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Disques

Raretés confinées (16) : “This Is the Ice Age”, album de Martha and the Muffins

Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés.  Aujourd’hui, l’album “This Is the Ice Age” de Martha and the Muffins (1981).

Un disque parfait pour accompagner l’époque. D’abord celle de sa sortie (chez Dindisc/Virgin), à l’automne 1981, en taclant subtilement le vide et la superficialité doublés des ravages sociaux, personnels, économiques et environnementaux générés par la marche sans retour du capitalisme fou ; la nôtre ensuite, en résonnant comme une boucle en écho (beach) devant l’usé, le viral et le besoin d’air frais.

Loin d’être un manifeste politique ou dystopique (encore moins la bande-son inédite d’un film d’animation bien connu), “This Is the Ice Age”, troisième album de Martha and the Muffins – groupe canadien de Toronto trop souvent réduit et systématiquement ramené à son tube “Echo Beach” présent sur son premier LP sorti en 1980 – revient sur notre platine en réponse idoine à une nécessité de pop racée capable de souffler le chaud et le froid sur ces temps suspendus et inquiets. C’est aussi et surtout parce qu’on y trouve d’autres choses plus intemporelles, une balade sonore urbaine mélancolique, un halo de lumière au travers de la poussière et une légère brise tiède enveloppant les sens. La superbe pochette du disque, réalisée par Peter Saville, n’y est pas pour rien non plus.

“This Is the Ice Age” est un petit favori, de ceux qui passent le test du temps et des purges discophiles. Une nouvelle étincelle en jaillit toujours, même si on connaît le disque par cœur sans l’écouter si souvent que ça. On en partage les bienfaits entre initiés bienveillants mais pas nostalgiques, on passe le mot. Musicalement, c’est plus sûrement la grande réussite artistique d’un groupe vite classé en son temps dans la catégorie des challengers light des Talking Heads. D’autres formations de la période, aux univers plus ou moins proches (au débotté, Urban Verbs, Pylon, Polyrock…) ont également ce pouvoir séducteur, mais rien qui se rapproche autant de l’intimité toute particulière générée par ce disque.

En 1981, après deux albums de new wave/art pop sympathiques et plutôt réussis mais avec un succès commercial décroissant, le groupe remanié obtient de son label le contrôle artistique pour la production de son troisième LP, en contrepartie d’un budget moins conséquent. L’idée pour le couple principal de songwriters/chanteurs et musiciens, Martha Johnson et Mark Gane, est de mettre en sons des compositions qui garderont l’ADN pop du groupe tout en se lâchant sur l’expérimentation. C’est le frère de leur nouvelle bassiste qui se voit confier la console, un certain Daniel Lanois, (co)producteur novice dont les recettes initiées sur l’album – enregistré à Toronto – lui assureront gloire et fortune sous d’autres cieux. La future association de Lanois avec Brian Eno trouve aussi par le prisme de cet album une évidence certaine, tant certains passages de “This Is the Ice Age” font écho au Eno de “Another Green World” ou de “Before and After Science”.

La force pérenne de “This Is the Ice Age” tient à l’alliance de compositions plus matures que sur les albums précédents, et dont le minimalisme relatif se double d’arrangements subtils et de structures toujours surprenantes, stratifiés par une mise en son soignée, inventive, qui surprend encore à la réécoute par sa modernité ; notamment par le filtrage habile des synthés, claviers et percussions, grâce à des effets qui évitent au tout de sonner avec les travers de production synthétoc d’un paquet de groupes de l’époque. Même les quelques interventions du saxo se fondent en évitant les clichés destructeurs. Du bel ouvrage, avec peu de moyens.

Aéré, le songwriting est de haut vol, les paroles cultivent l’humour acerbe sous de très belles lignes mélodiques, et tout l’album s’écoule comme un charme avec fluidité entre ses côtés pop et ceux plus ambient. De l’anguleux “Swimming” (qu’on verrait bien repris par Stereolab) avec ses contrechants féminins et son solo de guitare frippienne, en passant par la délicatesse mélodique de “One Day in Paris”, jusqu’au final “Three Hundred Years/Chemistry” qui juxtapose les deux pôles de l’album, la qualité des morceaux pop capturés par des rythmiques hypnotiques le dispute à l’amplitude des chansons plus atmosphériques, dont la rémanence nous aura définitivement marqué.

Suite au semi-succès du single “Women Around the World at Work” et à l’échec commercial de l’album, Martha And The Muffins sera éjecté de Virgin et le reste de la carrière du groupe, bientôt réduit au duo Johnson/Gane, restera fluctuant. Même si non dénué de petites réussites, rien n’y approche les beautés en circonvolutions qu’on trouve dans “This Is the Ice Age”, suspendues dans un curieux espace-temps tel le bien nommé morceau “Jets Seem Slower in London’s Skies.”

L’album a été réédité en CD en 2005, remasterisé et augmenté de deux morceaux bonus.

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