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Concerts

Elvis Costello à Göta Lejon, Stockholm le 22 février 2017

Mes idoles ont varié avec l’âge et les goûts mais je suis toujours resté fidèle à Elvis. Costello, hein pas le King de Memphis. C’est une dette d’adolescence que je dois à Philippe Manœuvre, encore lui, toujours lui. J’aime les premiers albums d’Elvis à la folie mais celui dont je ne me séparerai jamais, c’est « This Year’s Model ». Les Attractions sont à leur meilleur et la production hyper sèche de Nick Lowe fait des merveilles : chacun est à sa place pour le bien de tous. Ce disque est puissant, hargneux, acide, fin, punk sans le cirque et les épingles. C’est grand, grand, grand.

Je n’ai jamais eu l’espoir de voir Costello en France et sa précédente hallucinante tournée en Suède (il tournait alors sans setlist mais avec une roue de loterie qui choisissait ses titres) avait été annulée pour cause de maladie.

 

 

Et puis, à l’automne dernier, ce fut le retour : trois, quatre affiches posées sur les murs de Stockholm un week-end et une mise en vente le lundi suivant, soldée en une heure de temps ! Vincent Arquilière m’avait prévenu qu’avec Elvis, les choses allaient vite. Ce n’est pas en compagnie de la famille Assayas ni de l’expert Gorin que j’allais applaudir mon idole de jeunesse mais avec celle qui est plus « My aim is true »…

Première impression : je ne verrai certainement jamais les Rolling Stones (désolé Philippe, sur ce chapitre, on est irréconciliables) mais je baigne pour la première fois dans ce vieux jus de fans, ici de New Wave, ridés et gras, et surtout passés de l’autre côté. Comme Elvis d’ailleurs.

C’est enfin l’occasion de pénétrer dans ce Göta Lejon aux mille et quelques places, qui fait relâche de son adaptation pour la scène de « Bullets over Broadway » de Woody Allen pour laisser la place à l’autre bigleux, dont les lunettes ont aussi fait la renommée.

 

Elvis joue la carte du passé, fait les choses en grand et a disposé sur une scène encombrée de guitares, piano à queue et divers accessoires (mégaphone, haute chaise colorée) une gigantesque télé en carton type année 60 qui diffuse les clips du dit Elvis, nous permettant de nous remémorer tous les avatars et déguisements de Mr Mc Manus (j’avais oublié la période hippie à cheveux longs et barbe crasseuse avec orchestre de bimbo intello preppy, mi-gourdasses mi-bombasses, le même genre que Jens Lekman embauchera plus tard pour ses tournées).

 

 

Il débarque à l’heure, lumières éteintes pour jouer « (Wait ’till) The end of the World » à l’électrique saturée de réverb et à fond la caisse. On m’avait prévenu.

Je m’attendais à un récital pour pépères et mémères, mais Elvis joue avec la fée électricité et si c’est fort louable, on ne peut que regretter d’entendre sa voix surboostée essentiellement via les enceintes.

La lumière se rallume et on découvre le physique de Costello version 2017, mélange de Jean-Luc Godard et de la caricature fruitière de Louis Philippe… au niveau du bassin. Ce qui ne serait pas grave si Elvis ne tortillait pas du popotin sans cesse et sans aucune vergogne. Comment fait Diana Krall ?

En fait Elvis en fait volontairement des tonnes, cabotine à tout va et conduit son show comme un stand-up amerloque, alternant improvisation en roue libre et blagues pas très bien senties, un peu trop écrites dirons-nous. Que je sois maudit sur dix générations d’oser me moquer, un peu, de l’un des plus grands songwriters que la terre ait porté, et surtout de mon idole.

Cela dit, il enchaîne les tubes : « Everyday I write the book », « Almost blue au piano », « Accidents will happen » à la guitare folk avec une voix traînante, un poil affectée et usée (superbe marque de fabrique, entendons-nous bien), toujours un peu en retard sur la musique, ce qui crée un décalage bien senti, un équilibre précaire qui nous fait un peu trembler mais nous tient très attentif tant tout semble vraiment casse gueule. Pourtant Elvis agile comme un vieux matou roublard retombe toujours sur ses pattes au moment du refrain et ne pète pas sa voix au bord de la fêlure au moment des « I Know » finaux. La classe.

