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Disques

Wilco – Ode to Joy

Wilco - Ode to Joy

Il semble que le vent tourne et que Wilco soit, à nouveau, en odeur de sainteté. Et que l’encensoir s’agite aussi bien du côté du hipster pur et dur, tendance folkeuse (oiseau rare), que de celui du fan de musiques expérimentales (du moins de l’ex-lecteur de Wire), cela nous semble assez étonnant… Nous referait-on le coup de « Yankee Hotel Foxtrot »/« Ghost is born » ? À l’écoute de ce magnifique « Ode to Joy », je ne vois pourtant que de la continuité dans le travail de Tweedy (et consorts) au sein du groupe comme en solo. Wilco débarrassé des contraintes de la production de musique de masse pour les masses depuis la création de son label dBpm (« The Whole Love ») se contrefout des canons de la mode et tire à tout va, sort ce qui lui plaît quand ça lui plaît, presque un album par an. Certains sont plus échevelés (« Star Wars »), d’autres plus ronds et apaisés (« Schmilco »), certains sont dépouillés (« Together at last », « Warm »), d’autres relèvent de la récréation familiale, en mode exercice de l’excellence (« Sukierae »). On suit Wilco dans ses errances, toujours émerveillés de voir à quel point leur facilité à produire ne semble pas tarir. Pas de retraite pour ces gars-là, qui pourraient aisément décider de se retirer, de vivre sur leur statut de légendes chicagoanes et sur leurs rentes. Ce n’est pas le genre de la maison et d’ailleurs, plus cette tentation se fait sentir, plus le rythme des sorties s’accélère. 

Wilco joue sur les instabilités même si le cœur de son travail est de produire un folk rock, qui rentre toujours, plus ou moins, dans les canons du genre. Mais un folk rock toujours perturbé. On a suivi Wilco sur les pentes des addictions, des dépressions et le bruit, les accidents, les déconstructions et mélanges dans sa musique étaient sans doute le reflet de la vie de Tweedy (« Summerteeth », »Yankee Hotel Foxtrot « ). On a suivi la lente reconstruction (période Jim O’Rourke et New Born Christian : « Ghost is born », « Sky Blue Sky ») et les diverses crises de foi jusqu’à une conversion au judaïsme : Tweedy nous aura tout fait. 

Une oreille distraite pourrait prendre « Ode to Joy » pour un disque apaisé alors qu’il est plein d’angoisses sourdes, de zones d’inconfort maîtrisées, de ruptures de ton et de relations (« Bright Leaves », « Quiet Amplifier »), d’espaces privés, de séparations. C’est une ode à la plénitude mais nimbée de certaines incertitudes tant dans les textes que dans la musique. En ce sens, « Ode to Joy » est le pendant de « Yankee Foxtrot Hotel ». D’où une apparence de folk rock magistral, intime et direct mais fouillé, plein de détails et de petites bizarreries de production. Des petites choses qui détonnent dans une apparence sereine mais unies dans un grand tout, qui est l’amour, immense, de Tweedy. Wilco loves you, n’est-ce pas ? 

C’est avec un certain détachement que l’homme Tweedy prend les choses désormais et qu’il tache de réunir les contraires. L’acoustique comme l’électrique. La rythmique comme le mélodique. L’harmonie comme la dissonance. Le loin, le proche. L’écho, le précis.

Sur « Ode to Joy », Wilco marche comme un seul homme et comme rarement auparavant (superbes claviers, très discrets). Certains pupitres sont privilégiés comme toujours. Au premier chef, les percussions de Glenn Kotche, au centre du dispositif (hyper en avant sur « Bright Leaves »), très portées sur les peaux, sur le battement du cœur humain.

Et puis bien sûr Nels Cline, un peu plus en retrait qu’auparavant, moins démonstratif aussi, pour conserver cette rondeur si présente. En apparence seulement, parce qu’on retrouve ici ou là des acidités de guitares Velvetiennes (un air de « Lady Godiva » sur « Quiet Amplifier ») ou un solo hors des clous sinon bien free sur « We were lucky » ou encore ce délicieux son un peu cuivré à la Thin Lizzy qui déchire le bel agencement de départ (« Everyone Hides »). Mais rien de trop. Si « Yankee Foxtrot Hotel » craquait de partout, « Ode to Joy » au contraire est pointilliste. Et joueur :

Toute la magie réside dans la production et dans le savant collage des sons ou de la composition (entendre l’étrange marche de « Bright Leaves »). Tout est toujours dans le pas de côté.

Reste Tweedy, éternel écorché, à la guitare un peu plus propre que sur les précédents mais à la voix plus voilée, plus blanche. Toujours en équilibre instable, sur la voie bicéphale des Beatles de réconciliation des contraires. Avec des textes évoquant la famille, les enfants (« An Empty Corner »), l’enfance aussi (« One and a half stars » écho de « Heavy Metal Drummer » ?), le sentiment de plénitude et de sa propre dissolution dans le monde que l’on éprouve quand on aime (« Love is everywhere (Beware) »). Des inquiétudes sur le monde, ses pentes mauvaises, également (« Before us », « White Wooden Cross »). Du plus proche au plus général, avec un « je » qui se veut toujours distancié. De sorte que l’on ne sait jamais s’il parle de ses propres expériences ou de celles de ses proches. De même, le politique est très présent sans pour autant verser dans une accusation vide de sens qui ferait porter le lourd chapeau à une seule et unique personne (« Citizens »).

Dans tous les cas, Tweedy, l’auteur, est véritablement en apesanteur, dans une fuite poétique amorcée dans « Warm » et qui sent l’évaporation, avec toujours cette tentative de se raccrocher à quelque chose ou quelqu’un : « it’s poetry and magic. Something too big to have a name », chante t-il sur « Hold Me Anyway », avec toujours ce lien intime, musical et textuel, qui le relie au « Getting Better » des Beatles et à son propre « Kamera » sur « Yankee Hotel Foxtrot ».

Wilco inscrit, une fois de plus, et avec humour, Ode to Joy, dans la liste des œuvres les plus marquantes de l’histoire de l’humanité. Et de sa discographie chaleureuse et illuminée.

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