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Interviews

Stranded Horse – Interview (1re partie)

Il avait prévenu d’emblée : « Je suis bavard, et ça a tendance à partir un peu dans tous les sens. » Pas de problème, on n’était pas spécialement pressé – et on publiera l’interview en deux parties. Dans un café façon Berlin ou Brooklyn du 18e arrondissement, entre les métros Marcadet-Poissonniers et Marx-Dormoy, soit pas très loin de l’endroit où il a habité avant de fuir la capitale, Yann Tambour ne se fait pas prier pour parler avec force circonvolutions de Stranded Horse (précédemment Thee, Stranded Horse), le nom sous lequel il sort parcimonieusement des disques depuis une petite dizaine d’années. Une formation à géométrie variable, fondée sur la magnifique alliance de la guitare acoustique et de la kora, et à laquelle s’agrègent selon les disques et les rencontres des musiciens français ou africains (dakarois, essentiellement). Sur “Luxe”, nouvel album sorti comme les disques précédents par le label bordelais Talitres, la palette s’est encore élargie, riche de toutes les nuances d’une sorte de folk sans patrie. Une alchimie qu’on pourra goûter en live et en formation sextette le jeudi 11 février au Centquatre, à Paris.

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La découverte de la kora
« Dans notre bled natal, l’un de mes meilleurs amis, dont je suis resté très proche, m’avait traîné à un concert de musique mandingue. J’avais beaucoup aimé l’atmosphère qui s’en dégageait, et le son de le kora que j’ai tenté d’apprivoiser après cette découverte. J’étais déjà habitué à la guitare classique et il me semblait que ça pouvait se greffer dessus. J’ai fini par trouver une kora et j’ai appris à en jouer à ma manière, seul. Parallèlement, je suis revenu à la guitare classique, acoustique, qui est mon instrument d’origine. Donc Stranded Horse, au départ, ce sont ces deux instruments à parts égales. »

Diatonique et chromatique
« La kora est un instrument diatonique, alors que la guitare est un instrument chromatique. La kora ne peut jouer que dans une gamme, et en changer nécessite de longs accordages. Quand je faisais des concerts avec Boubacar Cissokho, je jouais parfois des morceaux solo où je m’accompagnais à la guitare pendant qu’il réaccordait sa kora, un peu à l’écart pour que le son ne se mêle pas à ce que j’étais en train de jouer. Ça pouvait être assez fastidieux, d’où l’idée d’utiliser des koras pouvant changer facilement de gamme. Je fabrique moi-même celles sur lesquelles je joue. Récemment, on s’est un peu partagé le boulot avec Bouba. Lui s’occupe plutôt des caisses, de tendre la peau selon une technique traditionnelle que je ne maîtrise pas trop. De mon côté, je me suis mis à développer les manches, et j’ai conçu pour tous les deux un manche chromatique. Il y a des leviers de harpe qui, quand on les actionne, permettent de changer de gamme d’un morceau à l’autre, ou même pendant un morceau. Avant, j’avais deux koras avec deux accordages différents, maintenant je n’en ai plus qu’une seule. »

Un instrument à part
« La kora a un son d’une noblesse et d’une profondeur folles. Il y a quelque chose de magique et d’imperceptible, qui t’échappe, dans la façon dont elle sonne. On peut être assez mystique sur cette question, et Bouba l’est beaucoup. »

De Encre à Stranded Horse
« Avec Stranded Horse, je voulais repartir en sens inverse, en quelque sorte. Avec Encre, j’avais paramétré les choses de façon difficilement gérable, en fait. J’enregistrais des albums en solo, à la production assez chiadée, avec beaucoup de samples. Je travaillais son par son… En live, j’étais à la recherche d’un jeu collectif, quitte à oser une réécriture complète des morceaux. Cela apportait un certaine énergie sur scène, mais cela demandait un investissement important des musiciens alors qu’à la base c’était des morceaux que j’avais écrits seul. Il y avait une telle différence du disque au live que ça pouvait dérouter.
En fait, j’aurais dû commencer à me produire seul, en étoffant éventuellement la formation au gré des rencontres, de façon flexible. Je me suis trouvé tributaire du line-up, d’une structure un peu lourde avec des gens qui n’avaient pas les mêmes priorités que moi. D’une part, ça me privait de pas mal d’opportunités. D’autre part, quand on a commencé le groupe, on n’avait pas touché d’instruments depuis assez longtemps, et les premiers concerts de Encre ont été assez calamiteux ! (rires) Les idées étaient là, mais on n’était pas super rodés. La cohésion et l’énergie collective sont arrivées petit à petit et le résultat était nettement plus satisfaisant, mais entre-temps on avait grillé quelques cartouches à un moment où il y avait une certaine attente vis-à-vis du groupe.
Du coup, j’ai voulu procéder de manière différente cette fois-ci en faisant quelque chose de nouveau, et de très lisible à la fois en live et sur disque. C’est la problématique inverse, je mets d’abord les morceaux à l’épreuve de la scène avant qu’ils arrivent sur l’album. D’un point de vue plus terre-à-terre, le fait d’être en solo, ou en tout cas d’évoluer à une plus petite échelle, m’a permis de m’insérer plus facilement dans des tournées internationales en compagnie d’amis à moi ou de connaissances. Ça m’a permis aussi d’en vivre plus facilement. Avec Encre, je cumulais le fait de vivre à Paris (dont je suis parti en 2005), et celui d’avoir un projet ambitieux avec beaucoup de monde : c’était difficile de tenir la barre et à un moment j’en ai eu marre.
Le line-up de Stranded Horse évolue, aujourd’hui ça peut représenter cinq ou six musiciens sur scène. Je crois que c’est le bon moment pour le faire, avant ça aurait été plus compliqué. »

