh oui), organisateur de concerts, manager de Innocent X, il s’occupe désormais en priorité du label debruit&desilence. Ou comment quelques années de défrichage, beaucoup de passion, de la ténacité, et une certaine vision de l’état de la production actelle, peuvent mener à un projet certes solitaire, mais qui propose l’ouverture comme prolégomène à d’enrichissantes découvertes.

Interviewé par mail, Gaylor revient en détail sur ses rencontres et expériences, et nous propose en prime un tour d’horizon de ses poulains.

 

Peux-tu nous expliquer de quoi est parti le projet debruit&desilence ?

D’un verre de Morgon de trop, tard dans la nuit, sûrement… Je ne sais plus vraiment comment est né ce projet. Beaucoup d’événements et de rencontres ont dû contribuer à son émergence. Initialement, debruit&desilence a été créé pour héberger Innocent X, trio électrique dont je suis le manager, et À Moi. Le contrat qui liait Innocent X à Label Bleu/Bleu Electric étant arrivé à son terme et À Moi, le projet des deux guitaristes de ce trio, ne trouvant pas de label, j’avais deux options : soit démarcher et trouver un label pour Innocent X et À Moi, soit en créer un pour héberger ces projets et d’autres qui me tenaient à cœur. J’ai choisi la deuxième option. Par facilité et parce qu’elle m’offrait une liberté que je ne retrouverai jamais ailleurs. debruit&desilence, c’est une zone libre, un espace de liberté totale pour moi comme pour les artistes qui en font partie. J’envisage cette structure comme un collectif, il y a une notion très forte de famille, de nébuleuse derrière. Les sublimes Louisville sont arrivés par la suite…

Il y avait aussi l’envie/le besoin de marquer un territoire tant sonore qu’esthétique au sens large, d’investir des positions que je considère laissées à l’abandon en terme de ton, d’humeur, de son, de démarche. Faire brûler le napalm, bannir le compromis. Pour le packaging de nos disques par exemple, nous collaborons avec Kamarade dans la région lyonnaise qui fait de très beaux packagings en carton. C’était important pour nous, ainsi que pour les groupes que nous hébergeons, de sortir de beaux objets. Et avec Martial de Kamarade on se retrouve parfaitement là-dessus. En plus c’est un vrai fan de musique qui s’implique vraiment dans ce qu’il fait. Il n’est pas là juste pour te faire ton digisleeve et encaisser son chèque. Parler du groupe Magazine avec le mec qui fabrique ton disque, je trouve cela assez merveilleux. Et nécessaire d’une certaine façon.

Gaylor Olivier

Est-ce un simple label ou as-tu des ambitions plus larges, notamment sur le Net, ou d’organisation de concerts ?

debruit&desilence est avant tout un label mais ce n’est pas que cela. Cette structure englobe également de la promotion, de la distribution, du booking et organise des concerts. Ces différentes activités se sont greffées à l’aspect label après réflexions sur la situation actuelle de "l’industrie musicale" en France.

Il me semblait, et me semble toujours, pertinent de s’autodistribuer aujourd’hui plutôt que de confier cette tâche à un distributeur externe étant donné notamment que le nombre de disquaires indépendants s’amenuise et que les choix des chaînes de grande distribution «culturelle» sont à la réduction de l’espace dédié aux disques. Nous ne distribuons pas nos disques à la Fnac ou chez Virgin Megastore. C’est un choix. Et une volonté. Je préfère soutenir de vrais passionnés comme par exemple Transat Shop à Poitiers ou Lollipop Music à Marseille plutôt qu’une enseigne qui supprime un à un ses rayons musique et n’agite rien depuis bien longtemps. Et puis, quitte à distribuer nous-mêmes nos disques, j’ai pensé qu’il était aussi intéressant de distribuer ceux des autres de la même occasion, de tous ces labels qui n’ont pas de distribution en France actuellement.

Nous faisons nous-mêmes la promotion de nos disques, aidés sur certains projets par des collaborateurs extérieurs. Pour le EP d’À Moi, on travaille avec la merveilleuse Virginie Pargny par exemple. D’abord parce qu’elle fait du très bon boulot et ensuite parce qu’humainement on est sur le même territoire. Celui de l’affectif, on ne travaille que sur des projets que l’on aime. Nos plus fidèles alliés sont les webzines. Peut-être à cause de mon passé de webzineux et de l’autonomie financière qu’ils ont. Pour moi, la "vraie" presse se trouve sur internet actuellement. La presse papier a un mode de fonctionnement qui fait qu’elle est dans un jugement critique faussé en permanence par les annonceurs. Il leur faut vendre de l’encart pub pour survivre, plier l’échine toujours un peu plus quitte à en oublier d’être élégant. Le système fonctionne comme cela. Je ne leur en veux pas, je les comprends. Après la question est : jusqu’où accepte-t-on de se prostituer…?

Le booking vient, lui, du manque de "rentabilité" des projets que nous défendons pour les tourneurs. Nous devons le faire seul car, même si l’artistique est reconnu, la frilosité ronge. C’est la même chose vis-à-vis de l’organisation de concerts. Nous sommes obligés de nous substituer aux programmateurs des salles parisiennes si nous voulons voir les groupes que nous aimons jouer, tout simplement. La majorité des salles parisiennes ne fonctionne plus qu’en location, plus rentable, et a totalement délaissé le champ de la découverte. Sur ce territoire-là, on est plus dans la vente de bière que dans l’artistique aujourd’hui. Il faut remplir, vendre du ticket et de la mousse souvent infecte à 4 €. Tu te retrouves donc souvent avec des phrases comme "j’ai été super déçu du nombre d’entrées vendues au concert." Les comptables ont pris place. Ce n’est donc pas un hasard si la mode est aux annulations de concert pour défaut de préventes. Les choix de programmation ne sont même plus assumés…

Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas : Ali Fib Gigs, @mnezik, Boss Kitty, Touch[é], Kliton, Madame Macario, les membres du forum Rock Post à Paris, Yamoy à Nantes, Monolithe à Nancy, les assos qui programment au Sonic à Lyon (et qui sont actuellement en procès pour affichage illégal sur voie publique – amis Lyonnais déplacez vous pour soutenir ces petits soldats ! ), etc. Nous œuvrons tous dans le même sens : faire jouer des groupes dont personne ne veut car inconnus ou trop risqués en terme de rentabilité. Et ces structures-là sont le plus souvent do it yourself, bénévoles et sans subventions… Les subventions de toute façon servent à payer les tête d’affiches, non à faire de la découverte.

On arrive dans une ère où le live devient très compliqué en France, surtout pour les musiques électrifiées. Et la politique actuelle enfonce un peu plus le clou, sur l’administratif, sur les nuisances sonores, etc. Zëro qui joue au Divan du monde avec un limiteur à 92 décibels, cela n’a aucun sens pour moi. C’est un vrai problème dont peu de personnes parlent d’ailleurs. Il y a cette illusion en France que le live se porte bien, que si les gens n’achètent plus de disques, ils vont au moins aux concerts. Mais c’est faux. Il suffit de voir le nombre de dates de concerts que peut faire un groupe en Allemagne, en Italie, ou même en Belgique pour se rendre compte qu’il y a une vraie décadence en France à ce niveau-là. Ce n’est pas un hasard si les concerts en appartement type 7ème Ciel ou les concerts à emporter de la Blogothèque se développent… Il y a des alternatives à trouver.

Une de nos ambitions, à long terme, serait donc de proposer un lieu à Paris qui regrouperait un bar, une salle de concert de 100 /150 places et un disquaire. debruit&desilence est une utopie. Définitivement.

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