Tout le show fonctionne sur le même principe de l’écriture ré-improvisée. Elvis est un vieux camelot rompu à toutes les manœuvres : il emprunte mille Detour(s du nom de sa tournée) pour nous refaire sa biographie musicale. Ça tombe bien, le stand de marchandises est bien pourvu d’exemplaires de ses mémoires parus en 2015, « Unfaithful Music & Disapearing Ink » accompagnés de l’inévitable compilation, dédicacée ou non. D’ailleurs elle est bien bonne parce qu’elle nous donne envie de nous replonger dans la pantagruélique carrière d’Elvis et de combler nos lacunes, genre écouter, eh oui pourquoi pas ?, cette collaboration avec… The Roots.  L’évocation des différentes années permet de diffuser des images sur l’énorme télé et de rompre sans cesse l’illusion d’improvisation. Nous avons droit à l’anecdote des enregistrements avec Allen Toussaint, avec imitation bien sûr, et une histoire improbable de limousine dorée et de brocoli vaudou…

Certains moments sonnent un peu plus creux mais sont négociés avec moult excuses par Elvis qui nous vend son futur ”musical”, « A Face In the Crowd », plus ou moins inspiré de l’histoire qu’adapta Kazan (très chouette film, un peu trop méconnu, au passage).

Il tente de nous tirer quelques larmes, tout en s’en excusant hein (« c’est la vie »), alors qu’il nous raconte l’histoire de son grand-père mutilé de guerre, devenu musicien sur les transatlantiques (les bateaux, pas les pliants). Il amuse la galerie en se moquant gentiment de son père, chanteur de variétoche, sosie, lors de sa période hippie, de Peter Sellers dans « What’s new Pussycat » (ou, précise-t-il, « Austin Powers pour les plus jeunes »). Il nous apprend que plus jeune le petit Declan essayait de dévisser le poste de télévision pour y retrouver son père habitué des shows de l’époque. Anecdote qui vaut son pesant de cacahouètes, Costello père a joué « If I had a hammer » devant Elisabeth II pendant The Royal Variety Performance de 1963, spectacle éclipsé, comme le reste, par la performance du « Twist And Shout » des Beatles.

 

Entre temps, il aura mis le public dans sa poche en jouant « Watching the detectives », avec boucles de guitares, accélérées, hyper violentes, hachées, syncopées puis, intense émotion, « Alison » à la guitare acoustique, sans micro et je dois dire qu’à ce moment-là, j’ai bu du petit lait dans la culotte de velours du petit Jésus et que j’en ai apprécié chaque syllabe. Evidemment il doit la jouer tous les soirs et en avoir plus que ras-le-bol de cette vieille rengaine mais laissez-moi croire, s’il vous plaît, comme chacun des spectateurs présents ce soir-là, qu’il ne l’a jouée que pour moi et que c’était sa première et dernière fois. J’ai vu le Graal passer devant moi, je n’ai pas demandé à quoi il servait au Roi pécheur des Amériques mais j’ai bu dedans à petites gorgées et je suis sauvé. Amen.

 

Je n’oublierai pas non plus « I Want You au piano », dépouillée, ode anti Lennon, anti ode même, dont les paroles nous ravissent et nous glacent. La plus belle anti chanson d’amour du monde ? On applaudit bien fort cette merveille douce-amère avalée en s’étranglant. 

« Mystery Dance » inaugure les rappels avec un Elvis qui sort de scène et revient après chaque titre sautillant, tortillant comme jamais, jetant couvre-chefs roses, vestes de mauvais goûts enfilées pour le plaisir de les balancer et sceptre d’imposteur à la main.

Avant son retour, la télé diffuse ce petit bijou Pierre Tcherniaesque et on est conquis.

 


Ross McManus (father of Elvis Costello) : « If I… by Mano_Holguin

 

Elvis is King. Il nous l’avait dit, et ce, dès le début.

 

Il joue « Pump it up », version surgonflée, dans la télé qui s’avère être une scène à rideaux et finit sur un petit mensonge ”depuis que je l’ai écrite, je me dis chaque année que c’est de plus en plus vrai” et envoie la chanson de Nick Lowe « (What’s so funny about) Peace Love & Understanding ».

 

Voilà comment conclure parfaitement deux heures et demie de show non-stop, enfilant perles (ah j’oubliais « Shipbuilding » au piano solo) et (quelques) scories, bouclant la boucle de l’histoire familiale et musicale d’un grand petit bonhomme de la pop, truculent et insaisissable, un roublard terriblement doué.

Chapeau (rose) bas M. Costello.

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