Rupture ou continuité ?
« Pour les gens qui connaissaient Encre, le son de Stranded Horse leur est apparu comme quelque chose de très différent. En fait, ce n’est pas tout à fait le cas, car j’ai toujours enregistré des morceaux à la guitare acoustique, un peu arpégés. On en trouve quelque-uns sur des compilations, des singles… “Toumani Diabaté”, par exemple, est une sorte d’hommage à la kora, mais joué à la guitare car je n’étais pas encore passé à cet autre instrument. Certains devaient d’ailleurs figurer sur le premier album de Encre, mais j’avais fini par les laisser de côté, pour développer une esthétique plus monolithique. »

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Connexions africaines
« La palette du nouvel album me semble un peu plus large, ce qui est dû à plusieurs facteurs. Déjà, à mes goûts qui évoluent. Bon, ce n’est pas très nouveau, mais ça se retrouve toujours un peu à retardement dans ses propres productions. Certaines figures imposées m’ont aussi servi de tremplin vers un ailleurs qui me travaillait pas mal. Notamment le fait de jouer avec Ballaké Sissoko en 2008, lors d’un festival à Dijon. C’est un travail que je souhaitais poursuivre, mais pour des raisons de disponibilités, de priorités, c’était compliqué. On n’était pas au même stade de nos vies et de nos carrières : Ballaké fait de la musique depuis beaucoup plus longtemps que moi, il collabore avec Vincent Segal, sort des albums solo, etc. Même s’il était très enthousiaste, je sentais que ça risquait de tomber un peu aux oubliettes.
J’avais quand même envie de continuer dans cette voie-là, et on m’a proposé deux résidences, l’une à Bamako et l’autre à Dakar. Malheureusement, la première a été annulée à cause des événements qui ont eu lieu au Mali juste avant, mais je suis allé à Dakar, avec quelques idées que j’ai pu développer avec des musiciens sur place. Deux morceaux de ces sessions sont sorties en 45-tours en 2012. Une autre partie a été utilisée sur l’album “Luxe”. Je suis retourné là-bas une deuxième fois, et une bonne partie des nouveaux morceaux, ou en tout cas les bases, sont issues de ces sessions.
Une autre figure imposée vient de la proposition de résidence que j’ai reçue du Théâtre national de Toulouse, qui voulait nous faire jouer dans un line-up plus étoffé. Ça m’a permis de faire venir Boubacar Cissokho, que j’avais rencontré à Dakar et qui n’avait jamais mis les pieds en Europe. C’est ce que je cherchais là-bas : des musiciens qui n’avaient pas encore d’engagements trop avancés avec des labels européens, qui n’étaient pas trop formatés. Boubacar était très avide de nouveauté, très curieux, il s’adaptait très vite à des musiques qui ne lui étaient pas forcément familières. Une belle rencontre. »

Intersections de cordes
« Le Théâtre de Toulouse m’avait d’abord proposé de jouer avec un orchestre symphonique. C’est quelque chose que j’aimerais tenter un jour, d’ailleurs on me l’a de nouveau proposé depuis mais ça n’a pas pu se faire. Là, c’était encore un peu tôt. J’ai rencontré Carla Pallone de Mansfield.TYA qui m’a présenté Christelle Lassort. De mon côté, j’avais envie depuis longtemps de travailler avec Gaspar Claus, ce que le label Murailles Music m’avait aussi suggéré. Je leur ai donc demandé de constituer un trio de cordes, deux violons et un violoncelle, pour cette résidence. Comme ça a bien fonctionné, ils ont eu envie de poursuivre l’aventure de leur côté en trio, sous le nom de Vacarme. »

La pop et la chanson
« Ça fait pas mal de temps que j’écoute des choses assez pop, anglo-saxonnes. Pourtant, pendant très longtemps c’est quelque chose que je n’ai pas supporté. Adolescent, et même après, je n’en écoutais pas. C’est vrai que sur le nouvel album, il y a quelques morceaux comme “Ode to Scabies” dont l’écriture peut s’y apparenter. En revanche, j’ai toujours aimé la chanson française et c’est quelque chose vers quoi je voulais aller sur “Luxe”, pour élargir encore les perspectives. D’où la participation, essentielle, d’Eloïse Decazes de Arlt. Dans les classiques, je suis un grand fan de Ferré, Brel, Aznavour… Je vénère Brigitte Fontaine et Areski, et bien d’autres. Avec Encre, il y avait déjà beaucoup de textes en français, même si ce n’était pas de la chanson à proprement parler. Chez Stranded Horse, c’était plutôt relégué au second plan. Là, après avoir poussé d’un côté puis de l’autre, j’avais envie sur ce nouvel album d’un équilibre, je voulais être à la croisée de tout ce qui m’intéresse, à la fois le passé et de nouvelles directions dans lesquelles je voulais aller. Plutôt que de chercher une unité un peu monolithique, j’avais plus envie de me laisser surprendre par les opportunités, quitte à faire une sorte de patchwork. De toute façon, la cohérence de l’ensemble, on finit toujours par la trouver, ne serait-ce que parce qu’on est l’auteur de tous les morceaux. Il y a forcément un fil conducteur. »

(A suivre)

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