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New Order – Power, Corruption & Lies

NEW ORDER – Power, Corruption & Lies
(London Records) [site] – acheter ce disque

NEW ORDER - Power, Corruption & Lies"Blue Monday" fut, pour New Order, autant une malédiction qu’une bénédiction. Il s’agit du titre les ayant rendus célèbres autant qu’une étape décisive dans la phase d’apprentissage du groupe. Toutefois, le fait qu’un grand nombre de groupes utilise aujourd’hui des synthétiseurs et des batteries électroniques, jusqu’à l’écoeurement, tend à voiler à quel point ce titre était radical à l’époque de sa sortie. C’était le son d’une formation décidant en toute conscience d’ingérer les nouveaux outils des pionniers du dance-floor et de laisser quelque peu de côté les magnifiques et lugubres morceaux à guitares de leurs débuts.

"Blue Monday" fut d’une évidente manière le précurseur de "Power, Corruption & Lies", album presque parfait sorti en 1983 et remasterisé pour son ving-cinquième anniversaire, avec en bonus un second disque incluant une petite dizaine de singles dont les grandioses "Thieves Like Us" et "Murder". "Movement", premier disque du groupe, semblait avant tout une tentative pour élargir la palette sonore de Joy Division ; "Power" est celui qui leur donne l’occasion d’expérimenter, de définitivement s’affranchir de l’emprise de Ian Curtis et d’un héritage restrictif. Certaines chansons pourraient passer pour une brillante synthèse de ces deux tendances, comme "Age of Consent", dont les claviers glacés rappellent ceux de "Closer", mais la plupart reflètent l’ambition d’embrasser la dance music et d’exploiter toutes ses possibilités sonores et rythmiques, le tout parvenant avec bonheur à prendre le contre-pied de "concurrents" de l’époque, notamment The Cure. Car si "Power" est bel et bien un disque assez sombre, il ne s’agit pas de la même noirceur qu’un "Faith" ou d’un "Pornography". Beaucoup plus ludique, "Power" rétablit la vérité d’artistes que l’on a tendance à caser trop facilement dans un tiroir qui ne leur correspond qu’en partie et dont on néglige le lyrisme. Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à écouter soigneusement "Leave Me Alone", élevé à une hauteur stratosphérique par le chant bouleversant et l’immense grille de guitare de Bernard Summer (et quel texte, bon sang !).

Le son, toujours aussi rafraîchissant et dynamique, doit énormément au talent du batteur Stephen Morris, dont le jeu précis et primal faisait déjà des ravages avec Joy Division, et qui, dans le cadre de New Order, officie avant tout comme programmeur. Spécialisé dans la construction de textures et de beats froids et organiques se glissant perversement sous les couches de synthétiseurs, son travail s’avère décisif sur nombre de chansons, notamment "The Village", sorte de réécriture de "Blue Monday" en ballade pour amoureux, "Your Silent Face", livrant l’auditeur à la contemplation avec des claviers sonnant comme des trompettes sur un beat des plus accrocheurs, ou "5 8 6", débutant comme une pièce de Weather Report avant d’exploser à la faveur d’un irrésistible tempo bien plus coloré qu’on pourrait le croire à première écoute… "Ecstasy" et "Ultraviolence", hommages vibrants à la musique de club new yorkaise (Liquid Liquid, Defunkt, ESG, entre autres formations, que l’on peut retrouver sur l’excellente compilation New York Noise publiée en 2003 chez Soul Jazz) qu’écoutait le groupe lors de l’enregistrement de l’album, sont de véritables pièces d’orfèvres hypnotiques : chants se répétant sous un mix hyper-groovy pour le premier, une obsédante voix de robot déclamant d’inintelligibles mots accompagnée d’un superbe rythme élastique digérant autant le jazz-rock fusion des années 70 que l’électronica de Kraftwerk.

New Order va encore faire mieux dans le genre par la suite, mais "Power" est certainement leur album le plus fondamental, peut-être leur meilleur par ailleurs, en tout cas celui qui les lance sur une piste plus ou moins vierge, sur laquelle ils se donneront ensuite sans compter, avec un gigantesque panache. On ne dira jamais à quel point les groupes des années 2000 sont tributaires, parfois sans en avoir conscience, d’un album pourtant quelque peu oublié.

Julian Flacelière

A lire également, sur New Order :
la chronique de « Retro » (2003)
la chronique de « Get Ready » (2001)
la chronique de "Movement" (1981)

Age of Consent
We All Stand
The Village
586
Your Silent Face
Ultraviolence
Ecstasy
Leave Me Alone

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