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Disques

Raretés confinées (6) : “Breaxxbaxx” de Land of Talk

Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “Breaxxbaxx” de Land of Talk (2007).

J’évoquais l’autre jour à propos de Minor Majority une bien pacifique invasion scandinave dans les années 2000. Ce fut également la grande époque des Canadiens, anglophones essentiellement. Il y eut évidemment le succès massif d’Arcade Fire et, sur un mode plus underground, mais quand même susceptible de remplir des salles de taille moyenne, Godspeed You! Black Emperor et toute la galaxie du label Constellation. J’avais aussi succombé, dès leur passage à la Route du rock en 2003 (avec une certaine Leslie Feist qui n’allait pas tarder à faire parler d’elle), aux charmes du collectif/supergroupe Broken Social Scene – je vais y revenir. Et chroniqué ici même les albums de Destroyer avant que Dan Bejar n’accède enfin à une reconnaissance à la hauteur de son talent.
Il y avait également des formations plus mineures qui avaient su nous séduire le temps d’un album, comme Stars, The Dears ou The Stills. On parlait d’une “scène canadienne”, sans doute abusivement vu les centaines de kilomètres séparant Vancouver de Montréal ou Toronto, quoique tous ces artistes semblaient partager un même esprit d’indépendance. Pourtant, malgré ce contexte favorable, certains passèrent injustement inaperçus. Ce fut le cas d’Elizabeth (dite Lizzie) Powell et de son groupe – ou plutôt projet solo avec musiciens additionnels, dont certains issus des formations précitées – Land of Talk.

Etrangement, la première rencontre eut lieu au Baron, à l’époque haut-lieu parisien de la branchitude. C’était le 18 février 2007, tard, forcément, puisque c’était un bar de nuit. Le trio devait y donner un showcase et l’attachée de presse avait essayé de rameuter du monde, mais je n’ai pas souvenir d’autres personnes venues exprès pour eux. J’avais reçu peu avant leur premier disque, “Applause Cheer Boo Hiss” – à l’origine un mini-album de sept titres auquel le label One Little Indian avait ajouté trois morceaux pour l’Europe –, dont l’indie rock nerveux ou plus lancinant et insidieux, chanté d’une voix chargée d’émotion, m’avait d’emblée conquis. J’avais un peu discuté avec le groupe avant qu’il joue quelques titres devant un public majoritairement indifférent. Elizabeth venait d’arrêter la clope et fumait par procuration grâce aux clients de l’établissement – c’était quelques mois avant que ce soit interdit.
En cherchant dans mes mails, je retrouve la trace de plusieurs concerts à Paris dans les mois qui suivent, en première partie ou tête d’affiche. J’ai dû y aller mais je n’en ai pas le souvenir. Je suis sûr en revanche que j’étais le 9 décembre 2008 à Mains d’œuvres (un peu moins glamour que le Baron…), pour l’album suivant, “Some Are Lakes”. Land of Talk se produisait avec Think About Life, un groupe de Montréal tout aussi confidentiel, et on devait être une trentaine à tout casser. Après le concert, j’étais allé voir Elizabeth pour lui montrer la chronique que j’avais écrite pour “Les Inrocks” (où je passais mes derniers jours…) ou pour l’éphémère mensuel “Volume”, je ne sais plus. Ça lui avait fait plaisir, mais elle m’avait annoncé que le groupe ne reviendrait sans doute jamais en France : le jeu n’en valait pas la chandelle.

Land of Talk en concert au Brooklyn Masonic Temple, New York,
le 24 octobre 2008 (photo : Ted Chase)

Je pouvais la comprendre. Quelques semaines plus tôt, elle avait joué à New York devant une salle comble – et j’y étais aussi. Dans le cadre du CMJ Festival, Broken Social Scene se produisait au Masonic Temple de Brooklyn ; Land of Talk assurait la première partie, Elizabeth rejoignant ensuite le groupe à très large effectif pour quelques morceaux. Le concert était complet mais, avec quelques fans, j’avais eu la chance de croiser devant la salle Brendan Canning, le bassiste de BSS que j’avais déjà rencontré à Paris, et il était allé très gentiment nous chercher quelques pass dans le tourbus. Cette merveilleuse soirée s’était terminée dans un bar à deux pas de là. Gardons plutôt ce souvenir d’une Lizzie avec coupe au bol et sourire rayonnant.
Après la déconvenue de fin 2008, Land of Talk s’est semble-t-il réservé au public nord-américain. En Europe, plus de concerts, plus de distribution, donc plus de promo, donc invisibilité à peu près totale. A tel point que j’étais passé complètement à côté de l’album “Life After Youth” sorti en 2017 (mais nos confrères des Oreilles curieuses en avaient parlé), après un hiatus de plusieurs années. Un nouveau est annoncé pour le mois de mai. En attendant, je réécoute les précédents, en me demandant comment d’aussi bonnes chansons, portées par une telle voix, et confiées à des mains expertes (Jace Lasek des Besnard Lakes et Justin Vernon alias Bon Iver étaient aux manettes sur les premiers albums), avaient pu échapper aux radars de la critique et du public, du moins de ce côté de l’Atlantique.
Si l’écriture de Liz Powell s’épanouit et s’affine sur “Some Are Lakes” et surtout “Cloak and Cipher” (2010), j’en reviens toujours à mes premiers émois : “Applause…” et sa superbe déclinaison unplugged, “L’Aventure acoustique” (titre en français mais chansons en anglais), vendue aux concerts dans une belle pochette en carton découpé. En version électrique furieuse et néanmoins mélodieuse, ou ultra dépouillée avec la voix nimbée d’écho, une prise et c’est dans la boîte, le morceau “Breaxxbaxx” me donne toujours la chair de poule. On peut espérer qu’elle soit encore contagieuse, treize ans plus tard.

La version du morceau tirée de “Applause…” :

Celle de “L’Aventure acoustique” :

Et enfin, un live en studio :

La plupart des disques de Land of Talk sont sur Spotify.

 

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